Nos regards
Un parfum de sauge, un savon de yucca, un déodorant à la menthe, Elliott Arnold a tout prévu pour nous séduire !

> 14 octobre 2021

Un parfum de sauge, un savon de yucca, un déodorant à la menthe, Elliott Arnold a tout prévu pour nous séduire !

La flèche brisée est le très beau roman d’amitié,1 qui lie un chef indien, Cochise, et un aventurier tour à tour chercheur d’or, chef-postier, éleveur de bétail, soldat... Des supplices atroces... le lecteur de cet ouvrage se souviendra longtemps du Mexicain qui meurt sous les yeux de Cochise, dans de terribles souffrances (enterré jusqu’au cou, celui-ci est la proie des fourmis attirées par le sirop qui a coulé sur sa tête !), des hommes de bonne volonté (le général Howard Sladen), des hommes de mauvaise volonté (l’arrogant Bascom et son entêtement à décréter coupable la tribu de Cochise de l’enlèvement d’un enfant américain)... deux jeunes filles pleines de charme, une rousse, une brune. Le désert, comme décor grandiose. La sauge et le yucca pour se parfumer et se laver. Tous les ingrédients sont réunis pour passer quelques bonnes soirées, au coin du feu de camp, avant de rentrer dormir dans un tipi en peau de chevreuil sous une couette en peaux de lapins !

Thomas Jeffords, un Américain qui aime les Indiens

Thomas Jeffords est un jeune homme de 25 ans, défenseur des Indiens (il a appris leur langue pour pouvoir communiquer avec eux et comprendre leurs traditions), prêt à s’engager à leurs côtés, dans un processus de paix. Et pour commencer, Tom obtient l’immunité pour les porteurs de courriers. Alors que les convois de vivres et/ou de personnes continuent à être attaqués, Jeffords réussit à maintenir un service de poste à la ponctualité impeccable ! Physiquement, Tom est un grand jeune homme brun, à la barbe rousse (d’où son nom de Tagliato, en indien). Un bain, de temps en temps, un coup de peigne dans la barbe pour aller présenter ses hommages aux jeunes demoiselles, Tom est conquis, dans un premier temps, par une jolie rouquine, Terry, puis, dans un second temps, par une belle Indienne, Etoile du matin. Difficile, pour un blanc, d’épouser une Indienne. C’est pourtant ce qui va se produire. Frère de sang de Cochise, Jeffords se lie avec la belle Indienne laissant Nahilzay sur le carreau dans le rôle de l’amoureux éconduit. La lune de miel est idyllique ; la rivière sert de baignoire aux amoureux (« Jeffords, la tête et la barbe couvertes de savon, était plongé jusqu’à la taille dans le ruisseau » ; « Veux-tu que je te savonne le dos ? demanda-t-il »). Mais la mort est là, bientôt, par la faute des Américains. En signe de deuil, Jeffords coupe sa barbe. Il lui faudra quelques années pour la laisser repousser (« Je me suis aperçu que j’avais froid sans ma barbe, répondit Jeffords »).

Nahilzay, un indien qui veut la guerre

L’amoureux éconduit s’enduit le corps d’huile. Il a une odeur fade et se glisse la nuit sous la tente de Jeffords... Le combat nocturne est intense. Jeffords en sort vivant... et vainqueur !

Cochise, l’Indien qui aime la paix

Cochise est un Apache de « grande taille », d’une stature « exceptionnelle ». Son visage, taillé dans le granit, n’offre aucune courbe au regard. Agé de 40 ans au début du récit d’Elliott Arnold, Cochise est un homme en pleine possession de ses moyens. Ses deux épouses - la plus âgée, la sœur de Mangas Coloradas, Tesalbestinay - et la plus jeune, Nalikadeya, lui ont donné chacune un fils. Tahzay, 10 ans (Raton laveur) et Nachise, 2 ans (Bois de chêne) font sa fierté. Cochise, dont le nom signifie bois de noyer blanc (co pour carya, noyer blanc et chise, pour bois), est un homme plein de fermeté, de force, de loyauté. Sa parole donnée n’est jamais reprise. En temps de guerre, Cochise arbore des « bariolages », qui prennent la forme de « bandes noires, rouges et jaunes », peintes sur le visage. Accusé à tort de l’enlèvement d’un enfant américain, Cochise se verra obligé de déterrer la hache de guerre pour sauver son honneur.

Terry Weaver, une rouquine qui aime le parfum de la sauge

Terry Weaver est une jeune fille de 15 ans, sauvée par Jeffords, lors de l’attaque d’un convoi de chariots par des Apaches. Ses cheveux d’un « roux flamboyant » et sa « peau d’une blancheur extraordinaire » séduisent Jeffords au premier coup d’œil. Impeccablement propre, Terry ne perd aucune goutte d’eau - même en plein désert - et s’arrange, quelles que soient les circonstances, pour se laver sous une « douche merveilleuse ». De l’eau qui coule entre deux rochers et voilà Terry aux anges ! Confiée à la patronne d’une pension de famille au nom savoureux - le Chasse-mouches - Terry grandit en raison et en beauté, conservant au fond de son cœur un sentiment profond pour son sauveur. A 18 ans, Terry déclare sa flamme à Tom. Celui-ci n’y répond pas. Son cœur est déjà pris par l’Indienne, Etoile du matin. Un petit voyage à San Francisco pour se changer les idées. Puis, retour à Tucson... avec la nouvelle coiffure à la mode. Là, Jeffords continue à assurer le service de la poste. Le « parfum de sauge » du désert manque à la « rouquine » (c’est ainsi que Jeffords a l’habitude de désigner Terry). Ce parfum « familier », c’est celui de sa jeunesse, celui du lieu où elle a rencontré, aimé Jeffords. « Mais, je crois que rien, mieux qu’un parfum, ne nous permet de plonger très loin dans notre passé. » « Celui de la sauge éveille invariablement dans ma mémoire les plus vieux souvenirs. »

Sonseeahray, une brune qui aime les shampooings au yucca

Sonseeahray, Etoile du matin, est une jeune fille aux « cheveux lavés à la racine de yucca ». Ce « savon de yucca », qui sert aussi bien au linge qu’aux cheveux, est à la fois un produit cosmétique et un produit d’entretien. Enlevée il y a quelques années par les Apaches de la White Mountain, elle est restituée à sa famille, à l’âge de 18 ans, lorsque les deux tribus décident de faire la paix. Lors de la cérémonie de la puberté, Sonseeahray rencontre Jeffords. Son visage est enduit de pollen, comme le veut la tradition. Ce n’est sans doute pas le maquillage le plus séduisant du monde, pourtant la magie opère et Jeffords tombe sous le charme.

Des rituels cosmétiques pour le retour du guerrier

Les Apaches Chiricahuas sont des guerriers. Depuis des années, ils sont en guerre avec leurs voisins mexicains. Chaque raid est l’occasion de montrer sa puissance, de voler des mules ou des moutons, de capturer des femmes et des enfants. Pour le retour des guerriers, les femmes mariées se préparent soigneusement réalisant une routine cosmétique immuable. « Elles lavèrent leurs cheveux avec de la racine de yucca écrasée et les graissèrent avec de la moelle prise dans les tibias de chevreuils ». « Elles appliquèrent de l’ocre rouge sur les joues. Certaines, sur ce fond d’ocre, peignirent des cercles. Avec du noir de charbon de bois et du rouge provenant du fruit mûr du figuier de Barbarie, elles ravivèrent les couleurs qui teignaient leurs aisselles. Elles placèrent des sachets de menthe entre leurs seins et, avec du jus de menthe, se frottèrent le cou et les cuisses. » Les veuves et divorcées, quant à elles, se déshabillent et se couvrent le corps de poudre blanche.

C’est la joie pour beaucoup, le drame pour certaines, celles qui ont perdu un époux. A l’énoncé du nom du guerrier mort au combat, les femmes et les enfants éliminent de leurs parures tout élément rouge et se coupent les cheveux « au ras de leurs oreilles ».

Les corps des guerriers tués au combat sont lavés, peints en rouge et jaune, revêtus de beaux vêtements et enterrés avec leurs armes.

Un bain de vapeur pour purifier l’esprit

Le bain de vapeur (une hutte munie de pierres chaudes sur lesquelles on verse de l’eau) est le lieu où l’on peut se ressourcer, réfléchir, échanger. Cochise y reçoit ses lieutenants et ses amis. Jeffords est, bien sûr, de la partie. « La vapeur traverse le corps comme une brise chaude et le purifie ».

La flèche brisée, en bref

On connaît évidemment le devenir des tribus indiennes ; les réserves, l’alcoolisme, les maladies... Pourtant, on se laisse prendre au récit. La paix entre Américains, Mexicains, Indiens, on a envie d’y croire et Elliott Arnold tout comme les autres. Au fin fond du désert, il y a une curieuse odeur de sauge qui vient titiller nos narines. La racine de yucca nous réserve une belle surprise, elle tiendra lieu de savon pour nos incursions aux pays des Apaches. On nous tend des sachets de menthe, en guise de déodorant et un peu d’argile pour réaliser un blush maison. Les recettes à faire soi-même sont simplissimes. On se laisse séduire le temps d’une lecture.

Bibliographie

1 Arnold E., La flèche brisée, Del Duca Les éditions mondiales Paris, 1951, 393 pages

Retour aux regards