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Un hommage marqué au crayon à sourcil et au khôl

> 05 avril 2020

Un hommage marqué au crayon à sourcil et au khôl

La vie de François Marie Alexandre Carcopino, plus connu sous le nom de Francis Carco, a commencé le 3 juillet 1886 à Nouméa ; en guise de contes pour bien dormir le soir, des serviteurs lui racontent des histoires terrifiantes de cannibalisme. Père et fils ont des relations orageuses ; les sévices corporels ne sont pas rares. « Une véritable famille de fous », c’est ainsi que décrira plus tard l’enfant devenu adulte, la famille qui l’a vu naître.

Nouméa, Marseille, Nice, Châtillon-sur-Seine, Villefranche-de-Rouergue, Rodez, Lyon, Grenoble, Paris... François suit un père muté à une cadence qui suit une belle arithmétique. Un bac difficile à décrocher ; le jeune homme est, en effet, plus prompt à apprendre la vie dans les yeux de ses aventures galantes que dans les manuels scolaires. Les femmes, il continue à les fréquenter assidument durant la période de son service militaire. « De maisons closes en bars à femmes,  et de séjours au gnouf en nuits de garde, François achèvera son service militaire au 2e Régiment d’artillerie de Grenoble ».1

« En janvier 1910, il part pour Paris. Tout de suite, muni du « Bon pour une consommation », découpé, il y a quelque temps, dans une revue littéraire, il passe sa soirée chez Frédé, au Lapin agile. Tout de suite aussi, il sera admis dans la bande du Lapin, de Pierre Mac Orlan à André Salmon et de Rolland Dorgelès à Pablo Picasso, qui l’invitent, avec eux, à la grande table. Tout de suite encore, il va s’imprégner de l’esprit de la Bohème qui hante Montmartre, de ses peintres, de ses poètes, mais aussi de ses souteneurs, de ses filles de joie et de ses petits et grands voyous. Il en fera son fonds de commerce. »1

La vie de Bohême, il va en tâter... Pour sûr ! « Avant d’écrire », avait dit Jean Cocteau, « faites-vous un nom » ! Faute de quoi, point d’éditeur et… point de revenus... et une vie qui se résume à « traîner de rue en rue, de bouge en gargote, à la recherche d’un quignon de pain ou d’une soupe à crédit ».1 Une bagarre dans un bistrot et une jambe blessée le ramène dans le giron paternel. Un premier roman Jésus la caille, un premier recueil, de poésies puis un deuxième, en 1912, La bohême et mon cœur.

Robert Sabatier, dans son Histoire de la Poésie française,nous encourage à découvrir « le véritable Carco », qui se révèle tout entier dans « son premier livre vraiment original ». « Les vers de Francis Carco prennent souvent la teinte de ses souvenirs, ils chantent les amours passagères » et il pleut, il bruine sur ces souvenirs...1

Le poème « Hommage », tiré du recueil La bohême de mon cœur,2 est consacré à une femme fardée, à la fois « mutine », « mauvais ange » et « souillon ». Ses sourcils sont « tracés au crayon », ses yeux sont marqués au khôl, comme on aime le faire à l’époque. Pas sûr qu’elle l’utilise à la manière d’un eye-liner, c’est-à-dire d’un crayon qui se glisse sur le bord de la paupière.3 La belle de nuit, qui ne rechigne pas à relever son cotillon, doit plutôt en user et en abuser, afin d’avoir le regard le plus charbonneux possible. Son khôl, elle lui reconnaît à la fois des vertus cosmétiques et thérapeutiques. C’est un vrai « pansement, qui garde les paupières de rougir, permet d’affronter soleil ou lampes, la lumière et l’air poussiéreux ».4

« Le bleu pur et le vermillon/chantent ta grâce libertine »... Faut-il entendre par là que la belle ajoute encore sur ses paupières « un fard sec bleu », idéal « pour les yeux des blondes », un fard obtenu en mélangeant du bleu de Prusse avec de la gomme arabique et du carbonate de chaux5 ou bien a-t-elle tout simplement les yeux bleus ? La bouche, teintée à l’aide d’un bâton de rouge à lèvres, ne manque pas de « subjuguer les cœurs et frapper les esprits ».6

Un nuage de poudre, sans doute, sûrement, subtilement parfumé afin de faire chavirer les cœurs ?7 Notre belle est prête pour le service.

« Lorsqu’il ne restera plus rien/A boire, au fond de la boutique/Et qu’on renverra la pratique », notre belle de nuit servira « la récompense » à celui qui attend son heure, accoudé au comptoir, celui qui « raille » et poétise, celui qui ne prête pas son cœur, mais l’offre tout simplement.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette évocation de l'univers de Carco !

Bibliographie

1 Coiffard J-C A. La poésie sous les flonflons, à paraître dans la revue « Sept à dire »

2 Carco F. La bohême de mon coeur, Chansons aigres-douces, Albin Michel

3 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/andre-breton-le-specialiste-de-l-eye-liner-1221/

4 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/ou-comment-colette-est-tombee-dans-le-pot-de-khol-592/

5 Cerbelaud R. Formulaire de parfumerie, Tome II, Paris, 1933

6 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/avec-baudelaire-fetons-la-saint-valentin-des-cosmetiques-954/

7 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/neologisme-poudreux-949/

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