> 05 octobre 2024
Tout avait commencé par une soirée entre amis.1 Les Maigret invités chez les Pardon. Une soirée paisible, jusqu’au moment où le Dr Pardon est appelé par un voisin, au secours d’un jeune homme d’une vingtaine d’années, poignardé de 7 coups de couteau, dans la rue. Le commissaire Jules Maigret, qui a 63 ans (l’âge de la retraite vient d’être portée à 68 ans !), va prendre l’affaire à bras-le-corps. Le jeune homme, tué à la sortie d’un café, est un garçon de bonne famille, habitué à rôder dans les endroits publics, un magnétophone autour du cou, en quête de sons inédits. Ce jeune sociologue se plaît à enregistrer les conversations du quotidien, afin de créer une banque de données, permettant de cartographier les grands types humains. Un chercheur en somme… un chercheur qui a trouvé sur sa route un obstacle, un homme à qui ce passe-temps n’a pas plu…
Après le dîner, les dames causent au salon, pendant que les messieurs discutent dans le bureau du Dr Pardon. Celui-ci mélange vie privée et vie professionnelle, puisque son bureau-salle de consultation est au cœur de son appartement. Assis dans le « fauteuil rigide réservé au malade », Jules Maigret hume l’air… Il y reconnaît une odeur spéciale, une « odeur particulière », « une odeur qui n’était pas sans rappeler celle des postes de police. Une odeur de pauvre ». Car, comme on peut le supposer, le Dr Pardon n’est pas un médecin mondain !
Le jeune homme s’est fait tuer au sortir d’un bar « à l’ancienne mode, avec de la sciure de bois sur le plancher et une forte odeur de vin et d’alcool. » Le bar des copains, en somme !
Le mort est un tout jeune fils de famille, nommé Antoine Batille. Il s’agit du fils du « propriétaire des parfums et des produits de beauté Mylène. » Ce jeune homme porte les cheveux longs. De quoi se scandaliser un peu, eu égard au milieu d’où il vient.
D’ailleurs, les pompes funèbres, sur ordre de la famille, ont effectué quelques soins esthétiques, avant de le placer dans son cercueil. « Non seulement on l’avait rasé, mais on avait coupé ses cheveux longs, sans doute pour que ceux qui défilaient ne le prennent pas pour un hippie. » Il y a, en effet, du monde à défiler devant la dépouille du jeune homme, avant son enterrement.
Antoine Batille… un garçon, qui a passé toute sa jeunesse en lutte contre son milieu, ses parents. Non, il ne portera pas les cheveux courts ; non, il n’ira pas à la « Faculté des Sciences », pour faire « sa chimie » et « reprendre » l’affaire familiale. Oui, il portera les cheveux longs et tant pis si cela donne « mauvais genre » ! Oui, il ira à la Sorbonne, pour faire des études littéraires. Oui, il se passionnera pour la sociologie !
Oui, Antoine a honte de son milieu, « honte d’être le fils des parfums Mylène » !
Dérouté, le brave commissaire… le voilà rendu chez un magnat de la beauté ! « Il s’y connaissait si peu en produits de beauté ! Et ce n’était pas Mme Maigret, qui ne se servait que d’un peu de poudre, qui aurait pu le tenir au courant. »
Il s’y connait peu en cosmétiques, le commissaire Maigret et, pourtant, il en utilise sans le savoir, comme tout le monde. « Il se mit en pyjama, alla se brosser les dents, et un quart d’heure plus tard, le sang un peu à la tête, à cause du grog, il était couché près de Mme Maigret. »
Et il se brosse soigneusement les dents, dans cet opus, le cher Jules. En revenant du cinéma (il y a vu un « vieux film américain avec Gary Cooper »), il est en train de se brosser les dents, lorsqu’un inspecteur (à 22h45) le renseigne sur l’état d’avancement de l’enquête.
Et il se rase aussi, bien évidemment, tous les matins, sur le coup de 7h30 !
Et rapidement, Maigret va comprendre qu’il a affaire à des gens célèbres, car « à peu près personne n’ignorait les parfums Mylène. » Tout le monde connaît ces produits… tout le monde sauf Jules, apparemment !
Mme Maigret suit de loin chaque enquête. Elle sait donc que pour cette fois son époux va devoir enquêter dans un univers luxueux.
Dialogue le soir du décès :
Jules : « Tu connais les parfums Mylène ? »
Mme Maigret : « Bien sûr…. Tout le monde… »
Jules : « Et bien, c’est eux… »
Et Mme Maigret discrètement suit les avancées de l’enquête et se retrouve même en fin d’opus en prise directe avec le tueur, qui est venu au domicile du commissaire faire des aveux complets.
Il a 44-45 ans. Il est jeune. Il est beau. Il est élégant.
Elle s’appelle Martine. Elle est jeune. Elle est belle. Elle est élégante.
Elle s’appelle Monique. On l’appelle Minou. Elle a 18 ans. Elle est « longue et mince » et s’habille comme les jeunes filles de son temps, d’un pantalon moulant et d’une blouse « transparente » !
Elle n’a pas honte de son milieu ; elle en profite à fond, sortant chaque soir et menant joyeuse vie.
A l’enterrement tout le « personnel des parfums Mylène » est là. « Des jeunes filles et des jeunes femmes », « jolies, vêtues avec une élégance qui, dans le soleil du matin, avait quelque chose d’un peu agressif. » « Le haut personnel des parfums et des produits de beauté » Mylène est aux premières loges, à côté des parents proches et/ou lointains.
Un gars, « bâti comme un professeur de culture physique », un « rougeaud à la cicatrice »… voilà les premiers suspects.
Maigret a éliminé rapidement la piste du voyou dont Antoine aurait capté la voix. Un voyou, qui aurait fomenté un mauvais coup. Maigret sent qu’il y a autre chose… et il a raison, puisque le meurtrier est un jeune homme bien ordinaire… un certain Robert Bureau, employé… de bureau ! Ce jeune homme, qui a des pulsions de meurtre depuis l’adolescence (il a d’ailleurs déjà tué un camarade d’école), est celui qui a bardé le corps d’Antoine de coups de couteau. Comme cela… pour répondre à une pulsion, un soir de tempête !
Un gars, qui a « la manie des canifs », qu’il collectionne depuis son plus jeune âge et qui, malheureusement, s’en est déjà servi par deux fois.
C’est la faute aux médecins, toute cette affaire, semble nous dire Georges Simenon, qui montre les limites de la médecine, en matière de prise en charge de personnes atteintes de troubles psychiatriques sévères. Il en a consulté des médecins, Robert Bureau… des tonnes. Qui n’ont pas pris son cas au sérieux et lui ont conseillé de « l’aspirine », pour traiter ses maux de tête !
Il est amusant de voir à quel point Jules Maigret est dérouté, lorsqu’il enquête dans le milieu de l’industrie cosmétique. Le tueur n’a rien à reprocher à ce fils de bonne famille. Il n’a pas déclenché d’effet indésirable, suite à l’utilisation d’un cosmétique Mylène. Pas plus lui, qu’un membre de sa famille. Il ne connaît pas Antoine, mais son bras se lève pourtant 7 fois pour porter atteinte, rageusement, au corps du jeune homme.
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Simenon G., Maigret et le tueur, France-Loisirs, Paris, 1975, 253 pages