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Une histoire de perruques qui prend la tête !

> 24 avril 2021

Une histoire de perruques qui prend la tête !

Dans son roman Une mémoire d’éléphant,1 Agatha Christie aurait, comme qui dirait, tendance à nous prendre un peu la tête. Mrs Ariane Oliver est interrogée, lors d’un déjeuner littéraire, sur une de ses filleules - Celia - qu’elle a complètement perdue de vue. Mrs Burton-Cox, une femme peu sympathique par ailleurs, est réticente au mariage de son fils Desmond avec Celia. Il faut dire que l’enfance de Celia a été marquée par un drame horrible ; ses parents se sont, en effet, donnés la mort. Double suicide ? Suicide et exécution ? Qui a tiré le premier ? Sur qui ? Pourquoi ? Une foule d’interrogations qui laissent Ariane pantoise. Un petit tour chez Hercule Poirot, une enquête auprès des témoins oculaires du drame, survenu une quinzaine d’années plus tôt - des témoins qui, on l’espère, auront une mémoire d’éléphant, et voilà le meilleur détective du monde - celui à la « moustache quasi monstrueuse » - en capacité de tirer cette affaire au clair...

Ariane Oliver, une romancière qui change de style à l’envi

Ariane Oliver change de coiffure à chaque instant. Des coupes différentes, des boucles vraies… ou fausses, des chignons, des fronts avec une frange ou parfaitement dégagé : « L’ennui chez elle - et elle l’admettait bien volontiers - c’était qu’elle changeait constamment de coiffure. » Jamais de perruque, mais en revanche de fausses dents qui hésitent devant une meringue, un caramel ou des amandes salées. Ces dents sont « bien rangées, d’une blancheur éblouissante, plus belles que les dents naturelles. »

Dans son enfance, Ariane Oliver a été l’amie de Lady Ravenscroft, la mère de Celia. C’est donc avec passion qu’elle se lance dans cette enquête difficile, une enquête qui l’emmène à la grande pharmacie « Williams et Barnet », au milieu du rayon des « produits de beauté en tout genre ». Pour retrouver l’adresse de la femme de ménage des Ravenscroft, Ariane ne lésine pas à la dépense. « Mrs Oliver s’en fut, après avoir fait l’acquisition d’un bâton de rouge à lèvres dont elle n’avait nul besoin ». Marlène a donné l’adresse de sa mère, Mrs Buckle, c’est l’essentiel.

Margaret Ravenscroft, une victime qui change de perruque à l’envi

Margaret Ravenscroft (Preston-Grey de son nom de jeune fille) est une jeune femme ayant environ 35 ans, très jolie, prenant « grand soin de son maquillage ». Cette jeune femme équilibrée a, pour les uns, une demi-sœur beaucoup moins jolie, pour les autres une sœur jumelle parfaitement ressemblante, une sœur pas très équilibrée, qui sème les cadavres d’enfants sur son passage. La vérité est bien là. Sa jumelle Dorothea, Dolly pour les intimes, passe plus de temps en hôpital psychiatrique que chez elle.

La caractéristique principale de Molly : un amour immodéré pour les perruques. Elle en a possédé jusqu’à quatre ! Des perruques « très belles », « très coûteuses », achetées à Londres au salon de coiffure Eugène et Roselyne de Bond Street. Certains disent qu’elle aurait souffert d’une maladie qui aurait fait tomber ses cheveux ; d’autres ne sont pas au courant de cette histoire d’alopécie et considèrent qu’une perruque est un article de mode comme un autre. Parmi ces perruques, il faut distinguer les perruques du soir sophistiquées (à reflets cuivrées ou à petites mèches grises) de celles de jour (pour le quotidien et/ou les voyages). Avant de se suicider, Molly aurait commandé 2 nouvelles perruques ; c’est d’ailleurs une perruque sur la tête et une balle dans la peau qu’elle sera retrouvée au sommet d’une falaise avec son époux. Ah ces perruques, elles font vraiment causer : « D’abord il y avait les perruques. » Et ce chiffre 4 qui étonne tout le monde. « Mais ne pensez-vous pas que quatre perruques ça fait tout de même beaucoup. » Comme une rengaine, le comptage des perruques revient de page en page !

Et puis, il est question d’une hospitalisation de Molly. « Rajeunie » à son retour chez elle, Molly ne semble pas entrer en convalescence. Certains murmurent que sa peau paraît plus rebondie, plus élastique, « sans doute avait-elle aussi suivi un traitement pour le visage. »

Alors, Molly ou Dolly ou bien Dolly et Molly ?

Entre les deux frangines, Agatha Christie nous fait tourner bourrique. Il y a quelque chose là-dessous. Lorsque l’on a une « chevelure en parfait état », il est étonnant de collectionner à un tel point les perruques. Hercule Poirot tortille sa moustache, croise les témoignages et, sans avoir besoin du recours à l’intelligence artificielle, mais uniquement grâce à ses précieuses cellules grises, tel un logiciel ultra-puissant, il résout le mystère qui pesait sur la famille Ravenscroft, depuis 15 ans.

Une mémoire d’éléphant, en bref

Avec sa romancière fétiche - une Ariane Oliver très en forme - Agatha Christie nous entraîne dans une officine au rayon cosmétique, dans un salon de coiffure, spécialisé dans la vente de postiches... Les meringues sont au point, les dents bien rangées, Agatha Christie et Ariane Oliver ont toujours un conseil cosmétique à donner... et c’est toujours bon à prendre !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !

Bibliographie

1 Christie A. Une mémoire d'éléphant, Le livre de poche, 2003, 155 pages

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