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Un luxueux parfum de fausse piste

> 12 septembre 2020

Un luxueux parfum de fausse piste

Lorsqu’une jeune femme est retrouvée une arme à la main face à un homme tué par balle, il ne faut pas être le meilleur détective du monde pour penser avoir trouver rapidement la coupable.1 Gerda, une jeune femme sotte comme un panier, a profité d’un week-end champêtre au Vallon chez lady Angkatell, pour tuer son mari, un médecin brillant, habitué à multiplier les aventures extraconjugales. Une scène de crime qui se situe dans le jardin contigu de celui d’Hercule Poirot, des fausses pistes qui s’entrecroisent, un parfum entêtant, une star de cinéma jalouse comme une tigresse, une artiste pleine de talent et d’empathie, une âme en peine qui aimerait bien trouver son âme sœur… Pour en savoir plus il suffit de suivre Hercule Poirot dans sa maison de campagne (Resthaven), une maison toute carrée qui ravit l’esprit géométrique de son propriétaire.

Le médecin brillant

John Christow est un médecin brillant qui se consacre entièrement (enfin… presque) à ses patients. Il s’agit d’un « médecin merveilleux », blond aux yeux bleus (une sorte de « viking »), secondée par une secrétaire, Beryl Collier, une femme au « teint terreux et au menton résolu ». Il se partage entre sa clientèle nantie et sa clientèle nécessiteuse. Aux vieilles patientes riches, il prescrit des laxatifs pour traiter des pathologies imaginaires. « Cette nouvelle spécialité américaine ferait parfaitement son affaire. Vendue dans une élégante pochette de cellophane, enrobée dans un beau revêtement rouge saumon, elle était, avec ça, coûteuse et difficile à se procurer. » Avec ce produit à la fois beau, cher et d’accès difficile, le Dr Christow se laisse un mois de répit avant de retrouver de nouveau sa fidèle cliente pour une nouvelle consultation. Chaque jour, il doit affronter calmement des patientes qui préfèrent le sirop brun au sirop blanc… Parmi la patientèle pauvre, Mrs Crabtree est un cas intéressant. Souffrant de la maladie de Ridgeway, cette battante, qui fait entière confiance à son médecin, est prête à combattre la maladie et à se plier à tous les protocoles mis au point à son intention. Dans son enfance, elle a été l’une des premières à tester « la permanente ». « C’était tout nouveau et, en ce temps-là, ce n’était pas une petite affaire ! J’avais l’air d’une négresse et vous n’auriez pas passé un peigne dans mes cheveux !... » Aussi bien dans le domaine cosmétique que médical, Mrs Crabtree n’est pas du genre timoré. Quand il faut y aller, il faut y aller !

John Christow est marié à Gerda, une femme d’une bêtise proverbiale… Deux enfants sont nés de cette union, Terence (12 ans) et Zena (9 ans). Un amour de jeunesse, Veronica vient hanter les nuits de l’époux pas vraiment fidèle. Des souvenirs de soleil, de mer bleue, « l’odeur léger des mimosas » s’imposent à lui lorsque la fatigue se fait sentir. Henrietta, quant à elle, hante ses jours. C’est dans son atelier que John vient se ressourcer après une dure journée.

L’artiste pleine de talent, pleine d’empathie

Henrietta Savernake est une artiste de talent. Elle sculpte tout ce qu’elle a dans la tête. Le soir, pour se délasser, elle prend un « bain bien chaud », avant de recevoir, en toute intimité, son amant, le docteur Christow. Pleine d’empathie, Henrietta est l’amie idéale. Dans un week-end, elle se met en quatre pour que chacun se sente à son aise… son empathie s’étend même jusqu’à l’épouse de son amant. « Un subtil parfum de fleurs des champs » flotte « autour de ses cheveux ».

La star de cinéma, pleine de parfum

L’amour de jeunesse de John se nomme Veronica Cray ; il s’agit d’une star de cinéma sculpturale qui, comme par hasard, passe le week-end dans la propriété voisine, Les pigeonniers. Elle est « jolie à couper le souffle ». Venue chercher des allumettes au Vallon, elle repart avec son ancien amant pour des retrouvailles torrides dans le petit pavillon qui jouxte la piscine. Véronica utilise un parfum qui se reconnaît aisément. « Le parfum de Veronica coûtait cher, très cher, mais, malgré toute sa délicatesse, il offensait les narines sensibles de Poirot. » Ce parfum trop présent, envahit littéralement l’espace.

L’âme en peine

Il s’agit de Midge Hardcastle, le rejeton pauvre de la famille Angkatell. Ses cousins mènent grand train de vie… pas elle. Obligée de travailler dans une maison de couture, la jeune fille souffre dans son amour propre et aimerait que son cousin Edward daigne s’apercevoir de son existence (Agatha Christie arrivera à cet exploit avant la fin roman). Le travail avec Mrs Alfrège, une affreuse patronne aux « cheveux teints et à la voix de crécelle », n’est pas une sinécure. La vie, Midge la prend, pourtant, à bras le corps, des bras « vigoureux, hâlés par le soleil de l’été. » Edward a hérité de la propriété familiale où elle passait ses vacances autrefois. Ainswick, c’est, pour elle, l'« odeur suave du magnolia ». Magnolia for ever, en quelque sorte ! Pas de souci, petite Midge, tante Agatha te réserve une belle surprise en fin de roman. Edward va enfin poser son regard sur toi et te délivrer de ta dure vie de labeur.

Le détective, le plus moustachu du monde

En souliers noirs « brillants éclatants de leur bout vernis », Hercule Poirot passe le week-end dans sa maison de campagne, alors même qu’un meurtre est en train d’être commis juste à côté. Invité à déjeuner chez sa voisine Lady Angkatell, Hercule tombe malencontreusement (ou fort à propos ?) sur une scène de crime : Gerda, une arme encore à la main, regarde, hébétée, son mari écroulé à ses pieds. Dans le petit pavillon, Hercule détecte « un parfum léger, un parfum français de très grand luxe ». Celui-ci ne correspond à aucune des fragrances utilisées par les hôtes du Vallon. Et pour cause, on aura compris que le parfum en question est celui de Veronica.

Hercule Poirot va, durant cette enquête, travailler main dans la main avec l’inspecteur Grange, un homme à « grosses moustaches », à « moustache de père de famille ». Il va promener plus d’une fois « ses doigts soignés », dans sa célèbre moustache, témoignant ainsi de l’intense réflexion qui est la sienne. Lady Lucy Angkatell, l’hôtesse très originale du Vallon, estime que ses moustaches tombantes sont les témoins d’une vie familiale étriquée et déprimante. « Il a la moustache tombante et ça ne m’étonne pas ! Une maison trop bien tenue, c’est parfois aussi déprimant qu’un visage d’infirmière dans un hôpital de petite ville. Je dis de « petite ville » parce qu’à Londres les infirmières se mettent de la crème, de la poudre, du rouge et qu’elles ne sont pas comme ces pauvres filles de la campagne qui ne connaissent que l’eau et le savon ! ».

Pour Henrietta Savernake, la moustache d’Hercule est un véritable chef d’œuvre. « Votre moustache, Monsieur Poirot, est une œuvre d’art qui porte sa fin en soi. Elle ne fait songer à rien, sinon à elle-même. Je croirais volontiers qu’elle est unique au monde. » « Elle l’est. », est la réponse pleine de modestie d’Hercule !

Le Vallon, en bref

Pour passer un week-end paisible, on évitera soigneusement de se rendre au Vallon. Les femmes jalouses y trucident leurs époux au bord des piscines, les stars de cinéma aux sourcils trafiqués s’y inondent de parfum, les amoureux éconduits s’y fourrent la tête dans le four. Bref, rien de bien plaisant. Avec en plus la conversation d’une hôtesse qui se veut charmante, mais qui saute tout le temps du coq l’âne et cache un révolver dans un panier d’œufs !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour !

Bibliographie

1 Christie A. Le Vallon, Librairie des Champs Elysées, 383 pages

 

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