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Une histoire de maquillage gothique et de perruque blonde comme les blés

> 17 avril 2021

Une histoire de maquillage gothique et de perruque blonde comme les blés

Au troisième homme de Graham Greene (1950),1 Agatha Christie oppose La troisième fille (1966).2 Ce n’est pas son meilleur roman, mais le maquillage y joue quand même un rôle important... au moins une raison pour nous séduire !

Avant d’inspecter les cheveux des uns et des autres, rappelons brièvement la situation ; Norma Restarick, fille d’Andrew Restarick, un riche homme d’affaires, s’accuse de meurtre auprès d’Hercule Poirot. Elle aurait tenté d’empoisonner sa belle-mère, une jeune femme beaucoup plus jeune que son époux. Elle aurait poussé une femme dans le vide ; elle aurait joué du couteau dans la cour de son immeuble. Ce conditionnel qui revient sans cesse est exaspérant... Et puis, il y a toutes ces coiffures qui attirent l’œil, des peintres à cheveux gras, des amoureux à « longs cheveux bouclés », des belles-mères à perruque dorée... et puis, aussi des gens qui ont des « ongles sales ». La jeunesse de la fin des années 60 n’est vraiment pas belle à voir à travers les lunettes d’Hercule Poirot. Pourtant de la tendresse, Hercule en est rempli et il se laissera émouvoir, une fois encore, par la détresse d’une jeune fille.

Hercule Poirot, bien coiffé… même au saut du lit

Tout commence le plus paisiblement du monde, un beau matin, durant le petit-déjeuner d’Hercule Poirot, le détective à « moustache énorme ». Un bon chocolat chaud fume sur la table... Une jeune fille - d’un genre moderne - sonne à sa porte et vient lui demander de l’aide. La jeune fille n’est autre qu’une riche héritière qui semble passablement névrosée.

Norma Restarick, décoiffée en permanence… comme au saut du lit

Norma est une jeune fille d’une vingtaine d’années, qui arbore des cheveux longs, perpétuellement mal coiffés. On la croirait tout juste sortie du lit ! Des vêtements trop larges, des bas d’une « propreté douteuse », l’ensemble n’a rien de très séduisant. En découvrant Norma, Hercule n’a qu’une envie demander à Miss Lemon de lui faire couler un bain (« N’importe quelle personne de la génération de Poirot n’aurait éprouvé qu’un seul désir, devant cette jeune fille : la plonger au plus tôt dans un bain. ») Mais ce sentiment de malpropreté n’est peut-être qu’une illusion ? Va savoir ! Entre Norma, la souillon nouvelle génération et Hercule, le dandy des temps anciens, le courant ne passe pas vraiment. Norma indique juste qu’elle pense avoir commis un meurtre avant de tourner les talons. Motif : ce petit bonhomme à tête d’œuf est vraiment trop vieux pour résoudre une énigme qui dépasse l’entendement. Retour dans l’appartement qu’elle partage avec deux autres jeunes filles, Frances Cary et Claudia Reece-Holland.

Mary Restarick, une perruque toujours impeccable sur la tête

Mary Restarick, la seconde femme d’Andrew, est auréolée d’une « abondante chevelure dorée », qui n’est pas sans rappeler un « champ de blé ». Cette « beauté assez artificielle » est étrange. Ses cheveux, qui ont l’air empesé, ne font pas très naturels. Il se murmure que Mary porte une perruque et ce depuis son plus jeune âge ; en cause, une fièvre pernicieuse, contractée il y a fort longtemps, qui l’a laissée chauve.

Frances Cary, des cheveux noirs qui lui mangent le visage

Frances Cary est une drôle de co-locataire, qui apparaît et disparaît à qui mieux-mieux. Le visage caché derrière un écran de « longs cheveux noirs », il y a fort à parier que cette jeune fille, qui pose pour les peintres et travaille dans une galerie d’art, a quelque chose de pas net à cacher. Un « maquillage maladroit » lui donne un aspect « cadavérique » ! « Beaucoup de maquillage, un fard blanc, une couche épaisse de mascara et les cheveux dans la figure. » C’est charmant. « Ses yeux et ses sourcils étaient légèrement obliques... effet accentué par le mascara. » Une jeune fille gothique tout simplement !

Ariane Oliver, artistiquement coiffée en permanence

Ariane Oliver, écrivain et amie d’Hercule Poirot, ne va pas rester les deux pieds dans le même sabot, durant cette curieuse enquête. L’éternelle insatisfaite change de coiffure comme de chemise. Parfois très sobre, parfois très sophistiquée, la coiffure d’Ariane évolue en continu. Pour cette fois-ci, c’est une montagne de petites mèches factices qui se dresse sur le sommet de son crâne et retombe en « cascades compliquées ». Lorsqu’Ariane décide de prendre en filature David Baker, le fiancé de Norma, un changement d’allure s’impose. Un chignon strict remplace les boucles vaporeuses, un trait de rouge à lèvres vient « modifier la forme » de la bouche. Ni vue, ni connue, je t’embrouille !

et puis

Il ne faudrait pas oublier la jeune Sonia, la secrétaire du vieil oncle Roderick Horsefield. Celle-ci serait (encore le conditionnel) une espionne... Elle s’affuble, nous dit-elle, parfois, d’une perruque « verte » !

et enfin

La clé du mystère est dans le titre... La troisième co-locataire, Frances n’est autre que Mary. Mary et Andrew, en réalité, Frances Cary et Robert Orwell forment un fieffé couple de malfaiteurs, usurpateurs d’identité, bien décidés à se débarrasser de la jeune Norma. Un peu de LSD dans le café, un petit cocktail de drogues diverses et variées et la plus honnête des jeunes filles se mettra à croire toutes les sornettes que l’on veut bien lui raconter.

La troisième fille, en bref

Avec ce roman qui s’embrouille un peu parfois, Agatha Christie sort, une nouvelle fois, sa trousse de maquillage. Frances, la jeune galeriste au look gothique se transforme en un clin d’œil, avec une couche de fond de teint et un coup de brossette à mascara, en une jeune lady, tout à fait respectable et très comme il faut, à peine maquillée. La reine du roman policier est décidément, également aussi, la reine des cosmétiques !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour illustrer, une fois de plus, la reine du crime !

Bibliographie

1 www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/un-maquillage-de-theatre-rate-1490/

2 Christie A. La troisième fille, Le Masque, 1999

 

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