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Une histoire de savonnette, de Milord et de durs à cuire !

> 23 novembre 2019

Une histoire de savonnette, de Milord et de durs à cuire !

Le Milord de Francis Carco n’est vraisemblablement pas le même que celui que chante Edith Piaf, en 1959. La mademoiselle Savonnette de Francis Carco a la « peau douce de blonde » et ses « cheveux, défaits sur l’oreiller, lui faisaient une parure charmante », sans doute semblables « aux champs de blés »… Elle aurait donc tout à fait pu, en revanche, dévoiler ses trésors à un certain chanteur du nom de Johnny Halliday (Que je t’aime, 1969).

Il ne faut, toutefois, pas croire que le roman de Francis Carco, paru en 1916, Les innocents,1 va nous entraîner dans un univers musical aussi rafraichissant que celui proposé par Alain Resnais dans son film baptisé On connaît la chanson...

Et pourtant, la chanson, on la connaît bien... Il s’agit de celle d’un petit dur de 18 ans qui s’éprend d’une toute jeune fille d’à peine 16 ans, Yvonne Bouvet, dans le décor d’une petite ville de province, Besançon. Le Milord en question, Maurice Choupe pour l’état civil, se retrouve perdu dès lors que son chef, un nommé l’Edredon, est « mobilisé de force depuis le début de la guerre. » Ce guide, qui a sept assassinats à son actif, constitue le modèle à imiter pour un jeune gars qui a commencé très tôt dans la vie en cambriolant sa vieille voisine de palier, à Paris. C’est donc, vers Paname, que Milord va tourner son regard alors qu’il acquiert une liberté dont il ne sait pas trop quoi faire. A peine Melle Savonnette séduite, à peine Melle Savonnette délaissée !

Melle Savonnette est juste sortie de l’enfance lorsqu’elle tombe dans les bras du Milord. Celui-ci aime tout particulièrement son « mince petit visage fardé » et sa « bouche, frottée de rouge » qui sourit doucement. « Aujourd’hui, sa pâleur avait déjà besoin de poudres et de fards, et le Milord s’en réjouissait, car cet artifice chez une femme témoignait pour lui de son désir habile de plaire et de corriger la nature. » Côté correction de la nature, le Milord n’est pas en reste. Il sait parfaitement se servir de ses poings pour mater les femmes rebelles. La journaliste-écrivain, Winnie Campbell, en fera les frais.

Le Milord est un dur à peau glabre qui se rase « avec soin en faisant sa toilette. » Cet acte « lui donnait du poids à ses propres yeux. »

Winnie Campbell est une jeune femme de 27 ans, imprégnée de « l’odeur de tabac « riche » et de myrrhe », en mal d’inspiration. Elle cherche à créer un personnage plus vrai que nature (« un très bon type de roman parce qu’il est naturel, comme une bête. »). Bien que Winnie ne soit pas son genre (« Elle n’avait guère de tournure à son goût et n’était ni poudrée convenablement ni chaussée comme les filles de Paris. »), le Milord cède à ses avances et se laisse étudier à loisir, en échange de quelques billets de banque (« Elle vivait ce qu’elle écrivait [...]). Le Milord sera « le personnage de son livre » !

Il faut aussi dire un mot de N’a-qu’un-œil, le frère de Melle Savonnette qui vit à ses crochets et a découvert, un peu trop tôt, la saveur particulière de l’absinthe, de Nénesse, « un type de la bande à Jojo » qui s’est rangé des voitures et travaille désormais dans une parfumerie, des cafés alourdis de « fumée, de parfums et d’odeurs ».

Winnie Campbell a vraiment découvert la perle rare. Après avoir été déçue par un faux-jockey (« scrupuleusement rasé ») qui n’y connaissait absolument rien en matière de courses hippiques, elle tombe, par chance, sur un vrai voyou qui s’y connait bien en matière d’actes condamnables. Elle possède, désormais, tous les éléments pour rédiger un roman bien noir. Il n’y a plus qu’à...

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour ce "Carco et les durs"...

Bibliographie

1 Carco F. Les innocents, Collection pourpre, Albin Michel, 1952, 252 pages

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