> 02 octobre 2019
Un dentifrice c’est, bien évidemment, un produit d’hygiène destiné à assurer le nettoyage des dents et la bonne santé des gencives. De fait, le produit d’hygiène bucco-dentaire trouve sa place dans la définition réglementaire du cosmétique. Nous rappellerons que, selon l’article 2 du Chapitre I du Règlement (CE) N°1223/2009 du Parlement européen et du Conseil relatif aux produits cosmétiques, on entend par produit cosmétique « toute substance ou tout mélange destiné à être mis en contact avec les parties superficielles du corps humain (épiderme, systèmes pileux et capillaire, ongles, lèvres et organes génitaux externes) ou avec les dents et les muqueuses buccales en vue, exclusivement ou principalement, de les nettoyer, de les parfumer, d’en modifier l’aspect, de les protéger, de les maintenir en bon état ou de corriger les odeurs corporelles ».1 Toutefois et d’une manière un peu similaire avec ce que l’on observe dans le cas des produits de protection solaire, on se trouve ici face à une petite singularité réglementaire. Si un cosmétique ne peut nullement se targuer de prévenir ou de guérir une quelconque maladie (ceci ressort pleinement de la fonction du médicament – et de sa définition), il peut, toutefois assurer un rôle de santé publique important, sans toutefois le claironner trop ouvertement sur les toits. C’est ainsi qu’un dentifrice bien formulé pourra permettre de lutter contre la carie dentaire, de la même façon qu’un produit de protection solaire bien formulé pourra permettre de se prémunir de la survenue de certains cancers cutanés photo-induits. Chut, cela on le sait. On ne peut, pourtant, pas le dire clairement.
Au rayon des produits d’hygiène bucco-dentaire, il est possible de retrouver différentes formes galéniques qui sont toutes d’une extrême simplicité. La pâte dentifrice (une suspension de poudres dans de l’eau) est certainement la forme la mieux représentée. Le gel, c’est-à-dire une pâte à laquelle on a retiré toute la fraction abrasive, est un mélange de gélifiants et d’eau. Le bain de bouche ou la solution anti-plaque sont des formules encore plus simples pour lesquelles on a supprimé une bonne proportion de gélifiants. La formule la plus complexe est donc la pâte dentifrice et en retirant progressivement différents ingrédients on donnera ensuite naissance aux gels et solutions.
Afin de se familiariser avec la formulation des produits d’hygiène bucco-dentaire, il est donc logique de débuter par la forme la plus complexe à savoir la pâte dentifrice.
Cette pâte dentifrice est une suspension renfermant une proportion très importante de poudres (proportion supérieure à 50 %). Le Professeur Yannick de Roeck-Holtzauer, fondatrice du laboratoire de Pharmacie industrielle et de Cosmétologie de la Faculté de Pharmacie de Nantes dans les années 1970, ne manquait pas de donner à ses étudiants un moyen mnémotechnique afin de se souvenir du nom des différentes catégories d’ingrédients nécessaires à la réalisation de ce type de produits.
Pour formuler un dentifrice, il ne faut pas être timide… BASHFUL (en anglais).
Les liants sont des gélifiants (dérivé de cellulose, gomme xanthane, alginates…) qui ont pour fonction principale de régler la viscosité de la préparation et permettent au ruban une extrusion facile.
Les abrasifs sont des poudres qui sont choisies pour leur effet nettoyant ; cet effet résulte d’une action mécanique entre la dent et la pâte. Ce nettoyage par action mécanique permet d’éliminer la plaque dentaire, un biofilm présent à la surface des dents. Comme abrasifs, on pourra citer le phosphate dicalcique, le carbonate de calcium, le pyrophosphate de calcium, les silices hydratées, l’alumine, la perlite, le bicarbonate de sodium. L’effet abrasif sera contrôlé (Norme ISO 11609 – Médecine bucco-dentaire – dentifrices – Exigences, méthodes d’essai et marquage) car le mélange doit être efficace mais ne doit pas engendrer une altération de l’émail dentaire.
Le tensioactif incorporé dans la formule exerce deux rôles. Il permet, d’une part, de nettoyer les dents par effet détergent ; il permet, d’autre part, de stabiliser la formule. En effet, une pâte est une suspension de poudres dans un solvant stabilisé par un ou plusieurs tensioactif(s). Enfin, le tensioactif a un rôle marketing non négligeable, par la production de mousse, celle-ci étant liée dans notre inconscient collectif à la notion d’hygiène.
L’incorporation d’un agent humectant, c’est-à-dire d’une molécule hygroscopique qui retient l’eau dans la formule, est indispensable. Sans agent humectant, la pâte durcit à vitesse grand V. Cet humectant est également considéré comme un adjuvant technologique, puisqu’il permet la dispersion du gélifiant. Pour formuler une pâte, on commencera toujours par disperser le gélifiant dans l’humectant. Glycérol, sorbitol, PEG (PolyoxyEthylèneGlycol) sont les humectants fréquemment retrouvés.
Les arômes permettent de masquer le goût de certaines matières premières et de rendre attractif le moment du brossage des dents. Les édulcorants (saccharinate de sodium en tête du fait de sa fréquence d’emploi) sont à rattacher à cette catégorie.
L’additif unique en question est tout simplement l’actif de la formule. Celui-ci n’est pas forcément unique ; il peut s’agir d’une association d’actifs. Les sels fluorés sont indispensables, tant leur apport dans la lutte contre les caries dentaires est primordial.2 Fluorures minéraux (fluorure de sodium, monofluorophophate de sodium, fluorure d’étain) et fluorures organiques (olaflur ou fluorinol, par exemple) constitueront les actifs indispensables.3,4,5 Des antiseptiques, tels que le citrate de zinc ou la chlorhexidine,6,7 combineront un effet anti-plaque, anti-sensibilité et/ou anti-érosion. Des agents anti-sensibilité comme le nitrate de potassium ou les sels de strontium permettront de calmer les douleurs liées à la mise à nue de la dentine.8,9
Il s’agit de l’eau, qui sert de véhicule et dans laquelle sont solubilisées ou mises en suspension les différentes matières premières.
Grâce à BASHFUL, on peut sourire à la formulation en connaissant les principales catégories de matières premières nécessaires pour mettre au point une pâte dentifrice. Deux catégories manquent toutefois à l’appel, celle des agents antimicrobiens qui permettent d’assurer la conservation du milieu et celle des adaptateurs de pH. Les colorants ont également été oubliés. Le dioxyde de titane (CI 77891), par exemple, qui permet d’obtenir une pâte bien blanche, est très fréquemment incorporé.
Pour formuler un gel, on reprend les mêmes ingrédients sans les poudres abrasives et pour formuler un bain de bouche on a recours aux mêmes ingrédients sans les poudres abrasives et avec une dose de gélifiant revue à la baisse.
Dans le domaine bucco-dentaire, on se gardera bien de réaliser ses cosmétiques maison pour la simple et bonne raison que l’on n’aura aucun moyen de vérifier la qualité des matières premières livrées et que l’on ne pourra absolument pas contrôler l’innocuité du produit mis au point.
On se gardera de tomber dans les griffes des personnes déraisonnables qui ne font pas la différence entre le fluorure de sodium (actif anti-caries à l’innocuité indiscuté), la fluoxétine (principe actif utilisé en psychiatrie et retrouvé dans la spécialité Prozac) et l’organophosphoré qu’est le gaz Sarin, un toxique de guerre.10
On se souviendra enfin qu’un dentifrice n’est pas un test de grossesse11 et que le meilleur fournisseur de dentifrices n’est certainement pas celui conseillé par des stars de la télé-réalité.12
On se souviendra également de son dentiste chez qui l’on prendra rendez-vous annuellement et de son pharmacien à qui l’on pourra demander conseil en matière d’hygiène bucco-dentaire.
2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/le-fluor-comment-ca-marche-406/
5 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/elgydium-vive-le-fluorinol-1188/
10 http://www.eveiletsante.fr/le-fluor-un-poison-chimique-par-michel-dogna/
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