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Un petit bain pour... Joe Whip

> 22 août 2021

Un petit bain pour... Joe Whip

Tuer le père... Difficile pour un gamin de 14 ans qui n’en n’a pas et n’en n’a d’ailleurs jamais eu. Mis à la porte de chez lui, obligé de faire des tours de cartes dans les bars, pour survivre. Et puis, une drôle de rencontre, un inconnu qui lui glisse dans la main un nom et une adresse et lui dit « vas-y petit, va chez le meilleur magicien de la ville, il te prendra sous son aile » ! Et telle fut l’histoire. Le magicien de renom prit en charge l’enfant avide de conseils. Un enfant captivé par la magie ou par la tricherie ? Difficile à savoir.

Joe, un ado pas gâté par la nature

A 14-16 ans, Joe est un petit gars « morveux, malingre », « pas gâté », par Dame Nature. Très exactement tout le contraire de celui qui va devenir son père d’adoption. ça commence bien !

Une mère, particulièrement vulgaire et désagréable

La mère de Joe Whip, Cassandra, est une belle femme, à « l’haleine de tabac et d’alcool ». Parlant fort, vraisemblablement maquillée fort, Cassandra n’est ni la mère idéale (elle se contrefiche de son fils), ni une maîtresse idéale (elle ne retient jamais le nom de ses amants). Lorsque Joe sénior s’installe à son domicile, le problème de la mémorisation des prénoms est réglé... Oui, mais Joe sénior ne supporte pas Joe junior. C’est ce dernier qui est mis à la porte.

Un père d’adoption, spécialement fort en magie

Norman Terence, 35 ans, beau et « musclé »... Un modèle, un type que l’on envie, à qui l’on aimerait ressembler.

Une belle-mère, franchement attrayante

La compagne de Norman, c’est Christina. 25 ans, pas vraiment l’âge d’être la mère d’un ado de 14 ans. Un ton pourtant infiniment maternel, lorsqu’il s’agit de prendre en charge le jeune garçon. « Distinguée », délicate, certainement maquillée avec la plus grande discrétion, Christina n’est pas du genre beauté « tapageuse ». Avec elle, le bonheur ne fait pas de bruit. « Ses cheveux, sa peau et ses yeux avaient la couleur du caramel. Elle avait grandi au Nouveau-Mexique et disait qu’elle n’y avait jamais connu un jour sans soleil : sa carnation en portait l’empreinte. » Un vrai rayon de Soleil, cette fille, au sens propre, comme au figuré. Un rayon de miel, aussi... qui attire donc forcément les abeilles ! Une « fire dancer » (fire et dancer sont deux mots qui vont très bien ensemble et qui « crépitent » comme un feu de joie), si vous voulez tout savoir... c’est-à-dire une fille qui joue avec le feu, qui jongle avec des bolas enflammés et est passée maître dans sa catégorie. Au Burning Man, le festival qui illumine le désert de Black Rock, Christina est LA meilleure. Déroulant le chignon qui orne le sommet de son crâne, Christina jongle avec ses bolas, au milieu d’une jungle kératineuse, au mépris des consignes de sécurité.

Le bain, le déclic qui vous fait dire : « j’ai une famille »

A peine installé, déjà dans le bain... Joe est prié de prendre un bain, hygiène oblige. « Va prendre un bain, lui dit-elle. Après nous passerons à table. Il obéit. Dans la baignoire il soupira d’aise. Pour la première fois de sa vie, il eut l’impression d’avoir une famille. » Christina est là... et crapoto basta ! Et c’est parti pour une vie parfaitement réglée, avec toilette du soir, toilette du matin, exercices de magie le jour et repas en famille, à heures fixes. Et dire que Christina a vécu, toute son enfance, dans un camp hippie, on a peine à y croire. Ah si, pourtant, il y a un souffle de folie qui passe dans l’air, une fois par an. Le festival Burning Man où le LSD est consommé à même le buvard, un buvard que l’on mâche jusqu’à satiété. Black Rock City, une ville qui pousse comme le champignon de L’étoile mystérieuse et disparait dans un nuage de poussière. Une poussière qui colle à la peau des festivaliers et savonne la peau, plus âprement que le plus alcalin des savons de Marseille. « Cette poudre blanchâtre laissait sur la peau une sensation de savon. L’eau n’en débarrassait pas : seul le vinaigre en venait à bout. » Un savon qui ne lave pas ! Un savon qui enveloppe la peau, comme un cocon protecteur et qui semble rappeler à l’Homme sa destinée finale (« Souviens-toi que tu es né poussière et que tu redeviendras poussière ») « Leur peau savonnée, par le désert, en avait aussi pris la dimension : c’était le territoire immense de la volupté ».

La magie, un tatouage qui ne s’efface jamais

« Joe répéta ses gammes de magicien jusqu’à se les tatouer dans les nerfs [...] » La dextérité manuelle, ce qui reste lorsque l’on a tout oublié, ce qui reste gravé dans la peau des doigts et qu’aucun laser ne pourra venir gommer.

Tuer le père, en bref

Magicien ou pas, lorsque l’on devient père, impossible de tricher. Quand Joe entre dans la vie de Norman, tout bascule. « Il faut croire que j’avais une vocation et qu’elle m’importe davantage » que tout. Paternité rime avec souffrance chez Amélie Nothomb, une souffrance acceptée, consentie, une souffrance à la hauteur de Celui qui, cloué sur une croix, a donné sa vie pour ses enfants. Un roman où l’auteur triche un peu, ne dévoile pas toutes ses cartes d’un seul coup, fait de la misdirection, en attirant notre attention d’un côté, pour mieux nous surprendre de l’autre. Y a un truc diront certains… Oui, c’est évident, y a un truc et ce truc s’appelle talent !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard pour son illustration du jour... Avec Norman Terence, il se trouve en pays de connaissance, car, en plus d'être poète et plasticien, il est aussi... magicien !

Bibliographie

1 Nothomb A., Tuer le père, Albin Michel, 2020, 129 pages

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