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Un onguent à l’urée « home made » !

> 04 juin 2020

Un onguent à l’urée « home made » !

Le pauvre Blaise (son nom de famille est Anfry) de la comtesse de Ségur est le fils du concierge du comte de Trénilly.1 Celui-ci est fier et dur ; plein d’orgueil, il élève son fils Jules qu’il vénère sans aucun bon sens en établissant un lien basé sur la peur et non sur la confiance. Jules en profite de manière éhontée, tyrannisant le pauvre Blaise, en le calomniant quasiment quotidiennement. Le pauvre Blaise, riche d’une foi pleine de ferveur, va réaliser le tour de force de convertir le comte et la comtesse, ainsi que Jules. Hélène, la charmante fille du couple et son alliée des premiers jours partagera avec lui la joie de cette transformation radicale. Dans cet ouvrage où bons et méchants se heurtent en combats singuliers, la bonne comtesse distribue, comme de coutume, cataplasmes, sinapismes, et remèdes divers et variés, afin de panser, apaiser et guérir toutes les plaies et blessures. De la cendre chaude à l’urine en passant par la colophane, la bonne dame nous livre les secrets médicinaux de son temps avec une extrême bonne volonté et plein de talent.

Des tentatives pour sauver de la noyade

Un jour, un drame se produit non loin du château. Un petit garçon de 2 ans est, en effet, tombé dans la mare, à l’endroit où sa mère fait régulièrement la lessive. Une minute d’inattention et le petit bonhomme glisse dans l’eau. Pour le ranimer, Hélène et des voisines déshabillent le bambin, le sèchent et tentent différentes manœuvres. On étendit « l’enfant sur une couverture de laine, devant le feu ; on le frotta d’eau-de-vie, d’alcali, de moutarde, on lui fit respirer des sels, de l’alcali... » Le médecin mandé ne peut que constater le décès. Les bonnes gens continuent malgré tout leurs bons soins et placent des sinapismes sur le petit corps qui, restera, malheureusement, sans vie.

Une autre fois, c’est Jules qui fait preuve de méchanceté et lance les poulets de sa sœur à la mare. Blaise s’empresse de les repêcher et les place dans la cendre chaude, afin d’essayer de les ramener à la vie. Il sait que cette technique est employée par les médecins à destination des noyés. « Blaise les recouvrit de cendre jusqu’à la tête, ne laissant passer que la tête et les yeux. ». Après une nuit, bien au chaud, dans leur tonneau, les poulets revigorés ont retrouvé toute leur vitalité. « C’est la cendre ! s’écria Blaise. Le médecin avait raison. »

Un ingrédient tombé en désuétude pour calmer les morsures de sangsues

Jules, monté sur son petit âne, décide d’aller regarder de près les sangsues qui pullulent dans une mare située à peu de distance du château. L’âne qui sent toutes ces bêtes grouiller autour de lui et lui infliger de terribles brûlures se cabre et jette son jeune maître à l’eau... Les sangsues s’en donnent alors à cœur joie sur le visage et les membres de l’imprudent garçon. Les saignements occasionnés par les 3 sangsues qui se sont ventousées au niveau du visage de Jules sont traités par de la « poudre de colophane ».

Une recette pour soigner une entorse ou un membre démis

Un faux pas de Blaise et c’est l’entorse. Du moins, on le pense au début. Mme Anfry ne se laisse pas impressionnée pour si peu et se met à préparer le cataplasme de Valdajou. « Je prends du son, que je mets dans une casserole, j’y verse, pour en faire un cataplasme, de..., de..., un liquide que je n’ose nommer, monsieur le comte, je mets au feu, et quand c’est chaud, j’y fais fondre une chandelle en la tenant par la mèche ; voilà tout. » Oui, mais voilà. L’entorse n’est pas si simple. L’os est déboîté et doit être remis en place d’urgence. C’est le Dr Taillefort qui s’y colle, alors que tout le monde tourne de l’œil autour de lui. Et une tournée de vinaigre pour tout le monde, histoire de retrouver ses esprits. Le brave docteur pose ensuite un cataplasme à sa façon ; dès que le médecin aura tourné les talons, le cataplasme sera arraché (« saleté de cataplasme ») pour être remplacé par le bon remède de Valdajou. Mme Anfry y tient tout spécialement et sait que grâce à lui la convalescence sera rapide et totale. Au sujet de cet onguent très efficace, signalons que Pierre Julien dans la Revue d’histoire de la pharmacie, lui consacra un article fort intéressant, en 1986. Le Valdajou, en question, est un contemporain de la comtesse de Ségur. Il s’agirait du médecin Jacques Dumont de Valdajou, « Chirurgien Renoueur de S.A.R. Monseigneur le Comte de Provence ».2 Ce rebouteux remettait, en effet, les membres en place et appliquait sur les foulures et entorses une préparation à base d’urine humaine,3 urine dont la délicatesse de Mme Anfry ne permettait pas de prononcer le nom.

Une méthode pour traiter une fièvre cérébrale

Jules est décidément un mauvais garçon qui ne cesse de rendre le mal pour le bien. Cet état de fait le conduit inexorablement vers un grand choc psychologique qui le mène au bord de la tombe. La conscience bourrelée de remords retentit sur la santé du garçon qui s’alite et développe une forte fièvre. Sa tête est tellement « embarrassée » que Jules délire. Son délire n'est pas si délirant que cela puisque Jules va y révéler toutes les bassesses réalisées depuis sa rencontre avec Blaise, son ennemi intime. Ce dernier, plein de compassion et d’amour pour son bourreau, va le veiller fidèlement jour et nuit et dévoiler une fois de plus sa belle âme. Le médecin consulté recommandera pour une prompte guérison l’application « de sinapismes aux pieds, aux chevilles, aux mollets, aux cuisses », l’aération régulière de la chambre du malade, une « diète absolue » et le calme complet (obscurité et silence associés).

Morale de l’histoire

Le pauvre Blaise, bien que de condition modeste, n’est pas si pauvre que cela ; le Jules, bien que fort riche et fort noble, est vraiment pauvre en sentiments. « C’est sa faute... », ne cesse-t-il de répéter pour parer ses mauvaises actions... Remettons tout cela en ordre, nous dit la bonne comtesse qui s’agite autour des fourneaux, consulte ses formulaires, et prépare à longueur de temps, onguent, solutions, et recettes-miracle.

Bibliographie

1 Comtesse de Ségur, Pauvre Blaise, Hachette Ed., Bibliothèque Rose,

2 https://data.bnf.fr/fr/16857292/pierre_chenu_jacques_dumont_de_valdajou__chirurgien_renoueur_de_s__a__r__monseigneur_le_comte_de_provence/

3 https://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1986_num_74_271_3335

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