> 05 février 2022
Drôle d’histoire que celle de M. Chabre, un rentier enrichi dans le commerce du grain qui, à 45 ans, désespère de devenir père.1 Sa jeune épouse âgée de 22 ans, Estelle Catinot, paraît, pourtant, solidement bâtie et possède l’étoffe d’une mère. Le médecin de famille, fort de son expérience en la matière, ne voit qu’une solution à cette pathologie... les bains de mer. M. Chabre y consommera des coquillages à profusion, excellent remède pour réveiller les sens et atteindre l’objectif voulu. Direction : le Pouliguen ! Seul problème, tous les logements sont loués. On se rabat donc sur Guérande, un « bijou médiéval », qui ne semble guère attrayant pour un couple de vacanciers. Oui, mais voilà que la sortie de la messe réserve une belle surprise à Estelle. Un « grand jeune homme », d’une vingtaine d’années, attire, tout de suite, les regards de la belle. Une baignade à deux (avec Hector, le grand jeune homme aperçu dès le jour de l’arrivée). Une promenade romantique dans le cimetière de Piriac où poussent des « fenouils gigantesques », à l’odeur « pénétrante » . Une escapade dans une grotte (la « grotte à Madame ») dont les parois ont le « poli » et le « luisant » d’une agate... Autant d’étapes qui mèneront, Estelle, tout droit, sur le chemin de la maternité.
M. Chabre trimballe, durant toute cette nouvelle, une « face blême » et une humeur grisâtre. Depuis la jetée, où il observe sa femme s’ébattre dans l’eau, M. Chabre, tout de noir vêtu, un chapeau vissé sur la tête et une « ombrelle de touriste, à doublure verte » à la main, s’impatiente parfois un peu, lorsque le soleil est par trop ardent. Ayant horreur de l’eau, ayant horreur du soleil, ayant horreur de la chaleur, M. Chabre imprime, parfois, à « son ombrelle un mouvement de rotation », « vif dans l’espoir de se donner de l’air ». Il est venu ici pour manger des coquillages et il les prend comme on avale un mauvais remède, tant il a été habitué à une « cuisine bourgeoise, fade et lavée ». « M. Chabre digérait ses coquillages sous la percaline verte de son ombrelle, qu’il ne quittait jamais. » Un jour de forte marée, Hector et Estelle se retrouveront bloqués dans une grotte isolée ; M. Chabre, quant à lui, restera bien gentiment à pieds secs, sous son ombrelle, et reviendra à Piriac sans y voir à mal. « Comme le soleil se couchait, il ferma son ombrelle et s’en servit en guise de canne. »
La toute jeune Mme Chabre, Estelle pour les intimes, est une jolie femme au « teint de pêche mûre », aux « cheveux couleur de soleil » et aux yeux bleu vert. En se promenant dans Guérande, Estelle laisse tomber, comme à plaisir, « le nœud » de son ombrelle... Petit signal en direction d’Hector qui passe par là... Et la conversation de s’engager ! Quelle plage pourrait-il bien conseiller ? Celle de Piriac pardi ! Et de fait, Piriac s’avère une plage délicieuse. Estelle s’y baigne avec bonheur, sous le regard attentif d’un époux qui observe ses jeux nautiques de loin. Un costume de bain « fait d’une seule pièce », laissant apercevoir des « jambes blanches » et des « bras blancs »... Des cheveux protégés par « un bonnet de caoutchouc » ou par « un chapeau de paille ». Emile Zola, dans l’intervalle de 2 lignes, troque le bonnet contre le chapeau, ce qui paraît d’autant plus étonnant qu’Estelle fait la planche dans la mer. Estelle barbote dans une eau aussi soyeuse que « du lait ».
Hector est une jeune homme « très blanc de peau », « les cheveux d’un blond fauve ». Lorsque l’occasion se présente d’offrir à Estelle des hommages appuyés, il ne passe pas son tour. Dans la « grotte à Madame », les parois sont aussi lisses qu’un carrelage de salle de bains ; la marée y a laissé une « odeur irritante, chargée de désirs », une « odeur de fécondité » qui donne des idées !
Entre les « souffles d’anis » des fenouils géants et l’odeur iodée des algues qui viennent se perdre dans la « grotte à Madame », Estelle est véritablement prise au piège. Cette amoureuse des bains de mer, mariée à un homme d’âge mûr timoré, va voir sa vie transformée l’espace d’un été. Ah au fait, cette cure de coquillages et d’air marin s’est avérée fructueuse, dit-on. Neuf mois après ses vacances réussies, est né un petit Chabre...
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette illustration qui invite à une escapade au bord de la mer !
1 Zola E., Les coquillages de M. Chabre, in Contes et nouvelles 2 (1875 - 1899), Flammarion, Paris, 2008, 337 pages
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