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Une cardiologue qui se fait shampooineuse pour mieux atteindre les cœurs !

> 18 juillet 2021

Une cardiologue qui se fait shampooineuse pour mieux atteindre les cœurs !

Si pour le poète Alfred de Musset, se frapper le cœur est nécessaire pour faire de la bonne poésie, cette opération revêt, pour Diane, un caractère salvateur.1 Cette citation d’Alfred de Musset, qui lui est entrée dans le crâne tout enfant, va retentir longtemps dans sa vie. Cardiologue, voilà ce que Diane va devenir... Le médecin qui ausculte les cœurs, les répare, module leurs battements... un bel objectif à atteindre pour celle qui, tout bébé, a senti que le cœur maternel ne battait pas au même tempo que le sien. Avant de trouver l’apaisement dans un travail-passion, Diane découvrira les joies du pillage intellectuel, souffrira dans son amitié et constatera que le mépris doit être économisé avec soin tant il y a de nécessiteux (merci au passage à Chateaubriand pour le conseil !).

Marie, une jeune fille, une jeune femme sans cœur, que taraude un sentiment de jalousie

Marie est une jeune fille âgée de 19 ans, qui se plaît à être le centre du monde. Tout gravite autour de cette belle étoile qui cumule les qualités... Jeune, belle, issue d’un milieu aisé, Marie compte bien jouir de la vie à 100 %. Rien de tel que de sentir la jalousie dans les yeux de ses rivales. Un plaisir dont elle ne se lasse pas. Même vis-à-vis de sa sœur Brigitte, Marie est une vraie toupie ; pauvre Brigitte, mariée à un couvreur (quelle dégringolade) et mère de « deux filles moches » ! La rencontre avec Olivier, un jeune homme très beau, « très brun », fils de pharmacien et futur pharmacien, va venir mettre à mal un avenir que l’on sentait prometteur. Un bébé est en route. Plus question de profiter de la vie, plus question de préparer un mariage en grande pompe. Un mariage en petit comité, petits escarpins beiges, conviendra mieux. On imagine bien, dans ces conditions, que la venue du bébé, une fille, ne va pas être considérée par Marie comme le plus beau jour de sa vie. Quand en plus, Marie se rend compte que le bébé est de toute beauté (et tout le monde de s’esclaffer sur la joliesse de ce nourrisson !) son monde s’écroule. Le monde qui, jusqu’à présent, tournait autour de son axe, est faussé. C’est désormais Diane (avec un nom pareil difficile de lutter !) qui va attirer tous les regards. Jalousie... son nom est écrit, désormais, « sur chaque bouffée d’aurore », « sur la lampe qui s’allume », « sur la lampe qui s’éteint »... au berceau de l’enfant, sur ses « lèvres attentives », ses yeux si profonds que les soleils s’y mirent... et même dans ses couches qu’elle vient de remplir ! Et puis, après Diane, voilà Nicolas qui débarque. Un beau bébé dont Marie n’est, bien évidemment, pas jalouse (« sa mère préférait les garçons »). Et puis, Célia... « potelée comme les bébés des publicités ». Célia qui déclenche chez sa mère des torrents d’amour que l’on ne soupçonnait pas.

Marie, une jeune mère qui sent bon

Diane pour Marie... un paquet encombrant. Un bébé dont on s’occupe parce qu’il le faut bien. Un bébé que l’on ne regarde pas, que l’on ne câline pas. Dommage, plus que dommage, ce désintérêt n’étant pas réciproque. Pour Diane, Marie est une « déesse », à « odeur exquise » (« Cela tenait à l’odeur de sa mère, qui l’emportait sur les fragrances les plus exquises. »). Marie sent « très bon » ; une perception fugace, « agréable », dont se souviendra toujours Diane. Un « parfum d’une suavité ineffable », qui colle assez mal, en fin de compte, avec un tempérament pathologiquement jaloux.

Marie, une jeune mère, véritable égérie cosmétique

Après la naissance de Diane, Marie déprime... Il faut lui trouver une occupation. Pourquoi ne pas suivre des études de comptabilité, afin de seconder son époux à l’officine ? Excellente idée. Marie se révèle une « femme d’affaire avisée », pleine d’ambition pour son entreprise. Le « rayon de produits de beauté » qu’elle décide de créer prospère... la qualité de sa peau étant son meilleur argument de vente. Son « teint frais » et sa « peau rayonnante » constituent autant de preuves de l’efficacité des cosmétiques vendus. Oui, seulement, il faudrait savoir que son beau teint tient plus à son âge (21 ans) qu’aux produits utilisés (par parenthèse, elle n’en utilise aucun !). Lorsqu’on l’interroge sur son produit fétiche, Marie désigne la « crème de soin » la plus onéreuse et le tour est joué. Maligne la pharmacienne par procuration. Elle en profite sûrement au passage pour faire le boniment sur le shampooing aux protéines de soie qui donne à la chevelure une douceur incomparable. Une vraie « caresse soyeuse ». Et encore un peu de pub pour un gommage aux perles de Bora Bora qui, si on veut bien la croire » est à l’origine de la « douceur » de sa peau. Hou, la menteuse !

Mme Testin, une baby-sitter, qui sent mauvais

Lorsque ses parents dînent en ville ou s’absentent, Diane est confiée aux bons soins de Mme Testin, une quinquagénaire au physique ingrat, à l’haleine fétide et... peut-être aux intestins détraqués, si l’on veut compléter le tableau.

Diane, une enfant « sérieuse et si belle »

Diane, sérieuse, belle, « équilibrée », « très soignée » est une petite fille, puis une adolescente (« la plus belle de la classe » n’est pas sujette à l’acné, comme beaucoup de ses camarades), puis une adulte qui a tout pour elle. Tout, sauf l’amour d’une mère. Un camion qui passe par là - Diane n’a pas eu le réflexe de se reculer - va venir rebattre les cartes. Un médecin attentif lui révèle ce que l’amour, l’attention aux autres peut apporter. A 11 ans, Diane l’a décrété... adulte, elle sera médecin. Et puis, surtout fuir le milieu familial. Les parents de son amie Elisabeth Deux l’accueille à bras ouverts. Un bac avec mention astronomique, des études brillantes en faculté de médecine...

Olivia Aubusson, une universitaire qui sent la trahison

Diane et Olivia, un coup de foudre intellectuel. Agée de 40 ans, Olivia est une « petite femme rousse au beau visage imposant ». En « tailleurs pantalons austères », Olivia séduit Diane par ses qualités de pédagogue. Diane se confie ; raconte sa vie ; explique ses motivations à devenir médecin (et de citer la phrase révélatrice : « Frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie. »). Tout va pour le mieux. Diane est admise dans l’intimité d’Olivia. Un mari mathématicien lunaire, une fillette de 12 ans, Mariel, nulle en classe. Olivia, une maître de conférences obsédée par sa santé, pas d’alcool, pas de graisse, pas de sucre. Une « bonne hygiène de vie ». Pas un gramme en trop. Bonjour, l’ambiance.

Diane, la reine des shampooings

Diane, c’est le tuteur de la famille Aubusson. Elle persuade Olivia de passer son habilitation à diriger des recherches (HDR), ce qui la conduira, logiquement, au grade de professeur. Diane se charge des cours d’Olivia, tout en rédigeant sa propre thèse, tout en coachant Olivia pour son HDR, tout en donnant des cours particuliers à Mariel. Et tout réussit. Olivia brille à sa soutenance de HDR ; elle s’approprie, au passage, l’histoire de Diane quant à la naissance de sa vocation. Et puis, Olivia prend le melon et même la pastèque. Admise dans le club fermé des professeurs d’université, Olivia dédaigne un peu Diane, tout en la gardant sous sa coupe, car il est bien pratique de disposer d’une employée pour rédiger ses publications ou faire les shampooings de Mariel. Mariel et les shampooings, toute une histoire ! Laissée à l’abandon par sa mère, Mariel se trimballe, le plus souvent, avec les cheveux sales. Diane qui veille à tout s’étonne : tu devrais les laver plus souvent. Le problème, c’est que la petite ne sait pas comment s’y prendre. « Diane lui shampooina la chevelure au-dessus de la baignoire. Elle saisit ensuite le sèche-cheveux et conseilla à Mariel de pencher la tête en avant : tandis qu’elle lui séchait les cheveux, elle sentit que la fillette appuyait le front sur son ventre et elle frémit, car elle se rappela avoir eu cette position identique avec sa mère quand celle-ci lui séchait les cheveux, enfant. »

Olivia et Diane, les vases communicants

Quand Olivia se repose, Diane bosse... pour deux. Quand Olivia s’épanouit, Diane se rabougrit. Quand Olivia se repose le jour, Diane travaille la nuit. L’une embellit, devient ravissante, sûre d’elle-même, tandis que l’autre, amaigrie, est « frappée par la sécheresse de son visage », qui nécessite, désormais, une bonne dose de maquillage, pour faire bonne figure. Olivia et l’abstinence, c’est fini. « Je dis toujours que le but de la vie, c’est de boire de grands champagnes ». Pour quelqu’un qui ne buvait pas une goutte d’alcool... il n’y a pas si longtemps, une belle volte-face. Et puis, un jour, tout craque... Diane reprend le contrôle de sa vie. La beauté revient, la sérénité avec. Olivia finira ses jours, dans la nuit du 15 au 16 janvier 2007, 20 coups de couteau dans le cœur.

Frappe-toi le coeur, en bref

Se frapper le cœur, pour faire un mea culpa ? Frapper les autres au cœur, à force de mauvais traitements ? Se rendre compte de ce que l’on fait ? Ne pas en avoir conscience ? Amélie Nothomb multiplie les questions, dans un roman qui met en scène des femmes qui n’ont rien de très maternel. Au milieu de tout cela, il y a un petit bout de femme qui réussit à se construire dans l’adversité. La reine de l’électrocardiogramme, la reine du shampooing !

Bibliographie

1 Nothomb A., Frappe-toi le coeur, Albin Michel, 155 pages, 2019

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