Nos regards
Une histoire de cosmétiques trafiqués à faire frémir !

> 18 mars 2021

Une histoire de cosmétiques trafiqués à faire frémir !

Dans Alice et le fantôme,1 la célèbre détective accompagnée de ses deux fidèles acolytes, Bess et Marion, est une fois de plus chargée par son père, James Roy, de débrouiller une affaire un peu compliquée. Il va s’agir, pour les trois jeunes filles, de se rendre à Clinville, une charmante station balnéaire, auprès de Mme Chartrey, une vieille dame, qui vient de se faire dépouiller de ses économies par une bande d’aigrefins audacieux. Pour subvenir à ses besoins, la vieille femme est même obligée de se remettre au travail, en tenant un salon de thé. Il faut absolument mettre la main sur les voleurs qui ont arnaqué la vieille dame. Il serait bien aussi de s’occuper du fantôme qui apparaît dans la Grotte Bleue et terrorise touristes et habitants du lieu. Bref, une jolie enquête en perspective.

Canalet, 1 heure d’arrêt, tout le monde descend !

Sur la route qui mène à Clinville, Alice, au volant de son célèbre cabriolet, file comme le vent. A l’arrivée à Canalet, l’heure du déjeuner est largement dépassée. Il est temps de s’arrêter pour dévorer crustacés et fruits de mer à La Bonne Auberge. Et puis, on se dégourdit un peu les jambes en flânant dans la rue principale de ce charmant village. Une gitane (Mme Jeanne, comme on l’apprendra plus tard), qui pousse une petite charrette, se propose de vendre à ces jeunes filles chics toutes sortes de produits de beauté. Bess, la plus coquette, craque pour un « grand poudrier de laque rouge », en « forme de cœur », qui contient un fard pour les joues. Un peu cher, toutefois, ce poudrier de luxe ! 7 dollars pour un article qui, en parfumerie, serait trouvé pour une somme plus modique (3 dollars à tout casser !). Puisque Bess ne veut pas mettre aussi cher dans un produit de maquillage, l’habile vendeuse lui met sous le nez un parfum enchanteur, à l’« odeur délicieuse ». Et cela fonctionne à merveille. Bess, « incapable de résister à la tentation d’acheter quelque chose », s’empare d’un « petit flacon de parfum », d’un « tube de rouge » et d’une « boîte de poudre ». Les produits « Mon Cœur » sont de marque française. Bess n’est pas la seule à craquer... de nombreuses jeunes filles affluent autour de la baladeuse, « fascinées » par la diversité des produits vendus. L’une d’elle repart avec un parfum, du rouge à lèvres, un blush, un poudrier... le tout pour la somme de 5 dollars. A ce tarif, la gitane maquille la cliente en un tournemain (« Elle appliqua en un tournemain crème, fard et poudre sur le visage de sa cliente, sans pour cela interrompre son boniment. ») ; le maquillage est peu réussi, si l’on en croit la mère de la victime : « C’est vous qui lui avez vendu cette peinture rouge qu’elle s’est passée sur la figure ! » La petite Minnie (la jeune fille en question) a été volée crie la paysanne pleine de bon sens. « Cette fille est une voleuse ! Elle a pris l’argent de ma petite Minnie sous prétexte de lui vendre je ne sais quelle camelote à se mettre sur la figure. »

Les cosmétiques « Mon Cœur », des cosmétiques de piètre qualité

A peine dans la voiture, Bess ouvre son flacon de parfum et déchante complètement. « C’est une véritable escroquerie, déclara-t-elle, car ceci ne ressemble pas du tout à l’échantillon que l’on m’a fait respirer. » Marion, bien entendu, moqueuse comme toujours, en rajoute une couche en feignant l’évanouissement. « Mon Dieu, j’ai bien peur qu’en respirant cela tes soupirants ne tombent comme des mouches s’écria-t-elle. ». Pour en avoir le cœur net, Alice se rend chez Paul Robinson, un chimiste recommandé par Ned Nickerson, son chevalier servant. Le résultat des analyses est éloquent. « L’échantillon de parfum n’était que de l’eau teintée et aromatisée » ; la poudre, un mélange de craie et de farine de riz ; le rouge à lèvres, une association de « cire et de margarine auquel on a ajouté un colorant bon marché, et qui est extrêmement nocif ».

La mère Mathilde, experte en l’art de fabriquer des bougies parfumées, a, elle aussi, été dupée par la gitane. Alors qu’elle est en train de mettre la touche finale à sa dernière production, la vieille dame s’inquiète : « Je ne parviens pas à réussir ma pâte ». La cire et le parfum « Mon Cœur » refusent de se mélanger... la préparation ne veut pas adhérer à la mèche ; l’odeur qui se dégage de l’ensemble est loin d’être agréable. Un désastre, du jamais vu en 30 ans d’exercice. L’échantillon, agité sous le nez de la mère Mathilde, lors de la vente ne correspond pas au contenu des trois flacons achetés. 

Les cosmétiques « Mon Cœur », une vaste escroquerie

Dans cette sordide affaire, nous nous heurtons à M. Papier, un triste individu, qui dépouille les gens trop crédules, en leur extorquant leur économie ; l’affaire semble pourtant saine à l’écouter. Prendre des parts dans une « société prospère », qui vend des cosmétiques dans le monde entier, puis récolter des bénéfices importants ! Le rêve ! Sont ainsi tombés dans le panneau Mme Chartrey, Mme Mathilde, Mme Pallet, Mme Florent, M. Thomas et bien d’autres encore sûrement.

Les cosmétiques « Mon Cœur », un mannequin qui s’est fait avoir

Minnie, la jeune fille qui a acheté des cosmétiques à la gitane, est désormais mannequin pour la marque « Mon Coeur ». « La fille était fardée outrageusement, et ses lèvres d’un rouge agressif tranchaient sur sa figure enfarinée comme celle d’un mitron. » Plus facile et mieux payé que le travail à la ferme, le rôle de représentation qui lui est offert la comble visiblement. Trente dollars par semaine, pour jouer une petite comédie sur le podium des grands hôtels. Premier plan, Minnie, « laide comme un pou », joue les repoussoirs ; deuxième plan, Minnie maquillée, avec soin par Mme Jeanne, apparaît dans toute sa splendeur ! Tout cela jusqu’au jour où elle reste plantée là, laissée pour compte. Le retour à la ferme... s’impose.

Et un vieil homme, collectionneur de cloches

Dans le salon de thé de Mme Chartrey, Alice, Bess et Marion, un tablier coquettement noué autour de la taille, se mettent à jouer les professionnelles de la restauration, du fait de la défection de ses serveuses. L’occasion pour Alice de faire connaissance avec un vieux monsieur, collectionneur de cloches et érudit sur cette question, un certain M. Arthur Hendrick. Un candidat idéal pour un dîner de cons. Un vainqueur en puissance ; un type spécialiste des cloches du XVIIIe siècle qui peut en parler à loisir ! Cet esthète est, par ailleurs, à la recherche d’une cloche de prix volée à l’un de ses ancêtres, lui-même spécialiste dans l’art de fondre et de sonner les cloches !

Et une grotte qui renferme une petite industrie clandestine

Au bout d’un souterrain, Alice découvre une industrie clandestine. Des étagères chargées de flacons et de récipients remplis de liquides diversement colorés et de poudres attendent le chimiste en charge de produire des cosmétiques d’une qualité plus que douteuse. Les cosmétiques « Mon Coeur » et « Gai Carillon » sont ainsi produits, en dépit du bon sens, dans un local à la propreté douteuse.

Et de l’action

Alice va être droguée, au cours de cette enquête (« Alice rêvait qu’elle était étendue sur l’herbe moelleuse et parfumée d’une prairie »). Son père, James Roy, va subir le même traitement ; un narcotique le laisse pantelant dans un hôtel de seconde zone ! Alice va manquer se noyer sous les flots impétueux de la Grotte Bleue ! Elle va finir par démasquer la bande des cosmétiques trafiqués, « Mon Coeur » et « Gai Carillon » !

Alice et le fantôme, en bref

Alice et le fantôme comble, bien sûr, les amateurs de cosmétiques, sous toutes leurs formes. Des parfums trafiqués, des rouges à lèvres dangereux, du fait de l’incorporation d’un colorant nuisible, une unité de production, dans un souterrain poussiéreux et humide, loin des bonnes pratiques de fabrication, un chimiste sans vergogne qui réalise des mélanges douteux et met au point un « corps extrêmement volatil », à effet narcotique qui se répand sur la lande, lorsque les curieux s’approchent un peu trop près de son repaire... Un fantôme, une grotte dangereuse qui se remplit d’eau subitement. Autant d’ingrédients captivants qui se conjuguent pour faire de ce roman l’un des plus réussis de la série.

Bibliographie

1 Quine C. Alice et le fantôme, Hachette, 1978, 181 pages

Ces sujets peuvent vous intéresser :

Retour aux regards