> 24 novembre 2024
Vous reprendrez bien un peu de tête de veau ? Non, merci, sans-façon. Depuis que Frédéric Dard nous a fait découvrir une tête humaine planquée dans une corbeille de têtes de veau chez un tripier des Halles,1 ce plat, déjà peu digeste, a tendance à nous cailler sur le jabot ! A partir de cette tête, tranchée au ras du menton, San Antonio va remonter la piste et retrouver le reste du corps dans une guérite de la gare de Lyon.
Une histoire qui coupe l’appétit, mais qui encourage l’utilisation de cosmétiques de qualité. Produits d’hygiène ou produits de maquillage, Frédéric Dard nous régale, une fois de plus, d’histoires cosmétiques savoureuses.
Allez, on passe à table !
Avant d’accompagner son acolyte Bérurier aux Halles de Paris, San Antonio s’octroie une bonne « douche » et passe un « Remington » sur sa « frime » !
Aux Halles de Paris, sous un lot de têtes de veau, Bérurier découvre une « tête de contribuable ». Sans doute pas un gars qui s’est fait cela en « se rasant » ! Un coup du milieu, sans nul doute ! Reste à trouver les auteurs de ce massacre !
Dans la corbeille de têtes de veau, trône donc une tête humaine, parfaitement bien coiffée. La tête d’un homme élégant, à l’abondante « chevelure grise brillantinée » ! Un homme dont la tête est diffusée dans tous les journaux, mais que personne ne reconnaît ! Etrange !
Ou plutôt une histoire de mésusage, basée sur la confusion entre un tube de mayonnaise et un tube de dentifrice.
Le collègue de San Antonio bien connu de son lectorat fidèle, l’inénarrable Bérurier, parti de chez lui sans se brosser les dents, afin de ne pas réveiller sa douce moitié, profite du temps de la douche de San Antonio pour se « laver les chailles ».
« Il extirpe un tube de pâte dentifrice de sa fouille et une brosse à dents que refuserait un mécanicien pour décrasser les rouages de sa machine. » Puis, il étale une « pâte jaunâtre sur les poils de la brosse ».
Forcément, San Antonio ne rate pas cette superbe occasion de se moquer de son souffre-douleur habituel : « Je ne savais pas que tu te lavais les dents » ! Une phrase, qui en dit long sur l’haleine du fameux Bérurier !
Et bien, justement, cette pratique n’est pas ancienne pour Béru… elle est toute récente. Une « grosse révolution » en matière d’hygiène, pour cet inspecteur, peu soucieux de cet aspect de la vie. Sale… on le sait, puisque Frédéric Dard le dit régulièrement.
Peu habitué aux dentifrices, Bérurier s’étonne : « C’est marrant, ces dentifrices… On les parfume drôlement, tu ne trouves pas ? »
San Antonio, fidèle au dentifrice Colgate, interroge à son tour : « Il est à quoi, le tien, à la chlorophylle ? »
Forcément, le bon Béru n’en sait rien. Il ne s’est pas penché sur la composition du produit qu’il utilise. Ce qui n’est pas le cas de San Antonio, qui s’intéresse au produit en question et se rend compte qu’il ne s’agit pas d’un produit cosmétique, mais d’un produit alimentaire. Ce qui a été pris pour un dentifrice est en réalité un tube de… « mayonnaise » !
Cette « mayonnaise-dentifrice » qui donnait faim à Béru, dit « le Gros », ne possède évidemment pas les qualités abrasives et antiseptiques attendues !
Ce dentifrice Colgate est décidément le dentifrice fétiche de Frédéric Dard, puisqu’il nous en fait la publicité, une fois de plus, dans cet opus. Pour cette fois-ci, ce n’est ni San Antonio, ni l’une de ses conquêtes, qui possède un sourire Colgate… Non, c’est une tête de veau avec « sa langue pendante et son sourire Colgate » !
Bérurier a des pellicules… et n’utilise visiblement pas le shampooing le mieux indiqué. Les pellicules tombent « en neige sur ses revers » de costume.
San Antonio aime les petites serveuses affriolantes (« Vous direz que j’ai un faible pour les amours ancillaires »). Celle du bistrot qu’il fréquente, la petite Marguerite, est bien avenante. « C’est une petite rouquine qui se croit blond vénitien et qui s’efforce de cacher ses taches de rousseur sous trois centimètres de fond de teint. »
Une serveuse qui va servir d’appât. Comme l’enquête piétine, San Antonio décide de faire croire au tueur, par voie de presse, que la petite Margot a tout vu ! Dommage pour Margot qui reçoit une lettre explosive, qui la met en mille morceaux.
San Antonio ne se prend pas la tête… de veau, en matière d’aventures d’un jour. Il n’est pas nécessaire d’avoir lu Proust pour le séduire. Bien au contraire… Son instinct le pousse plus facilement vers les filles toutes simples… Plus faciles à gérer ! San Antonio préfère franchement la « soubrette », qui sent « l’eau de Javel », que la belle dame, parfumée à « Conquête de Lancôme » !
Le parfum de la femme de Jo Padovani, le gars qui se cache derrière l’assassinat du type bien coiffé, « kidnappe » littéralement « le sens olfactif » du commissaire, qui en a pourtant flairé plus d’un autre !
Le rimmel de miss Padovani n’est pas waterproof. Il ne résiste pas aux larmes ; il est « dégoulinant ». Lorsqu’il se met à couler, il donne à la jeune femme l’allure d’un « clown » !
San Antonio arrive à remonter la piste de la lettre explosive. Celle-ci a été postée par la tapineuse de Jo Padovani.
Afin de la faire parler, San Antonio use de différentes techniques. La plus efficace d’entre elles consiste à promettre, à une victime peu encline aux confidences, une coupe de cheveux à la « Zizi Jeanmaire », dans un premier temps, puis à la « Yul Brynner » dans un second. Dans le métier qui est le sien, le charme est primordial… La victime se met donc à table pour finir et sauver sa tête des ciseaux de l’inquisiteur.
La tête retrouvée parmi les têtes de veau est celle d’un certain Jim Mayeux. Ses traits ont été modifiés par un « maître esthéticien », comme en témoignent les délicates « cicatrices » retrouvées sur son visage. Un gars en somme qui s’est « fait bricoler la bouille », afin que ses ennemis ne puissent le reconnaître ! Et visiblement, personne ne l’a reconnu, à part ses assassins. Chapeau, l’artiste !
C’est une « bande d’éclopés du cerveau » à qui s’adresse Frédéric Dard dans ses romans. Des « mollassons du bulbe », qui ont parfois de la peine à s’y retrouver dans des intrigues au scénario assez touffu !
Un « sale métier », que celui de médecin légiste, nous dit San Antonio ! De quoi vexer son collègue, qui se met à bouder… Il ne reste plus alors au commissaire qu’à ramer à contre-courant, pour complaire à celui qui lui donne toujours de précieux renseignements. « Je n’ai pas voulu vous blesser, toubib, au contraire. D’accord, vous avez la plus suave des professions… Celle du parfumeur exceptée, je n’en vois pas qui puisse rivaliser de charmes avec elle ! »
Dans cet opus, il est question de maquillage, à 2 reprises. Un maquillage au sens figuré… « Elles feignent l’indifférence pour ce que vous maquillez […] » ; « Alors tu n’es pas au courant de ce que maquille ton homme ? »
Dans ce type de roman, il y a toujours un individu qui est mis au parfum !
Dans cet ouvrage, San Antonio se sert des journalistes pour diffuser de fausses informations et déclencher des réactions parmi les voyous ayant décapité l’inconnu à la chevelure brillantinée. De ce fait, le célèbre commissaire est poursuivi par une meute de journalistes qui souhaitent en savoir toujours plus sur l’enquête en cours. Une situation qui irrite San Antonio et lui fait dire : « Les journalistes sont plus difficiles à chasser que l’eczéma chronique. »
Jo Padovani préfère se suicider, en se jetant par une fenêtre, plutôt que de donner le nom de ses complices. On apprendra tout de même en remontant la piste de la lettre explosive que le gars dont la tête a été retrouvée dans la corbeille d’un tripier est un certain Jim Mayeux, tué d’un coup de pic à glace dans le cœur. Cet homme, qui avait donné des gars du milieu aux Allemands, pendant la guerre, a payé… en temps de paix.
La vengeance est un plat qui se mange froid ! Et à ce titre, la tête de veau ne fait pas exception…
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Dard F., La tombola des voyous, Tome 3, Collections Bouquins Robert Laffont, 2010, 1288 pages
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