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Une arnaque aux cosmétiques, c’est chez Donna Leon !

> 29 mai 2022

Une arnaque aux cosmétiques, c’est chez Donna Leon !

Tout commence comme dans une chanson de Johnny avec « une chevelure blonde » (celle de Paola, la femme du commissaire Brunetti), « à moitié visible sur son oreiller », semblant « luire sous les rayons de la pleine lune » !1 Le commissaire Brunetti est arraché à son sommeil par une collègue qui lui annonce une agression survenue au pied d’un pont vénitien. Il ne reste plus qu’à se lever et à se rendre sur les lieux. Un blessé, un homme qui est dans le coma et n’en sortira sans doute pas... Voilà la première scène d’un drame qui mènera Guido de l’université (la femme de la victime est universitaire) à la pharmacie en passant par un lycée.

Patta, un supérieur ultra-élégant, ultra-bronzé

Patta est un homme très élégant, dont les costumes et les chaussures sont taillés sur-mesure. Obséquieux devant les nantis, Patta se la coule douce dans son bureau, laissant à Brunetti le soin de se mettre les mains dans le cambouis. « Exhibant son bronzage d’automne », Patta hiberne dans un bureau bien chauffé, pendant que ses collègues se tapent sorties nocturnes et interrogatoires chez l’habitant.

Claudia Griffoni, une collègue ultra-sympathique

Claudia Griffoni est une jeune femme pleine de charme, qui apprécie travailler avec Guido Brunetti, et ceci est parfaitement réciproque. Sur les lieux du crime, Claudia est là... « sans maquillage », des chaussettes marron avec un pantalon noir (incroyable pour celle qui aime, en principe, coordonner ses vêtements avec soin).

La professoressa Crosera, une universitaire ultra-sur le qui-vive

Quelques jours avant que son mari ne se fasse agresser en pleine nuit à deux pas de son domicile, la professoressa Crosera, une collègue de Paola, est venue trouver Brunetti pour un appel à l’aide. Alessandro, son fils de 15 ans, semble se droguer. Le commissaire pourrait-il faire cesser le commerce de drogue qui a lieu au lycée Albertini ? Oui, on peut essayer, concède Guido. Pourtant, avant que Guido n’ait eu le temps d'activer ses indics, voilà le père du jeune homme violemment agressé dans la rue. A l’hôpital, alors que son mari est entre la vie et la mort, la professoressa arrive paniquée, sans un gramme de maquillage sur la peau ou les lèvres. (« Elle n’avait pas mis de rouge à lèvres [...] »). Cette femme, ultra-chic, ultra-cosmétiqué (sa salle de bains, un peu en désordre, regorge de « produits de beauté et de lotions ») est venue, au naturel, dès l’annonce de l’agression dont son mari a été victime.

Tullio Gasparini, une victime ultra-capilleuse

Tullio, le mari de la professoressa, est un expert-comptable qui ne tient pas en place. Changeant d’employeur comme de chemise, Tullio est, semble-t-il, un bon fils qui a renoncé à des postes avantageux, afin de pouvoir rester proche de ses parents malades. Sa chevelure grisonnante, extraordinairement fournie, a de quoi rendre jaloux des gens comme le commissaire qui commence à voir l’arrière de leur crâne se dégarnir. En fouillant dans ses affaires, Guido découvre « des coupons pour des produits de beauté, d’une valeur de 924 euros » au nom de sa tante Matilde Gasparini. Pour le moins étrange !

Matilde Gasparini, une tante ultra-confuse

Matilde Gasparini est une vieille dame ultra-coquette, aux « cheveux roux flamboyant » et à la bouche « aussi rouge que ses cheveux ». Agée de 85 ans, Matilde possède un secret de beauté : « éviter les médecins et utiliser les meilleurs produits de beauté ». Atteinte de la maladie d’Alzheimer, Matilde est parfois dépassée, répondant, avec difficulté, aux questions de Guido et de Claudia, qui s’étonnent de tous ces coupons pour cosmétiques, retrouvés chez elle. Il y en a pour des milliers d’euros. Une petite enquête s’impose à la « pharmacie dela Fontana », puisque c’est là que sont émis ces bons. Mais avant de partir, un petit compliment pour Matilde... « Et votre teint est bien la preuve qu’une femme ne devrait jamais utiliser que les meilleurs produits ».

La signora Beata, une assistante de vie ultra-dévouée

Beata assiste Matilde dans les gestes de sa vie quotidienne. Ce n’est pas toujours facile avec une malade qui change de personnalité et semble se méfier de celle en qui elle avait encore toute confiance il y a quelques années. Les rapports restent, toutefois, assez bons, suffisamment du moins pour que Matilde continue à offrir à son assistante des cosmétiques de luxe comme des tubes de rouges à lèvres, des flacons d’huile de bain, des crèmes pour le visage ou des « tubes de fondotinta » (de fonds de teint). Claudia, qui farfouille dans le sac Hermès renfermant ces cosmétiques, constate que la crème pour le visage retrouvée parmi les produits coûte 97 euros (pour seulement 150 grammes) !

Alessandro Gasparini, un adolescent ultra-mal coiffé

Contrairement à son père, Alessandro ne voue pas un culte à son capillaire. « Il avait rasé les côtés de son crâne et laissé pousser le reste, créant un étrange effet de dégradé. »

Guido Brunetti, un commissaire ultra-sympathique

Le commissaire Brunetti est un bon garçon, un bon collègue, un bon père... le genre à se faire chiper son shampooing favori par son tendre fils, sans réagir (« Une odeur de pin sylvestre embaumait le couloir, ce qui signifiait que Raffi s’était servi du shampooing de son père [...] »). En flânant avec son collègue Lorenzo Vianello du côté du lycée Albertini, Guido se rend compte d’un drôle de petit manège. Les élèves semblent friands de magazines people, achetés à 20 euros l’unité au bureau de tabac du coin. N’y aurait-il pas, en prime, glissés entre les pages, certains petits sachets de poudre blanche ?

Gianluca Fornari, un trafiquant ultra-malade

Au bout du rouleau Gianluca... aux portes de la mort, donc pas vraiment à même d’agresser quelqu’un ! A rayer de la liste des suspects. Ce qui est suspect, en revanche, c’est la couleur des cheveux de Mme Fornari... « Elle était rousse mais ses cheveux avaient blanchi aux racines ».

La pharmacie dela Fontana, le lieu ultra-important

La pharmacie dela Fontana... c’est là que se trouve la clé de l’énigme. C’est le « descendant d’un doge du XVIIe siècle » le dottor Donato qui en est le titulaire. Parmi les employés, Beatrice Rossi, la première fiancée de Guido. Des rides au coin des yeux, mais toujours le même « doux sourire ». Entre deux clients, Beatrice tente de renseigner son ancien camarade de lycée. Pour les coupons, elle n’est pas au courant. Au fil de ses visites à la pharmacie, Guido s’intéressera tour à tour aux shampooings (« et se trouva stupéfait par le nombre de substances qui le composaient. Pourquoi en fallait-il autant ? »), au fil dentaire, aux soies des brosses à dents, aux bains de bouche et enfin aux crèmes solaires. Il prendra même conseil auprès d’un jeune pharmacien sur le sujet... « Ma femme et moi partons en croisière et elle m’a demandé d’acheter de la crème solaire car elle a lu quelque part qu’il faut en porter même l’hiver, surtout en mer. A cause de la réverbération, je crois. Acquiescement du professionnel de santé qui interroge : « le degré de protection souhaité ? ». Bien évidemment, Guido n’en sait rien. SPF, connait pas ! Guido ressortira de la pharmacie avec un « tube jaune » portant la mention « 50 » (« Ce devrait être bon même par grand soleil ») ! Claudia, quant à elle, ressortira les mains vides. Voulant payer 3 tubes de rouge à lèvres avec les coupons de Matilde, Claudia n’obtiendra pas gain de cause. Qu’est-ce que c’est que cette jeune femme qui se fait passer pour la nièce de Matilde alors que celle-ci n’a qu’un neveu ?

Et la dottoressa Ruberti, ultra-suspecte

Surnommée Proust par ses collègues, du fait de la longueur de ses ordonnances, ce médecin a noué des rapports particuliers avec le Dr Donato, mettant au point une arnaque à l’assurance sociale (pour être franches - on n’a pas vraiment bien compris le système). Cette femme qui ne se maquille pas et retient ses cheveux avec des barrettes pour enfants est la complice d’un trafic juteux. Le but est louable : permettre à son fils handicapé d’être pris en charge dans une structure privée onéreuse. Le résultat est condamnable : un crime avec un expert-comptable, qui a flairé la fraude et se retrouve aux portes de la mort. Observant la peau claire, sans aucune tache de vieillesse du Dr Ruberti, Guido philosophe : « Elle avait eu raison d’éviter de bronzer. Certes, elle était médecin et, aujourd’hui, les médecins n’ont de cesse de mettre en garde contre le soleil. » Si elle avait eu raison de se protéger du soleil, elle ne s’était, en revanche, pas protéger l’âme des magouilles et actes malfaisants.

Et de l’humour jaune

Devant une boutique de masques, tenue par un Chinois, Claudia ironise. « Je suis allée chez le coiffeur, la semaine dernière, et la fille qui faisait le shampooing à la vieille dame assise à côté de moi lui a demandé si elle voulait un « traitement anti-jaune ». « Je l’ai interrompue et lui ai dit que c’était une réflexion peu aimable, à mon avis, dans une ville où il y avait autant de résidents chinois. Mais maintenant, je pense que j’aurais pu me dispenser de lui faire ce reproche. »

La tentation du pardon, en bref

Il fait bon se promener à Venise, au bras de Donna Leon. Paola cuisine à merveille (Ah « la subtile odeur de clou de girofle » de son spezzatino di manzo, accompagné de cavolini di Bruxelles alla besciamella !) ; le café servi dans les bars est excellent. Il fait bon flâner sur les quais, en attendant le vaporetto... et en profitant d’un petit rayon de soleil. La vie est belle chez les Brunetti ; on parle littérature sur un coin de canapé, en buvant un bon vin... Seul bémol, le dottor Donato et son « arnaque aux coupons ». Donna Leon règle son compte aux pharmaciens qui font une marge bénéficiaire de 33 % sur les médicaments et de 70 % sur les cosmétiques. Ils ne sont pas tous comme cela, chère Donna Leon !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard pour l'illustration du jour !

Bibliographie

1 Donna Leon, La tentation du pardon, Eds Calmann - Lévy, 2020, 305 pages

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