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Un anesthésique local dans le bocal… de crème solaire !

> 23 septembre 2024

Un anesthésique local dans le bocal… de crème solaire !

On est en 1977 et Fisher vient de mettre un point final à une pièce en 3 actes qui se joue depuis 1949. Tout commence avec un quadragénaire qui aime voyager et qui n’oublie pas de se protéger avec une « bonne » crème solaire, lors de ses déplacements. Un quadra à peau sensible, qui développe, depuis l’âge de 18 ans, eczéma et dermite séborrhéique et qui, comme cela, d’un coup, réagit mal, très mal à sa crème solaire. Une fois, deux fois… A la deuxième fois, c’est la direction du cabinet médical qui est prise. Des tests allergologiques sont pratiqués et les petites croix remplissent très vite le tableau qui synthétise son comportement en matière de tolérance plus ou moins grande vis-à-vis de tel ou tel principe actif ou ingrédient. Il y a un cas de signalé. Puis deux cas. Puis de nombreux cas… ;1 cela fait jaser. On s’interroge lorsque l’on constate que deux ingrédients, un filtre UV (le glycéryl PABA) et un principe actif (la benzocaïne) semblent liés par des liens étranges. Et pourtant l’industrie cosmétique ne met pas de benzocaïne dans ses crèmes solaires. Que se passe-t-il donc ? Il va falloir presque 30 ans pour trouver le fin mot de cette histoire. La solution était dans le bocal… Il suffisait d’y penser !

Un 1er acte en 1949

Tout commence par des phénomènes allergiques, survenant chez une personne ayant utilisé une crème solaire renfermant un dérivé de PABA, le para-aminobenzoate de monoglycéryle. Le sujet, un homme de 47 ans, qui fait de l’eczéma et de la dermite séborrhéique. Un voyageur, qui n’oublie pas sa crème solaire, lorsqu’il part en croisière, par exemple. Des réactions survenues au niveau des zones d’application de la crème solaire suggèrent un phénomène d’allergie qui est prouvé par le dermatologue consulté, qui obtient d’ailleurs du fabricant de la crème les 8 ingrédients constitutifs du produit en question (8 ingrédients pour une crème solaire, formule minimaliste s’il en est). Une réaction positive est constatée pour le produit fini et pour l’ingrédient filtrant en solution éthanolique. Et puis, tant qu’à faire, toutes sortes d’ingrédients sont testés, afin d’établir le profil précis de toutes ses allergies. La benzocaïne, comme la paraphénylène-diamine ou l’aniline, est susceptible de déclencher des réactions de même intensité que le para-aminobenzoate de monoglycéryle. Le cas est publié dans la littérature par Léonard Meltzer et par Rudolf Baer, qui voient, dans ces phénomènes d’allergies croisées, des phénomènes assez ordinaires, mais sont, toutefois, conscients d’être les premiers à publier un cas d’allergie à un filtre qui, à cette époque, est très largement retrouvé dans les produits du commerce.2

Un 2e acte en 1951

Curtis et Crawford réalisent le même constat que Meltzer et Baer avec un patient qui a développé une allergie à sa crème solaire, renfermant du para-aminobenzoate de glycéryle et qui déclenche lors des tests en cabinet une réaction d’intensité analogue à la benzocaïne.3

Un 3e acte en 1977

Les réactions d’allergies croisées ne sont pas si rares que cela. Ce qui étonne, Fisher, dans les cas présentés dans la littérature c’est l’intensité comparable des réactions observées avec le filtre UV et l’anesthésique local.

Ceci est tellement intriguant que l’on se penche avec attention sur l’Escalol®106 (glyceryl PABA) et que l’on se met à y rechercher des traces de benzocaïne… Des traces cherchées et trouvées dans des proportions plus ou moins importantes dans les produis finis et dans les matières premières. Les teneurs en benzocaïne varient ainsi entre 1 et 18 %.4,5 Et Fisher de pointer du doigt les spécialités contenant cet Escalol 106 : Sea & Skin, Tanfastic… Un pointage non exhaustif, puisque plus de 400 produits en contiennent alors à l’époque.6

Epilogue

Finalement, tout est question de dégré de pureté nous disent Bruze et al., ainsi que Kaidbey et Allen, qui montrent qu’un même patient susceptible de développer une réaction allergique à un lot de para-amino-benzoate de glycéryle, tolère parfaitement bien un lot de cette même matière première hautement purifiée.7,8

D’où l’intérêt de matières premières hautement purifiées

Dans le genre, on connaissait aussi la saga de la cocamidopropylbétaïne et de son impureté (la 3-diméthylaminopropylamine),9 on ne pourra donc qu’insister sur le fait que la notion de qualité est primordiale en ce qui concerne la sécurité d’emploi des cosmétiques.

Des produits solaires purs, sans impuretés… Voilà ce que l’on peut souhaiter, pour de beaux étés, en toute sécurité !  

Bibliographie

1 Caro I. Contact allergy/photo allergy to glyceryl PABA and benzocaine. Contact Dermatitis. 1978 Dec;4(6):381-2

2 Meltzer L, Baer RL. Sensitization to monoglycerol para-aminobenzoate; a case report. J Invest Dermatol. 1949 Jan;12(1):31-9

3 Curtis GH, Crawford PF. Cutaneous sensitivity to monoglycerol para-aminobenzoate; cross sensitization and bilateral eczematization; report of a second case. Cleve Clin Q. 1951 Jan;18(1):35-41

4 Fisher AA. The presence of benzocaine in sunscreens containing glyceryl PABA (Escalol 106). Arch Dermatol. 1977 Sep;113(9):1299-300

5 Fisher AA. Dermatitis due to benzocaine present in sunscreens containing glyceryl PABA (Escalol 106). Contact Dermatitis. 1977 Jun;3(3):170-1

6 Fisher AA. Sunscreen dermatitis due to glyceryl PABA: significance of cross-reactions to this PABA Ester. Cutis. 1976 Oct;18(4):495-6, 500

7 Bruze M, Gruvberger B, Thune P. Contact and photocontact allergy to glyceryl para-aminobenzoate. Photodermatol. 1988 Aug;5(4):162-5

8 Kaidbey KH, Allen H. Photocontact allergy to benzocaine. Arch Dermatol. 1981 Feb;117(2):77-9

9 McFadden JP, Ross JS, White IR, Basketter DA. Clinical allergy to cocamidopropyl betaine: reactivity to cocamidopropylamine and lack of reactivity to 3-dimethylaminopropylamine. Contact Dermatitis. 2001 Aug;45(2):72-4

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