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Une histoire de coups de soleil… inspirants !

> 10 décembre 2022

Une histoire de coups de soleil… inspirants !

Tout commence au mieux chez les Révolou.1 Un bal est en préparation… Monsieur Révolou est, quant à lui, dans son château de Léognan. Lorsque M. Landin, son premier clerc, frappe à la porte, Denis sent tout de suite « une odeur de destin » lui sauter aux narines. Et il a bien raison, le fils de la maison ! Son père, qui vient de se faire piquer sa maîtresse en titre (une danseuse du nom de Régina Lorati) par Gaston Costadot, et qui, en outre, est ruiné, vient de se faire sauter la cervelle ! Ce drame va alors déclencher une suite de réactions en chaîne…

De « longues moustaches gris-blond » ! Un père absorbé par son travail, aux doigts tachés de nicotine. Un père peu attentif à ses enfants mais, qui, tout de même leur lance de temps en temps un regard tendre, en leur offrant un petit cadeau… Pour Rose, « des fleurs, un parfum », une « promesse de voyage » ! Un père peu présent donc, mais aussi un époux qui court le guilledou !

Mme Lucienne Révolou, un capillaire qui semble taché… de nicotine

Les Révolou mènent la grande vie. Chaque soirée, chaque bal est l’occasion pour Mme Lucienne Révolou (née Willy-Durand) d’aller chez son coiffeur, M. Tardy. Elle en ressort toilettée comme un chien savant : « Ses cheveux blancs aux ondes un peu jaunies composaient une architecture fragile, protégée par une voilette et surmontés d’un croissant d’émeraude. »

Cette femme de tête, qui va devoir faire face à la ruine familiale, décidera, très raisonnablement, d’unir son fils Denis à Irène, la fille du régisseur du domaine. Une mésalliance dans un sens. Une façon de pouvoir conserver la tête hors de l’eau, tout de même.

Rose Révolou, une jeune fille qui se méprise

La fille des Révolou, Rose, est une jeune fille charmante… aux yeux de tous, mais pas aux yeux de sa mère qui, visiblement, la jalouse et lui voit tous les défauts de la terre, la trouvant fort laide. Le moindre bouton aperçu engendre de la part de Mme Révolou une réflexion acerbe. « Il (il, c’est le bouton, bien sûr) a encore grossi, constata-t-elle. Ça t’apprendra à te bourrer de chocolats, à ne pas manger de légumes verts ! » « Avec la peau que tu as, tu devrais éviter tout ce qui échauffe… Je me demande de qui tu tiens cette peau, ajoutait-elle pensive. »

Mme Révolou critiquant la peau de Rose ! L’hôpital qui se moque de la charité, selon son fils Denis, qui observe, sans pitié, la peau maternelle. « L’épiderme grenu et à pores dilatés » n’a rien à voir avec le teint « transparent » de sa sœur Rose !

Rose est promise à Robert Costadot. Toutefois, la faillite des Révolou porte un coup à l’amour de Robert, qui n’est plus très chaud pour s’allier à une famille désargentée.

Lorsque Rose est embauchée à la librairie Chardon, Robert déchante encore un peu plus à l’idée de courtiser une petite employée, qui ne prend plus soin d’elle. Les rencontres dans « l’odeur de poussière, de gazon mouillé, de chaises peintes » d’un jardin public, ne sont plus aussi romantiques qu’autrefois.

Désormais, un simple lavage de mains précède les rencontres amoureuses. « Rose se lavait les mains en hâte dans l’arrière-boutique. » Cette jeune fille, qui se lève tôt et rentre tard, est « poussiéreuse » ; son teint est « plombé », ses cheveux sont « ternes ». La jeune fille coquette d’autrefois n’existe plus. Les voyages dans un tramway bondé et surchauffé laissent sur sa peau une « odeur un peu sure », qui n’invite pas à la passion.

Robert, si tendre par le passé, ne voit plus que les défauts de Rose. Rose « se néglige » ; Rose « se méprise »… Et Robert d’implorer : « Je voudrais que tu aies pitié de toi-même… Je veux dire : de ton visage, de tes mains, de tout ton corps. »

Il semble bien qu’il ait enfilé les lunettes de celle qui aurait pu devenir sa belle-mère. « Les points noirs sur les ailes du nez » de Rose sont désormais trop visibles à son goût !

Pourtant, lorsque Rose reçoit Robert au château, il retrouve, parfois, l’espace d’un instant, la magie d’autrefois. « Elle avait dû se baigner, son corps rafraîchi sentait l’eau de Cologne. » A l’aide d’une coupe de champagne, l’illusion du bonheur est presque parfaite !

Mais ces instants sont rares. Rose ne sait rien faire par elle-même, tant elle a été élevée par une myriade de bonnes. « Habituée à être servie », Rose ne sait même pas passer les boutons de ses bottines. « On faisait tout pour moi ; on préparait mon bain, on faisait chauffer mon peignoir, la femme de chambre me frictionnait, me coiffait. »

Julien Révolou, un jeune homme qui se néglige

Suite à la faillite de la famille, Julien (l’aîné de la famille) se cloître dans sa chambre et décide de rester étendu dans son lit, à lire des romans policiers. Sa mère s’en inquiète : « Ce qui l’attristait surtout, c’était que ce garçon si raffiné naguère ne se lavait plus : « Vous vous rappelez ? 2 bains par jour, et les ongles faits… Moi j’arrive bien à tenir à peu près propre sa figure, ses mains, ses pieds… Mais pour le reste ! »

Denis Révolou, un jeune garçon qui se gomine les cheveux

Lorsque la famille se rend à Léognan, Denis panique à l’idée de voir son père mort. La chambre où son grand-père est décédé lui fait peur. Cette chambre, qui sent « la laque et la girofle », cette chambre où son père s’est suicidé, est forcément franchement impressionnante pour l’adolescent de 16 ans qui, se trouve mal et est envoyé illico chez sa nourrice, Maria Cavailhès, la femme du régisseur du domaine. Ranimé à l’aide de vinaigre, Denis est placé dans une chambre qui sent « le confit, le rance », mêlés à une odeur de fille, une « émanation » (c’est logique, il s’agit de la chambre d’Irène).

Denis restera chez les Cavailhès tout l’hiver, un hiver qui gardera, pour lui, toute sa vie, une odeur bien particulière (« L’odeur de ces journées était moins végétale, plus secrète que celle de l’été, odeur de la terre même, parfum minéral de la glaise mouillée » ; et la serre du domaine qui mêle « odeur de géranium et de terreau »).

Et Denis de flirter avec Irène, qui s’émerveille devant sa peau délicate. « On dirait une pêche ! Vous ne vous rasez même pas. » Denis proteste : il se rase, quand même, « au moins 2 fois par semaine » !

Et Denis de se regarder dans la glace et de faire tenir ses cheveux rebelles à l’aide d’une gomina. « Sa raie tenait à force de cosmétique ».

M. Landin, un premier clerc qui découvre sur le tard les cosmétiques

Le premier clerc de M. Révolou est un homme peu engageant physiquement parlant. Fort laid, répugnant, chauve (son crâne est qualifié par la famille Révolou de « miroitant »), M. Landin connaît son patron depuis le lycée. Depuis cette époque, ce fils de concierge est royalement méprisé par le fils de bourgeois qui l’a, toutefois, pris comme homme de main. Efficace, il est corvéable à merci et semble être dévoué corps et âme à son maître.

Au sujet du crâne de Landin, il est bon d’y revenir tant son aspect est étonnant. « Autour du crâne », se répartissent quelques cheveux « rares et soyeux », trempés de sueur… trempés de sueur, lorsqu’il s’agit d’annoncer à la famille qu’Oscar s’est suicidé, que la famille est ruinée ! « Et parce qu’il les avait teints, les gouttes de cette sueur couleur de café noir laissaient sur les joues molles des traînées marron. » Drôle de teinture capillaire qui ne présente, visiblement, que peu d’affinités pour la kératine.

Au sujet de ses mains… ce n’est guère mieux. Ses ongles sont, en effet, « rongés » !

Surtout, ne pas inviter Landin à manger chez soi. Par timidité, il ne lève pas la tête de son assiette. « Sa barbe triste participait à toutes les nourritures ».

Entre l’intérieur de cet homme (c’est la bonté-même) et son extérieur (c’est la laideur-même), il y a un monde… Son physique le trahit (« Mais, au-dedans de lui, le sentiment vertueux le baignait […] »). Quel choc pour lui de découvrir dans le bureau d’Oscar un journal intime où il est désigné sous le nom de « l’immonde » !

De quoi refroidir les ardeurs d’un employé modèle… Pas tout de suite, tout de même, puisque le brave homme continue, toutefois, à régler les affaires d’Oscar avant de partir faire fortune dans la capitale.

Et cela va effectivement marcher du tonnerre à Paris. Landin règle ses affaires le jour, mène joyeuse vie la nuit. C’est ainsi que Pierrot Costadot le croisera un soir dans un cabaret. M. Landin prend maintenant soin de son aspect… La teinture bon marché, qui coule sur les joues… c’est du passé. Maintenant, ce sont des cosmétiques de luxe qui viennent au secours de l’épiderme délicat de l’ancien employé modèle. « C’est Landin… Ce monsieur qui sent si bon est Landin… Ce visage aigu, un peu poudré, ombragé par un feutre au bord rabattu sur les yeux est le visage de M. Landin. »

Mme Léonie Costadot, une mère qui ne perd pas le nord

Alors que Mme Révolou met la dernière main à la toilette de sa fille Rose, voilà Mme Costadot qui débarque affolée. « Mme Révolou avait déjà jeté une pélerine de skungs sur sa robe de bal et couvrait d’un dernier nuage de poudre le nez de Rosette. » Léonie, qui a eu vent de la faillite annoncée des Révolou, vient battre le fer tant qu’il est chaud. Elle ne repartira qu’une reconnaissance de dettes à la main. Le notaire lui a, en effet, placé une forte somme d’argent qu’elle compte bien récupérer !

Léonie, une mère peu aimante qui néglige ses fils Pierre et Robert pour l’aîné de la fratrie, un débauché prénommé Gaston. Seul celui-ci mérite son amour, son estime ! C’est d’ailleurs Gaston, rappelons-le qui, en piquant la maîtresse d’Oscar, déclenche le séisme !

Pierre Costadot, un jeune poète que les coups de soleil inspirent

Pierre est un jeune garçon de 18 ans, dont les cheveux sont « d’un blond roux ». Pierre les a « presque bouclés », contrairement à ceux de son frère Robert, qui sont « aplatis, partagés d’une raie ». Pierre, le poète, l’ami de Denis Révolou, ou plutôt l’ex-ami après le cyclone qui s’abat sur la famille, est secrètement amoureux de Rose.

Lorsque Rose se fait larguer par Robert, c’est Pierre qui la ramasse à la petite cuillère, lui faisant comprendre que, depuis des années, elle est sa muse.

Pierre se souvient, en effet, de cet été, il y a 2 ans. « Tu te rappelles Pontaillac, disait-il, la plage… 2 ans déjà… Nous nous séchions au soleil… » Et en observant furtivement la peau de Rose, l’inspiration était venue… « C’est drôle de penser que j’avais été inspiré par tes coups de soleil, tu te rappelles ? »

Et Pierre de déclamer le poème en question : « Je cherche sur ton corps des pistes étrangères/ Tu dis : « C’est le soleil qui me brûla… » Tu dis/: « Ma gorge s’est offerte aux flèches du midi,/Mes bras se sont meurtris en dormant sur la terre »/Mais sur ce corps plus roux qu’un désert et plus nu,/les pistes que je suis ont d’étranges méandres. »

Les paroles du poète n’atteindront pas le cœur de la belle Rose

Robert Costadot, un coureur… de dotes comme son nom l’indique

Robert aimait une Rose fortunée. Robert était séduit par une Rose raffinée, bien coiffée, joliment apprêtée. Robert n’aime plus la Rose à l’état brut, qui travaille chez un libraire… « Pardonne-moi, je ne t’aime plus. »

Ce jeune homme de 23 ans, aux cheveux « d’un roux sombre », qui sent « le parfum de tabac et d’ambre », n’est, finalement, qu’un séducteur. Mais peut-on lui en vouloir de reculer devant l’idée de devoir entretenir en plus de sa chère et tendre, une famille entière ?

Une histoire qui commence par un drame et finit par un… drame ausssi !

Premières pages : le suicide de M. Révolou. Dernières pages : l’assassinat de M. Landin. Et un Pierrot bien embêté qui, ayant passé la soirée avec Landin, a peur d’être soupçonné.

Pour brouiller les pistes, pour ne plus être semblable au portrait-robot diffusé par la police, Pierre se fait « couper les cheveux le plus court possible ».

Et puis aussi Lucienne qui meurt d’un cancer de l’utérus. Et Julien qui se laisse mourir au fond de son lit !

Et Pierre, l’incompris, le soupirant ignoré, qui s’expatrie ! Rose, en décachetant la lettre adressée par lui, comprendra (mais trop tard !) la force de cet amour : « Rose remit la lettre dans son sac et poudra ses joues brûlantes. »

Les chemins de la mer, en bref

Difficile de faire cohabiter dans un même château une jeune femme issue de la paysannerie (elle veut faire boire à son nourrisson de la soupe ! Elle, c’est Rose devenue l’épouse de Denis) et une jeune femme de la bonne société, élevée dans la dentelle. Il y en a une de trop… Rose le comprendra très vite et partira pour Bordeaux avec comme seul bagage « sa trousse de vermeil ».

Dans ce roman, certains dégringolent de l’échelle sociale, d’autres se hissent à la force du poignet. Amour et argent ne cessent de jouer à cache-cache.

Et on se souviendra longtemps de ce roman et de sa bizarrerie cosmétique : une teinture qui se fait la malle lavée par la sueur !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Mauriac F., Les chemins de la mer, Grasset Ed., 1999, 322 p.

 

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