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Un onguent mortel concocté par la reine du roman policier

> 06 juin 2020

Un onguent mortel concocté par la reine du roman policier

Dans son roman La mort n’est pas une fin, l’experte en crime, Agatha Christie laisse une large place à Mrs Mallowan, la femme d’archéologue qu'elle est devenue.1 En transportant son lecteur en une époque lointaine (2000 ans avant Jésus-Christ) et en un pays lointain (l’Egypte), Agatha Christie surprend un lecteur habitué à suivre Hercule Poirot ou Miss Marple dans le cadre familier de cette bonne vieille Angleterre du début du XXe siècle.

Il fait bon sur les bords du Nil, dans la belle propriété d’Imhotep, un prêtre et propriétaire terrien disposant de vastes champs et de réserves de grains bien remplies. Des esclaves, une piscine, une cuisinière qui prépare des volailles succulentes, des petits pains traditionnels et toutes sortes de sucreries... c’est la belle vie pense Renisenb, la fille d’Imhotep. Après le décès de son mari Khay, Renisenb a repris le chemin de la maison paternelle. Elle y retrouve ses frères (Yahmose, Sobek et Ipy), ses belles-soeurs (Satipy et Kait), sa grand-mère Esa, la vieille servante Henet, pleine de fiel et le fidèle Hori, homme de confiance d’Imhotep. En 8 ans rien n’a changé... Rien, pas tout à fait !

Après un voyage dans le nord du pays, Imhotep revient parmi les siens, accompagné d’une toute jeune fille de 19 ans. Très belle, un teint de « bronze doré », les sourcils épilés et tracés au pinceau noir (« 2 minces traits noirs »), les cils longs et fournis, Nofret va rapidement semer la zizanie dans une famille jusque-là paisible.

Nofret n’arrive pas seule. Elle est accompagnée d’une montagne de bagages renfermant vêtements, bijoux et cosmétiques (« flacons de parfum, pots d’onguent »). Son parfum flotte dans l’air de sa chambre ; pas moyen d’ignorer la présence de celle qui se veut la nouvelle maîtresse du domaine.

Avec Nofret, le mal est entré dans la maison. Les morts vont se succéder à grande vitesse...au grand dam d’Henet qui voit sa réserve de draps baisser à vue d’œil. C’est d’abord Nofret qui quitte la scène, puis Satipy, Sobek, Ipy, Esa, Henet ... Les corps sont embaumés à la chaîne. Une « longue immersion dans un bain de saumure », une onction d’huile, puis de sel. Il ne reste plus ensuite qu’à envelopper le corps dans des bandelettes. Afin de complaire à son père, Yahmose, a vu les choses en grand pour honorer Nofret. Un peu trop... au goût du vieillard qui, bien qu’amoureux, reste près de ses sous. On peut supprimer quelques vases de prix et amulettes. Laissons les cosmétiques et les bijoux tout de même.

La grand-mère Esa qui, bien que presque aveugle, y voit clair dans le jeu de l’assassin, va, elle aussi, rejoindre le rivage des morts. Elle a réclamé à son fils un enterrement somptueux. « Je veux beaucoup de nourritures, beaucoup de boisson, de nombreuses figurines d’esclaves, une table de jeux richement ornée, beaucoup de parfums et d’onguents et, j’y insiste (sic), les jarres les plus coûteuses, celles en albâtre. » Esa périra de la douce main de sa petite esclave noire. Un onguent à l’odeur délicieuse lui fait entrer un froid glacial dans les veines. Avant de mourir, Esa se remémore cet onguent empoisonné, utilisé par son père pour tuer un agneau tondu. Elle a compris le stratagème mis en œuvre par le démon qui décime la famille d’Imhotep.

L’assassin ne manque pas d’imagination. Ses victimes sont, selon le cas, poussées dans le vide, étranglées ou empoisonnées. Le vin bu par Yahmose et Sobek est ainsi corrompu par un poison qui, s’il ne tue pas immédiatement, laisse sa victime sans énergie. Le prêtre et médecin Mersu qui vient au chevet des deux frères alternent prières, « vomitifs et bouillons d’herbes ».

Agatha Christie a parfaitement rempli le contrat. Notre voyagiste attentive nous a déposées sur les rives du Nil dans une propriété de rêve. La location est superbe, la piscine très tentante. Oui, mais... la maison est hantée et a plein de choses à nous raconter. Et puis il y a ce parfum entêtant qui colle à la peau et qui rappelle celui d’une jeune concubine de 19 ans, venue se faire tuer après avoir semé la pagaille dans une famille jusque-là bien sous tous rapports.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette illustration... archéologique !

Bibliographie

1 Christie A. La mort n'est pas une fin, Le livre de poche, 1985

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