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Un parfum beaucoup trop lourd pour une jeune fille !

> 24 août 2024

Un parfum beaucoup trop lourd pour une jeune fille !

Il n’a pas fallu grand-chose pour qu’un paisible carrefour se transforme en plaque tournante du vol et du crime.1 Un homme mort (Isaac Goldberg) est ainsi retrouvé au volant d’une voiture, dans le garage de Carl Andersen. Sauf que la voiture en question n’est pas celle de Carl, mais celle de son voisin, l’assureur Michonnet ! Dans la chambre de Carl, on retrouve des chaussures maculées de boue correspondant aux mêmes empreintes que celles du tueur de Mme Goldberg, la seconde victime. Tout mène à Carl… qui n’avoue pourtant rien et semble d’une bonne foi désarmante ! Un interrogatoire de 17 heures n’aboutit à aucune révélation ! Comme si Carl était innocent ! Reste pour Jules Maigret à découvrir le fin mot de cette histoire insolite !

Isaac Goldberg, un parfum d’argent à gogo

Le mort est un diamantaire d’Anvers, un dénommé Isaac Goldberg. Un homme peu recommandable, qui écoule des bijoux volés et est à la tête d’un gros trafic.

La femme d’Isaac Goldberg, un parfum de soie et de luxe

Appelée sur les lieux du drame, cette femme, dont on n’aperçoit que la « jambe gainée de soie », est descendue (avec une balle), dès qu’elle pose un pied en dehors du taxi qui l’a conduite au carrefour fatal !

Carl Andersen, un parfum de rédemption

Ce fils de bonne famille est l’élégance-même ! Chic, svelte, Carl porte, toutefois, un monocle noir, destiné à cacher un œil de verre.

Ayant fui son pays d’origine, le Danemark, il est désormais obligé de travailler. Pour vivre, il vend des « maquettes pour des tissus d’ameublement ».

Il dit vivre avec sa sœur qu’il jalouse comme un amant et qui est en réalité… sa femme légitime ! Une voleuse, rencontrée par hasard et dont Carl, en bon protestant qu’il est, souhaite sauver l’âme à tout prix !

Else Andersen, un parfum de corruption

Celle qui se fait passer pour la sœur de Carl Andersen est en réalité sa femme. Une jolie blonde, aux cheveux « légers » et au « visage mat » !

Une jolie blonde aux cheveux légers, mais au parfum lourd, entêtant. Ce parfum, « trop sourd » (Simenon emploie le terme « sourd » à deux reprises dans l’ouvrage pour le qualifier), occupe tout l’espace dans la maison louée par Carl. Il culmine, en matière d’intensité, dans la chambre où Else passe la moitié de son temps. « Le parfum, à mesure que l’on montait, devenait plus dense. » « Le parfum était si compact qu’il prenait à la gorge. »

Else vit, l’essentiel de sa vie, cloitrée dans une « chambre parfumée », enfermée à double tour, lorsque Carl doit s’absenter…

Une jolie jeune femme, qui joue les innocentes, mais ne se cache, pourtant, pas du commissaire pour se maquiller. « Elle passa un crayon sur ses cils ; aviva le rose de ses joues. » Des gestes de professionnelle, qui ne cadrent pas avec l’image d’innocente jeune fille que veut se donner Else. Else ou plutôt Bertha Krull… de son vrai nom !

Une aventurière, qui a épousé un jeune homme de la haute société, mais qui appartenait, il y a peu encore, à une bande de voleurs. Venue se mettre au vert dans un lieu-dit paisible, Else retombe, comme par hasard, à proximité d’un chef de bande qui ne tardera pas à lui faire du pied !

Une fois Isaac Goldberg tué, Else prend les choses en main, décidant de faire accuser Carl, afin de retrouver sa liberté !

M. Michonnet, un parfum de lâcheté et de moustaches cirées

M. Michonnet est un « petit personnage grisonnant, vêtu avec une recherche maladroite, redressant sans cesse les pointes de ses moustaches cosmétiquées. » Un homme terne, gris, à la morale plus flexible que les moustaches qui ornent son visage !

M. Oscarun parfum d’entourloupes variées

Le garagiste du carrefour, un ancien boxeur, semble être un bon bougre, toujours prêt à boire un coup avec le commissaire. Oui, mais voilà… ce garagiste d’opérette ne se sert de son garage que comme d’une couverture pour écouler drogues, bijoux et autres objets volés.

De temps en temps, il réalise le « maquillage des autos volées » par des comparses. La « Minerva » d’Isaac Goldberg passe ainsi entre ses mains pour une séance d’esthétique dont elle sort toute « maquillée », toute transformée.

L’Italien, un parfum de bêtise

Cet Italien, Guido Ferrari, fait partie de la bande de M. Oscar. On le reconnaît facilement, car il a « une femme nue tatouée sur le dos de la main. » Ce tueur professionnel est chargé d’éliminer les obstacles rencontrés par la bande ! Pas très malin dans ces conditions de porter un signe de reconnaissance aussi visible !

Et un tube de véronal

Un tube de véronal est retrouvé dans la maison d’Else. Cette jeune femme use de ce barbiturique2 pour mettre KO son époux chaque soir, avant de rejoindre Oscar et sa bande.

Et une ambiance féminine à couper au couteau

Le commissaire tourne autour des Andersen, comme un bon chien de chasse. Quelque chose ne tourne pas rond dans cette maison où règne une « ambiance féminine à couper au couteau » ! Le flair de Jules Maigret a senti un parfum de corruption dans le « parfum obstiné », qui s’accroche aux tissus et aux meubles de la chambre d’Else. Il ne lâchera pas la piste, tant qu’il n’aura pas prouver l’innocence de Carl.

La nuit du carrefour, en bref

En deux temps trois mouvements, Georges Simenon nous met dans une ambiance opaque à souhait. Il y a cette prétendue sœur de Carl, qui n’a rien d’une vraie jeune fille ! Il y a ce parfum lourd et obsédant, qui lui colle à la peau et fait se retourner tous les hommes. Il y a ce jeune aristocrate, de religion protestante, qui a juré de sauver l’âme de celle qui est devenue sa femme… Un binôme détonant, qui n’attendait que la flamme tendue par M. Oscar pour exploser. Heureusement, le bon Jules est là qui veille au grain et va tenter de remettre de l’ordre dans ce chaos indescriptible !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration.

Bibliographie

1 Simenon G., La nuit du carrefour, Presses Pocket, 1991, 184 pages

2 Isbell H, Altschul S, Kornetsky CH, Eisenman AJ, Flanary HG, Fraser HF. Chronic barbiturate intoxication; an experimental study. Arch Neurol Psychiatry. 1950 Jul;64(1):1-28

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