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Une héroïne qui dort avec des papillotes sur la tête, c’est encore un coup de Daphné du Maurier !

> 12 mars 2022

Une héroïne qui dort avec des papillotes sur la tête, c’est encore un coup de Daphné du Maurier !

Dans son roman Le général du roi, Daphné du Maurier se glisse aux côtés d’une jeune fille de bonne famille, prête à tout envoyer bouler par amour pour un bel officier.1 Honor porte des papillotes, la nuit (les papillotes sont en quelque sorte les ancêtres des bigoudis), se fait moquer par Richard qui trouve ces accessoires bien incommodes et fort peu romantiques. Richard se glisse dans la chambre d’Honor, manipule ses peignes et ses brosses avec bonheur, se comporte comme un vieux mari avant de prendre la poudre d’escampette pour ne plus jamais revenir. Les amours de Richard et d’Honor ne sont pas des plus simples. Il faut arriver à suivre... Si ces deux-là ont partagé un cabinet de toilette, ils ne vieilliront pourtant pas ensemble, le destin en a décidé autrement. En ce milieu du XVIIe siècle, c’est la guerre civile en Angleterre... Malheur aux perdants !

Honor Harris, papillotes, lotion pour les mains et le visage, poudre de riz et fard à joue rouge

Honor Harris est la petite dernière d’une famille de hobereaux installés en Cornouailles. C’est la « beauté de la famille » ! C’est elle, qui clouée dans un lit - Honor a fait une chute de cheval étant jeune fille - va rédiger ses mémoires et rendre hommage aux personnes qui l’ont côtoyée. Richard, l’amoureux des premiers jours, sera, bien évidemment, aux premières loges.

Dans la maison familiale, à Lanrest, il fait bon vivre dans le « parfum si cher du foin chaud, porté par le vent léger ». Trente ans après, Honor a toujours dans sa mémoire olfactive l’odeur des blés cultivés par le paterfamilias. « Je sens l’odeur du grain doré et poussiéreux. »

Et puis, lors d’un banquet en l’honneur du duc de Buckingham, voici le séduisant duc qui l’enrobe d’un « nuage de velours et de parfum ». Sans succès... L’atmosphère est lourde dans la salle de réception, « une atmosphère lourde de parfum, de velours et de soie, de l’odeur des mets recherchés » et Honor, peu habituée à la boisson et aux mets un peu trop riches, se trouve mal. C’est Richard Grenville qui jouera les infirmiers et tirera les marrons du feu. Honor, 18 printemps, est sous le charme du terrible Richard, un cruel guerrier de 10 ans son aîné. Promise à Edward Champernowne, Honor fait la forte tête et refuse tout net une union qui ne lui convient pas. C’est Richard, l’élu. Un amoureux retrouvé tous les soirs dans les branches d’un poirier... Un amoureux qui aurait pu devenir un époux si une vilaine chute de cheval n’avait pas brisé les jambes et l’avenir de la jeune fille. Infirme... Honor est désormais une infirme qui, drapée dans son orgueil, ne consentira jamais à épouser l’homme de sa vie.

Quinze ans après la première rencontre, quinze ans après le flirt au milieu des fleurs de poirier, Honor retrouve Richard chez sa sœur Mary, à Menabilly, en de bien tristes circonstances. La guerre civile oppose deux factions ; le roi et le parlement divisent la population en deux clans qui arment des volontaires prêts à combattre. A 33 ans, Honor, venue se réfugier parmi les siens, est toujours une beauté, même si son teint est plus pâle qu’autrefois et si sa peau s’est désormais un peu ridée. Ses admirables cheveux sont encore et toujours son point fort. « Les cheveux étaient ce que j’avais de mieux. Matty en était très fière et les brossait des heures entières pour les faire plus brillants. » Matty, la fidèle Matty, n’est autre qu’une servante qui brosse les cheveux d’Honor, « une bonne partie de la matinée » et pose des papillotes le soir au coucher. « Elle mouille une papillote avec sa langue et fait la boucle. » Elle « frictionne » également « les jambes et le dos » d’Honor « avec une composition que les médecins lui ont donnée. »

Pour séduire à nouveau Richard, Honor déploie son capillaire et met « de la poudre et du rouge » sur ses joues. Elle « frotte » aussi « quelques gouttes de lotion » sur ses mains et son visage, afin d’être la plus présentable possible.

Mais il ne faut pas croire que les deux tourtereaux pourront vivre paisiblement à Menabilly. On est en pleine guerre. Les espions rôdent, les traîtres aussi. Richard se glisse dans la demeure à la nuit tombée et ne donne plus signe de vie lorsque les hommes du Parlement viennent prendre possession du domaine. Honor se souviendra longtemps de « l’odeur de la viande de cheval et de la puanteur de la soldatesque en sueur » qui montent jusqu’à ses narines. L’armée saccage tout sur son passage. « Odeur de brûlé » garantie.

Richard est blessé, Honor se porte à son chevet. « Je sens encore la fumée de bois des feux montant bleue dans l’air ». Les soldats de Richard portent beau. « Ils avaient tous la peau bronzée et propre », par opposition aux troupes d’occupation, « sales et négligées ». Richard est un meneur d’hommes.

Richard Grenvile, perruque noire, boucles d’oreille rutilantes

Richard Grenvile est un bel homme, aux cheveux « auburn », aux « cheveux rouges » autrement dit, des cheveux incandescents, « à s’y chauffer les mains », à s’y brûler le cœur. Des yeux « brun, doré ». Et des « petits anneaux d’or » qui brillent à ses oreilles. Ce colonel de l’armée royale n’en est ni à sa première ni à sa dernière conquête. Pourtant, Honor tiendra toujours une place de choix dans le cœur de l’officier. Une chute de cheval qui brise deux destins... Richard tente de se consoler, sur un plan pécunière tout au moins, dans les bras d’une jeune veuve fort riche, lady Howard. Il s’en séparera bien vite… après en avoir eu deux enfants…

Quinze ans après les soirées enchantées passées avec Honor dans un poirier, Richard refait surface. « La peau était plus brune, hâlée, on lui voyait quelques rides sous les yeux. » Une mèche blanche est venue semer la zizanie dans sa chevelure fauve. Viendra un temps où une perruque noire et bouclée viendra garantir l’anonymat de celui qui ne doit pas tomber entre les mains de l’ennemi.

Jack Grenvile, cheveux roux et bain moussant

Le neveu de Richard est un jeune lieutenant de belle prestance. Que de souvenirs lorsqu’Honor croise le regard de celui qu’elle a connu tout enfant. « Je me rappelais aussi lui avoir fait prendre un bain lors de cette mémorable visite à Stowe en 28, mais je m’abstins de le lui dire. »

Gartred Grenvile, cheveux roux et peau parfumée

Gartred est marié à Kit, le frère aîné d’Honor. Les Grenvile, riche et noble famille, n’hésitent pas à établir des liens avec les Harris ; Kit est l’héritier d’un oncle aisé, Christopher de Radford. Chez les Grenvile, « les draps étaient changés tous les jours, et parfumés ». Chez Kit, un luxe un peu moins raffiné et surtout une incompatibilité d’humeur qui va mener les époux à la séparation.

Les Grenvile possèdent tous des cheveux auburn caractéristiques, à l’exception de Gartred, qui arbore une blondeur de blé. Une blondeur qui s’affadira au fil du temps, au point de nécessiter le recours à une teinture, afin de retrouver l’éclat d’antan. « L’art ayant tenu conseil avec la nature », les cheveux de Gartred paraitront, désormais, encore plus dorés qu’auparavant. Et puis, viendra le temps des cheveux argentés. Pénurie de teinture capillaire, manque de temps, conditions défavorables ? La précision n’est pas donnée !

Comment mieux décrire Gartred qu’en utilisant une métaphore florale... Gartred, c’est une orchidée ! « Son parfum emplissait la serre, une odeur de miel, douce, maladive ». Comme l’orchidée de la serre, Gartred est une beauté empoisonnée. Bien fol qui s’y fie !

Gartred, c’est aussi une beauté sophistiquée, qui use d’une « minuscule paire de ciseaux de nacre » pour se faire les ongles, des griffes plutôt. Gartred ne caresse pas ; elle lacère.

Le général du roi, en bref

Daphné nous fait remonter le temps, en nous racontant l’histoire d’amour impossible entre une jeune fille en fleur et un jeune soldat aguerri et cruel, sur fond de guerre fratricide. Comme souvent, elle se balade nez au vent, narines frémissantes, pour mieux recueillir tous les effluves du passé. Les feux de camps, l’orchidée de la serre surchauffée, les cosmétiques parfumés qui garnissent les tables de toilette, les mets précieux, servis lors de banquets prestigieux... toutes les notes olfactives sont collectées et conservées pieusement entre les pages de ces mémoires tourbillonnantes. Entre les armées du roi et les armées du parlement on s’y perd un peu. Dans l’arbre généalogique de la belle Honor (entre les nombreux frères et sœurs, assortis de tout aussi nombreux beaux-frères et belles-sœurs), on s’y perd franchement... Pas de souci, on continue la lecture quand même, afin de suivre au plus près les aventures du couple, star de ce roman pas comme les autres.

Bibliographie

1 du Maurier D., Le général du roi, Le livre de Poche, 2020, 569 pages

 

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