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Un bain d’amour, c’est encore ce que l’on fait de mieux !

> 03 septembre 2022

Un bain d’amour, c’est encore ce que l’on fait de mieux !

Florent, chauffeur pour l’armée et Nora, comptable dans un garage, s’aimaient d’amour tendre ! Un passage devant M. le maire, par une belle journée du mois de février, leur permit de convoler en justes noces… Le 13 novembre 1973, naissait Tristane, une petite fille « pâle et blonde », parfaite image de sa mère.1 Cinq ans plus tard, naissait Laetitia, une petite brune, belle image de son père. L’une est terne ; l’autre brille de mille feux. Point de jalousie, pourtant entre ces deux êtres qui, pour être pleinement uniques, se doivent d’être deux !

Tristane, hygiène d’une enfant raisonnable, terne à souhait

Tristane est un bébé facile à vivre. Il n’a pas fallu lui dire deux fois de cesser de pleurer la nuit… Un bébé qui se laisse baigner sans rechigner par son père ou sa mère, selon les jours. « Le bain, c’était avec papa ou maman. » Un bébé qui laisse ses parents jouer les amoureux, sans jamais s’interposer. La raison-même. La tristesse-même aussi, tant son champ d’action est limité. Surtout se faire toute petite, surtout ne pas faire de bruit ! Chez Florent et Nora, l’hygiène est parfaite, trop parfaite peut-être voire, poussée même peut-être jusqu’à l’aseptisation ! L’amour, quant à lui, est exclusivement réservé aux adultes.

Bobette, hygiène d’une tante borderline

Bobette, la sœur de Nora, est aussi différente de sa sœur que possible. Mère célibataire de 4 enfants, issus de plumards différents, Bobette passe sa vie devant la télé, une bouteille de bière dans une main, une cigarette dans l’autre. Les enfants s’élèvent tout seul cela va sans dire. Chez Bobette, le manque d’hygiène est absolu, l’amour, en revanche, coule à flots… Y’a comme un défaut de plomberie !

Laetitia, hygiène d’une enfant adorable, pétillante à souhait

Le 9 août 1978, une petite sœur vient révolutionner la vie de sa triste aînée. « Belle et brune », comme Florent, Laetitia est une petite merveille, qui réjouit le cœur de son aînée. Tristane, qui doit certainement posséder dans sa collection d’albums illustrés l’opus Martine, petite maman, joue le rôle de mère de substitution avec bonheur. Biberon, couches, bain… tout ce qui touche à l’hygiène du petit bout de chou est confié à la grande sœur raisonnable. Raisonnable ? Pas toujours, tout de même. Il arrive souvent que l’on surprenne Tristane en train d’initier Laetitia à une drôle de pratique, « mâchonner une serviette lavée peu de temps auparavant ». Un goût de propre, de frais, un goût savonneux, bulleux titille les papilles de « l’enfançonne ». « L’odeur étonnante » provenant de l’alchimie du linge propre et de la salive enfantine comble les 2 sœurs qui pratiquent ce mésusage sans autorisation parentérale, cela va sans dire !

Cosette, hygiène d’une enfant anorexique

Cosette, la petite dernière de Bobette, est aussi borderline que sa mère. Anorexique, Cosette joue les poids plumes ! Sa fin sera terrible !

Le livre des sœurs, en bref

Naître d’une mère comptable… c’est gênant. Gênant lorsque cette femme comptabilise les mots d’amour destinés à sa fille. Au bilan, une colonne « affection » déficitaire. Un bilan comptable qui penche désespérément du côté droit, à l’opposé du cœur ! Le passif est énorme. L’actif se dégonfle comme un pneu qui aurait roulé sur un paquet de clous ! Allez donc circuler dans cette pagaille !

Heureusement, il reste l’amour des 2 sœurs, un amour total, absolu, l’Amour avec un grand A dans toute sa splendeur, dans toute sa perfection. Un amour donné, un amour reçu. Une aînée qui joue les petites mamans, puis, qui, au fil des ans, se fait cadette pour permettre à sa sœur d’explorer à son tour cette facette de la fraternité.

Chez Amélie Nothomb, les mots ont un ultra-sens (on se permet ici d’emprunter au poète choletais, Maurice Courant, l’une de ses expressions favorites) ; les rapports mère–fille, sœur–sœur sont décortiqués au scalpel de la plume. Amélie incise, tranche, dissèque, éviscère… L’anatomie du cœur n’a plus de secret pour elle. Par moment, ça éclabousse bien un peu, c’est sûr. L’humour est grinçant ! Et puis, avec une infinie tendresse, Amélie rapproche les bords des plaies encore vives, expurge ce qui faisait mal et s’adonne à la couture, d’un geste ample, afin de ne pas laisser une cicatrice trop visible… Et ça marche !

Le livre des sœurs est un livre qui doit être acheté en plusieurs exemplaires. Comme la baguette de pain du quotidien, il est dévoré sur place ou le temps de revenir à la maison. Ensuite, on le reprend tranquillement, on y découvre de nouvelles pépites, des symboles cachés… On le déguste… On le savoure… On le partage.

Un grand merci à Jean-Claude A Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour !

Bibliographie

1 Nothomb A., Le livre des sœurs, Albin Michel, 2022, 193 pages

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