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Un ingrédient qui déchaîne les passions !

> 17 janvier 2023

Un ingrédient qui déchaîne les passions !

La fleur, le fruit de la Passion… Passion avec une majuscule, s’il vous plaît car cela a son importance. Le mot « Passiflora » vient du mot latin « Passio » ; au XVIe siècle, les Conquistadores espagnols décrivent les fleurs exotiques qu’ils découvrent dans le nouveau monde comme des réceptacles renfermant les symboles de la Passion du Christ. La majorité de ces espèces sont des vignes, la plupart se trouvant en Amérique centrale ou du Sud, même si certaines espèces croissent en Amérique du Nord, en Asie du Sud-Est et en Australie. Un certain nombre d'espèces, dont Passiflora edulis et Passiflora laurifolia sont largement cultivées pour leurs fruits comestibles et particulièrement savoureux, tandis que de nombreuses autres espèces à des fins ornementales, pour leurs fleurs à l’aspect particulièrement original.

Et de un, un fruit savoureux qui prend place sur nos tables de fête. Et de deux, une plante ornementale, qui court le long des vieux murs et leur donne tout de suite un certain chic. Et de trois, une plante utilisée dans son entièreté en médecine traditionnelle, afin de mettre au point des tisanes permettant de combattre stress et anxiété.1 Plante alimentaire, d’agrément, médicinale… Et pourquoi pas cosmétique, tant qu’on y est. Et bien, oui, pourquoi pas ?

Tout d’abord, un effet anxiolytique

Pour François Dorvault, la passiflore (Passiflora incarnata), connue également sous les noms de fleur de la Passion et de grenadille, est une « drogue » (comprendre par ce terme désuet un principe actif) constituée par la plante entière. Une plante à tisane, qui nous vient de loin (Amérique tropicale, Antilles) et dont les botanistes ne se lassent pas.2

La passiflore, utilisée en phytothérapie comme un « hypnotique léger », doit cette propriété à des alcaloïdes (bêta-carbolines), qui ont les mêmes récepteurs que les benzodiazépines.2

Attention, toutefois, à ne pas s’emmêler les pieds dans les ouvrages de botanique ; les botanistes nous préviennent ; en effet, il existe, pour le genre Passiflora, plus de 600 espèces… 140 originaires du Brésil dont 70 produisant des fruits comestibles.3

Ensuite, un effet photoprotecteur ?

Des travaux, émanant d’une équipe brésilienne et publiés en 2008, présentent l’extrait sec de Passiflora incarnata comme un ingrédient filtrant intéressant. En effet, utilisé à la dose de 1,68 %, en association avec l’octylméthoxycinnamate (7 %), la benzophénone-3 (2 %) et le dioxyde de titane (2 %), il permet d’obtenir un niveau de protection moyen (SPF de 20).4 De quoi être franchement étonné lorsque l’on sait que cette association dépourvue de passiflore ne permet d’obtenir qu’un SPF de l’ordre de 10 ! Il faudrait comprendre dans ces conditions que cet extrait sec permet de générer 6 unités SPF par pourcentage d’emploi, ce qui est à la fois totalement inédit et totalement farfelu (Imaginez un peu qu’avec 10 % de cette matière première, on pourrait directement obtenir un produit affichable 50+). Pour comparaison, les meilleurs filtres présents à l’Annexe VI du Règlement (CE) N°1223/2009 ne permettent d’obtenir que 2 à 2,5 unités SPF par pourcentage d’emploi. On vous laisse tirer la conclusion qui s’impose.

Enfin du upcycling tant qu’on en veut

En mode upcycling, certains chercheurs continuent à chercher de l’or dans les déchets alimentaires. Les graines de fruits de la Passion (Passiflora edulis)5 intéressent ainsi certains chercheurs qui y cherchent et y trouvent des ingrédients actifs, à noyau stilbène, comme le resvératrol6 ou le piceatannol.7 Ce dernier, par exemple, permettrait de réduire le photo-vieillissement cutané, en réduisant le stress oxydant.8,9 L’effet anti-âge imputable à différents extraits de passiflore est largement documenté. Passiflora tarminiana, comme les autres.10 En outre, ces extraits de graines administrés par voie orale en tant que compléments alimentaires, sont présentés, dans certaines études, comme une sorte de panacée anti-âge. Les femmes qui en utilisent constateraient, en effet, un meilleur niveau d’hydratation de leur peau et une réduction des signes de fatigue cutanée. Il convient, toutefois, de mentionner que ces essais sont réalisés à petite échelle (taille de l’échantillon : 32 Japonaises âgées de 35 à 54 ans).11

A partir de ces graines, et en fonction du solvant d’extraction utilisé, on pourra isoler des actifs variés. Les extraits à l’acétate d’éthyle renferment ainsi des polyphénols, comme l’acide chlorogénique, l’acide rosmarinique et la quercétine, les extraits aqueux renfermant, quant à eux, de l’acide kojique et de l’acide gallique.12 La présence d’acide kojique explique l’activité éclaircissante mise en évidence, il y a quelques années par effet inhibiteur de la production de mélanine dans des cellules de mélanome B16 par un extrait de tige et de fruit de Passiflora foetida.13,14

D’autres chercheurs décident de mettre à fermenter de la farine de graines de passiflore (Passiflora ligularis), afin de mettre au point une petite bombe d’ingrédients actifs exploitable dans les domaines pharmaceutiques, alimentaires et cosmétiques. Le champignon utilisé à ces fins (Aspergillus niger) n’est guère sympathique, mais le cocktail moléculaire qui résulte de son activité transforme, nous dit-on, une plate farine dont on ne sait que faire en un concentré de polyphénols,15 bon à tout faire. A noter que pendant que certains se reposent et laissent tout faire à la gente fongique, d’autres s’escriment à mettre au point des méthodes d’extraction utilisant l’action conjointe d’enzyme et d’ultra-sons,16 afin de concentrer au maximum les molécules d’intérêt.

L’écorce du fruit et sa belle couleur violette attirent également les convoitises. Les anthocyanes, responsables de cette couleur chaude, font l’objet d’études. Le problème à régler consiste en l’instabilité de ce type de colorant.17 La peau constitue également une source potentielle de lycopène.18

Enfin, les feuilles de Passiflora edulis sont également exploitables. On sait, en effet, qu’au Brésil, en médecine traditionnelle, des cataplasmes de feuilles de Passiflora edulis sont réalisés pour traiter de manière empirique un certain nombre de pathologies, à type d’infections et d’inflammations au niveau cutané.19 Un effet anti-inflammatoire est, en effet, reconnu à la plante.20

Par ailleurs, un extrait de feuilles, incorporé dans un hydrogel de chitosan, s’est avéré, en effet, cicatrisant, sur modèle animal, ce qui ouvre des portes en matière de réalisation de dispositifs médicaux, à type de pansements.21

Et de l’adultération pour les moins honnêtes

L’huile de graines de fruit de la Passion constitue un produit onéreux, utilisable dans le domaine cosmétique22 ou dans l’industrie du dispositif médical.23

Afin de réduire les coûts, certaines sociétés malhonnêtes coupent cette huile avec une huile de tournesol, bien meilleur marché… Il est donc important de disposer de techniques analytiques fines pour démasquer des fournisseurs indélicats.24

Et l’inventaire européen, il en dit quoi, lui ?

Il en dit beaucoup. Selon les genres, selon les extraits (parties de la plante), on trouve référence à des effets variés. On nous parle par exemple d’un effet conditionneur capillaire (Passiflora alata fruit extract),25 d’un effet conditionneur cutané (Passiflora alata leaf extract, Passiflora caerulea flower extract, Passiflora cincinnata seed oil),26-28 d’un effet humectant (Passiflora edulis peel extract),29 d’un effet éclaircissant et tensioactif (Passiflora edulis seed acid),30 d’un effet astringent (Passiflora incarnata extract),31 d’un effet protecteur cutané (Passiflora incarnata seed oil),32 d’un effet abrasif (Passiflora incarnata seed powder)33... On pourrait ainsi continuer longtemps, en allant inspecter de près tous les extraits référencés à l’inventaire européen.

La passiflore, en bref

Une plante unique en son genre et multiple en ses espèces. Certaines, nous dit François Dorvault, renferment des graines, riches en acide cyanhydrique (on évitera bien évidemment de les consommer). Pour le reste, il conviendra d’être prudent… Les gros mots tels qu’acide kojique34 et stilbènes35 ont été lâchés. Franchement, ces ingrédients n’ont pas des profils toxicologiques irréprochables. Alors vraiment, entre nous, ces passiflores, on n’en fera pas notre passion !

Bibliographie

1 Miroddi M, Calapai G, Navarra M, Minciullo PL, Gangemi S. Passiflora incarnata L.: ethnopharmacology, clinical application, safety and evaluation of clinical trials. J Ethnopharmacol. 2013 Dec 12;150(3):791-804

2 Dorvault F., L’Officine, Vigot, 23e édition, Paris, 1995, 2089 pages

3 da Fonseca LR, Rodrigues RA, Ramos AS, da Cruz JD, Ferreira JLP, Silva JRA, Amaral ACF. Herbal Medicinal Products from Passiflora for Anxiety: An Unexploited Potential. ScientificWorldJournal. 2020 Jul 20;2020:6598434

4 Velasco MV, Sarruf FD, Salgado-Santos IM, Haroutiounian-Filho CA, Kaneko TM, Baby AR. Broad spectrum bioactive sunscreens. Int J Pharm. 2008 Nov 3;363(1-2):50-7

5 Kawakami S, Morinaga M, Tsukamoto-Sen S, Mori S, Matsui Y, Kawama T. Constituent Characteristics and Functional Properties of Passion Fruit Seed Extract. Life (Basel). 2021 Dec 27;12(1):38

6 Krambeck K, Oliveira A, Santos D, Pintado MM, Baptista Silva J, Sousa Lobo JM, Amaral MH. Identification and Quantification of Stilbenes (Piceatannol and Resveratrol) in Passiflora edulis By-Products. Pharmaceuticals (Basel). 2020 Apr 20;13(4):73

7 Pan ZH, Ning DS, Fu YX, Li DP, Zou ZQ, Xie YC, Yu LL, Li LC. Preparative Isolation of Piceatannol Derivatives from Passion Fruit (Passiflora edulis) Seeds by High-Speed Countercurrent Chromatography Combined with High-Performance Liquid Chromatography and Screening for α-Glucosidase Inhibitory Activities. J Agric Food Chem. 2020 Feb 12;68(6):1555-1562

8 Maruki-Uchida H, Kurita I, Sugiyama K, Sai M, Maeda K, Ito T. The protective effects of piceatannol from passion fruit (Passiflora edulis) seeds in UVB-irradiated keratinocytes. Biol Pharm Bull. 2013;36(5):845-9

9 Vasquez-Pinto LM, Maldonado EP, Raele MP, Amaral MM, de Freitas AZ. Optical coherence tomography applied to tests of skin care products in humans--a case study. Skin Res Technol. 2015 Feb;21(1):90-3

10 Bravo K, Duque L, Ferreres F, Moreno DA, Osorio E. Passiflora tarminiana fruits reduce UVB-induced photoaging in human skin fibroblasts. J Photochem Photobiol B. 2017 Mar;168:78-88

11 Maruki-Uchida H, Morita M, Yonei Y, Sai M. Effect of Passion Fruit Seed Extract Rich in Piceatannol on the Skin of Women: A Randomized, Placebo-Controlled, Double-Blind Trial. J Nutr Sci Vitaminol (Tokyo). 2018;64(1):75-80

12 Lourith N, Kanlayavattanakul M. Antioxidant activities and phenolics of Passiflora edulis seed recovered from juice production residue. J Oleo Sci. 2013;62(4):235-40

13 Arung ET, Kusuma IW, Christy EO, Shimizu K, Kondo R. Evaluation of medicinal plants from Central Kalimantan for antimelanogenesis. J Nat Med. 2009 Oct;63(4):473-80

14 Jorge AT, Arroteia KF, Santos IA, Andres E, Medina SP, Ferrari CR, Lourenço CB, Biaggio RM, Moreira PL. Schinus terebinthifolius Raddi extract and linoleic acid from Passiflora edulis synergistically decrease melanin synthesis in B16 cells and reconstituted epidermis. Int J Cosmet Sci. 2012 Oct;34(5):435-40

15 Santos TR, Feitosa PR, Gualberto NC, Narain N, Santana LC. Improvement of bioactive compounds content in granadilla (Passiflora ligularis) seeds after solid-state fermentation. Food Sci Technol Int. 2021 Apr;27(3):234-241

16 Wang W, Gao YT, Wei JW, Chen YF, Liu QL, Liu HM. Optimization of Ultrasonic Cellulase-Assisted Extraction and Antioxidant Activity of Natural Polyphenols from Passion Fruit. Molecules. 2021 Apr 24;26(9):2494

17 Liu J, Teng B, Zhang X, Dai M, Lin Y, Liu Y, McRae JM. Anthocyanins from purple passion fruit (Passiflora edulia Sims) rind-An innovative source for nonbleachable pigment production. J Food Sci. 2021 Jul;86(7):2978-2989

18 Mourvaki E, Gizzi S, Rossi R, Rufini S. Passionflower fruit-a "new" source of lycopene? J Med Food. 2005 Spring;8(1):104-6. doi: 10.1089/jmf.2005.8.104. Erratum in: J Med Food. 2005 Summer;8(2):279

19 Garros Ide C, Campos AC, Tâmbara EM, Tenório SB, Torres OJ, Agulham MA, Araújo AC, Santis-Isolan PM, Oliveira RM, Arruda EC. Extrato de Passiflora edulis na cicatrização de feridas cutâneas abertas em ratos: estudo morfológico e histológico [Extract from Passiflora edulis on the healing of open wounds in rats: morphometric and histological study]. Acta Cir Bras. 2006;21 Suppl 3:55-65

20 Urrego N, Sepúlveda P, Aragón M, Ramos FA, Costa GM, Ospina LF, Castellanos L. Flavonoids and saponins from Passiflora edulis f. edulis leaves (purple passion fruit) and its potential anti-inflammatory activity. J Pharm Pharmacol. 2021 Oct 7;73(11):1530-1538

21 Soares RDF, Campos MGN, Ribeiro GP, Salles BCC, Cardoso NS, Ribeiro JR, Souza RM, Leme KC, Soares CB, de Oliveira CM, Elston LB, da Fonseca CCP, Ferreira EB, Rodrigues MR, Duarte SMS, Paula FBA. Development of a chitosan hydrogel containing flavonoids extracted from Passiflora edulis leaves and the evaluation of its antioxidant and wound healing properties for the treatment of skin lesions in diabetic mice. J Biomed Mater Res A. 2020 Mar;108(3):654-662

22 Krambeck K, Santos D, Otero-Espinar F, Sousa Lobo JM, Amaral MH. Lipid nanocarriers containing Passiflora edulis seeds oil intended for skin application. Colloids Surf B Biointerfaces. 2020 Sep;193:111057

23 Gupta P, Singh A, Singh N, Ali F, Tyagi A, Shanmugam SK. Healing Potential of Propolis Extract-Passiflora edulis Seed Oil Emulgel Against Excisional Wound: Biochemical, Histopathological, and Cytokines Level Evidence. Assay Drug Dev Technol. 2022 Oct;20(7):300-316

24 Kiefer J, Lampe AI, Nicoli SF, Lucarini M, Durazzo A. Identification of Passion Fruit Oil Adulteration by Chemometric Analysis of FTIR Spectra. Molecules. 2019 Sep 4;24(18):3219

25 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=57014

26 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=83872

27 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=91662

28 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=95313

29 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=83392

30 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=88230

31 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=77099

32 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=57019

33 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=83977

34 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/acide-kojique-en-cosmetique-on-peut-pas-le-sake-2174/

35 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/resveratrol-vous-reprendrez-bien-un-peu-de-phyto-oestrogene-382/

 

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