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Trop belle, trop d’hommes, trop de tout !

> 22 novembre 2020

Trop belle, trop d’hommes, trop de tout !

Qui est la Caroline chérie de Cecil Saint-Laurent, alias Jacques Laurent ?1 « La plus belle plume de 1948 à 2013 » selon Arnaud Le Guern nous livre une fresque historico-coquine (pour dire vrai, plus coquine qu’historique d’ailleurs… et c’est bien dommage !) qui débute avec « une odeur moisie, un relent fétide et tenace » ! Caroline vient de quitter la douceur de la Touraine, le petit château familial douillettement lové sur les bords du Loing pour « un obscur hôtel » sis rue Saint-Dominique, à Paris.

Caroline de Bièvre, la coureuse de pantalons à l’époque des Sans-culottes

Est-ce bien sa faute tout ce qui va lui arriver ? Elle n’y est finalement pour rien si, dès son plus jeune âge, elle attire le regard des hommes. « Cette fillette a de bien jolies chevilles. Elle a aussi une tête ravissante »… entend-elle un jour, alors qu’elle n’a que… 6 ans ! Cela ne va jamais cesser par la suite… bien au contraire ! Jolie, trop jolie, cela va sans dire, elle va connaître les succès, puis la peur comme tous les aristocrates lors de la Révolution ! Pour échapper aux sanguinaires, une seule solution : la fuite ! Et la fuite déguisée en femme du peuple. Pour l’heure, il faudra vaincre « une grande répugnance pour cette promiscuité bruyante et malodorante », loin des dentelles, des draps fins et des colifichets tout féminins ! Une fois seulement dans sa longue errance, elle put passer dans « un cabinet de toilette » et oindre « son corps endoloris avec un des baumes qu’elle avait récemment achetés. Elle en ressentit tout de suite une fraîcheur bienfaisante. » A une autre occasion, elle se baignera nue dans une rivière, comme dans son enfance… Elle sera contrainte, parfois, de s’habiller en homme. Qu’à cela ne tienne… « Bien qu’elle ne fût point fardée, son teint était rose à souhait et la douceur pulpeuse de ses joues, l’incarnat de ses lèvres étaient mis en valeur par la couleur foncée de sa tunique et la sobriété de ses vêtements ». Que d’aventures… c’est un tourbillon… la prédiction d’une vieille sorcière se réalise ! L’arrestation… L’horreur de la Conciergerie ! On imagine facilement dans quel état les prisonniers y arrivaient… épuisés, hagards, terrorisés. Belle, Caroline… oui, évidemment, mais aussi chanceuse. Grâce aux protections qu’il faut, celle qui est devenue la « citoyenne Berthier » va pouvoir quitter la Conciergerie pour la maison Belhomme.

Le marquis de Bièvre, le père

Il aurait pu avoir une brillante carrière, mais le destin en avait décidé autrement et il était maintenant vieilli par une série de déboires. Aujourd’hui, il met tous ces espoirs dans une présentation à la cour de Louis XVI.

Anne de Cambes, la mère

« Elle était pâle, froide, le visage légèrement rehaussé par la réticence triste de ses yeux d’un bleu très délavé ». « De vieille noblesse », elle ne devait jamais pardonner à son mari d’avoir été contrainte de l’épouser… faute de mieux !

Louise et Henry, la sœur et le frère

Caroline est la cadette d’une famille de 3 enfants, née après une sœur, un peu jalouse d’une telle beauté et Henry, le frère adoré.

Inès Mirandas, la vénéneuse

A son arrivée « au couvent des Dames de la Congrégation », Caroline a tout de suite remarqué une « jeune fille […], un peu plus âgée qu’elle, dont le joli visage de blonde fraîche, les épaules rondes et surtout l’air songeur et lointain, provoquèrent son admiration. » Bien qu’on la mette rapidement en garde vis-à-vis de cette perverse pensionnaire, rien n’y fera ! Inès sera cause de sa chute, tout comme elle le sera pour « la fille du président du Parlement de Mâcon », « Eugénie de Senoire, petite, brune, au visage foncé ». Cette dernière retrouvera Caroline, quelques années plus tard, dans de bien tristes circonstances… « dans un autre couvent », comme elle dira… à la Conciergerie.

Georges Berthier, le mari trompé

Amoureux fou de Caroline, Georges est aussi le frère de Charlotte, l’amie intime et confidente de beaucoup de choses. Il a de la chance (enfin on verra que tout ne sera pas rose bonbon !), Georges ! Le jour de leur mariage, Caroline ne s’est jamais sentie aussi belle ! Les dentelles de son voile « répandaient un réseau nuageux autour de son visage, se jouant avec les boucles de ses cheveux, rehaussant la fraîcheur colorée de son teint. » Très rapidement toute la famille va être entraînée dans la tourmente révolutionnaire. Député girondin à la Convention, Georges est en mauvaise posture…

Gaston de Salanches, l’amant de cœur

Ce que l’on remarquait d’emblée chez Gaston, c’était « l’éclat de ses prunelles, les deux petites rides que son sourire burinait, fugitives et acérées, la fossette qui adoucissait son menton autoritaire et infléchissait tout le reste du visage vers une douceur inattendue, en dépit de la ligne dure et droite du nez, de l’arc sensuel et égoïste des lèvres, de la pesanteur des lèvres ». Il traîne après lui une sulfureuse réputation de séducteur qui, au fond, méprise les femmes qui sont ses victimes. C’est peu de temps après son arrivée à Paris, à l’occasion d’un bal masqué organisé par Charlotte que Caroline va faire la connaissance de Gaston. Il faut dire qu’elle est particulièrement ravissante ce soir-là. Elle s’est coiffée d’« une perruque compliquée où elle entortilla un assemblage de fleurs éclatantes » et elle fait son entrée « le visage maquillé et réhaussé comme celui d’une femme par deux mouches ». Il faut dire aussi que Gaston est très amateur… Après la fête, Caroline « ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil de biais dans le miroir florentin posé sur la console, qui lui renvoya l’image de son corps menu, de sa poitrine haute et cambrée, de ses épaules rondes, de ses longues jambes ». Pour compléter ce tableau, un « nez mutin », des « cheveux blonds » et « une bouche aux lèvres lourdement ourlées » ont assuré, à l’adolescente, un premier succès, premier de beaucoup (trop !) d’autres qui suivront à un rythme fort soutenu !

Gaston aussi connaitra le triste sort de la Conciergerie ! Maintenant son visage est « creusé, fatigué ».

Mme de Coigny, l’une des nombreuses maîtresses de Gaston

Mme de Coigny est une « jeune femme, si belle et si sûre d’elle-même » qu’elle ne peut que susciter de la jalousie chez Caroline. Comme les femmes de son temps, elle s’empresse vers « un flacon de sels et une bouteille d’eau de Cologne »,2,3 dès qu’un semblant de malaise se profile à l’horizon. Avec Caroline, elles ne se rencontreront que deux fois et la seconde fois, ce sera à la Conciergerie…

La duchesse de Bussez, une vieille aristocrate fauchée

Elle est âgée, la duchesse au « vieux visage bouffi » ; […] « Les paupières étaient rouges, les lèvres tremblantes ». Faute de liquidité, elle va devoir quitter la pension Belhomme au petit matin pour être guillotinée. Sans pitié, on vous dit, qu’ils étaient ces gens-là, monsieur !

Marie-Anne de Forbin, une jeune aristocrate tout aussi fauchée

La fille du président Forbin, une jeune fille bien sous tous rapports a quand même fini par céder aux avances des frères Van Kript, « deux marchands anversois […] accusés d’espionnage », « perdus de vice », qui organisent des soirées très spéciales à la pension Belhomme. Les deux vicieux n’ont pas manqué de repérer « la magnifique chute de ses reins, la tendre blondeur élastique de ses épaules et de sa nuque où venaient se dénouer les vagues lustrées d’une belle chevelure claire et rutilante ». Elle aussi sera guillotinée…

Des hommes de toutes conditions

Faut-il parler de viol dans le cas du « conducteur de coche » ? Difficile, dans la mesure où Caroline « n’avait pu s’empêcher de penser qu’il était beaucoup plus agréable d’avoir la tête posée sur cette robuste épaule masculine que d’écouter les ronflements de ses trois compagnes » d’infortune auprès desquelles sa fuite l’a jetée. Ce postillon avait une « curieuse odeur violente mais captivante, [de] robustes genoux, […], [d]es dents blanches, cette drôle de tignasse blonde et drue… »

Dans d’autres situations, il s’agit d’aventures-éclairs, comme dans le cas de Jean-Baptiste Louvet, un authentique député de la Convention et dont la femme, Lodoïska, avait une « beauté régulière et classique ». « Ses yeux, extrêmement noirs, pétillaient de fièvre et ses lèvres, d’un dessin précis et pur, tremblaient sur des dents éclatantes. »

Il y a aussi François, rencontré au hasard du chemin, « jeune, très brun, les pommettes saillantes, l’œil bleu ».

Et puis Jean Albancet, un minéralogiste détenteur d’un bien opportun « ordre de mission de la Convention », avec qui Caroline va faire un bout de route…

Et encore le bon docteur Crailly, le médecin qui a connu Caroline toute petite et qui ne peut que s’exclamer, lorsqu’il lui donne refuge « Ce que tu peux être belle ! […] Tu étais une jolie fillette, mais tu es la plus belle femme que j’aie jamais vue. » Madame Crailly n’est pas tout à fait de cet avis… ou plutôt elle est trop de cet avis et flanque Caroline manu militari à la porte !

Un autre médecin, le docteur Belhomme, qui dirige, avec son âme damnée, Mme Chabanne, la maison ou pension éponyme, un « petit homme court et rond, vêtu en bourgeois », mus qu’ils sont tous deux par l’appât du gain.

Sans oublier le « vicomte de Boimussy, beau garçon, fin, élégant malgré sa misère », un jeune chouan, arrêté, à Blois, en même temps que Caroline.

Ni un jeune marin brestois de 17 ans. « Ses cheveux courts et touffus étaient d’un blond très pâle ». « Son visage était foncé, semé de tache de rousseur, éclairé par deux yeux gris-vert ». « Ses dents brillaient, très blanches, contrairement à celles de son camarade, jaunes et cariées », preuve qu’il devait se servir d’un bon dentifrice pour l’époque !

Enfin, « un grand gaillard, le visage bariolé par une tache de vin, sa chemise ouverte sur un tatouage qui représentait une femme dont les cheveux étaient des serpents ».

Caroline chérie, en bref

Caroline chérie, en bref, c’est un roman qui commence gaillardement et qui se termine un peu péniblement. Trop de pages, trop de personnages… et pas assez de parfums ou de cosmétiques !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration de ce regard un brin fripon !

Bibliographie

1 Cecil Saint-Laurent (Jacques Laurent), Caroline chérie, L’Archipel Ed., 2013, 500 p.

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/l-eau-de-cologne-d-ici-ou-d-ailleurs-175/

3 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/la-grande-mademoiselle-ou-les-coulisses-de-la-cour-de-louis-xiv-183/

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