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Toutes sortes de grains peau, c’est chez Georges Duhamel !

> 16 octobre 2022

Toutes sortes de grains peau, c’est chez Georges Duhamel !

Cécile parmi nous... 7e roman de la saga des Pasquier de Georges Duhamel.1 Ah, la divine Cécile, « élégante et mince » et ses mains exceptionnelles. La virtuose, la déesse... la voici qui vient d’avoir 30 ans, qui est mariée à Richard Fauvet, un intellectuel qui voudrait bien être connu et reconnu, mais qui rame un peu (et même beaucoup) pour obtenir cette gloire, qui, c’est certain, lui est due ! Un petit garçon de santé fragile, Alexandre. Une rencontre avec Dieu, au fond d’une vieille église, qui embaume l’encens. Et puis la jalousie qui mord le cœur ; et le décès de l’enfant chéri... Et parce que l’on ne le changera jamais, un père de famille qui est toujours aussi séduisant et un frère (Joseph) qui aime toujours autant l’argent. Laurent Pasquier continue à égrener les souvenirs familiaux, en s’attardant, ça et là, sur un petit détail esthétique/cosmétique qui n’est, on s’en doute bien, loin de nous déplaire !

Laurent, une peau sujette aux comédons

A tout seigneur tout honneur. Celui qui tient la plume de cette saga familiale est, dans ce 7e volume, chef de service de l’Institut National de Biologie. Une « tête assez volumineuse », des épaules « musclées », une peau glabre (plus de barbe, ni de moustache !) et une peau sujette aux comédons, « un cuir à large grain ». Voilà tout ce que nous saurons de Laurent, pour cette fois-ci.

Cécile, une peau à la douceur toute maternelle

Cécile est donc mariée avec Richard Fauvet. On ne sait pas très bien ce qui a pu pousser la jeune fille dans les bras du jeune chercheur en musicologie. Peut-être le désir d’un enfant ? Cet enfant, Cécile l’a eu et même en double, tant Richard se comporte lui-même comme un enfant capricieux. En devenant épouse et mère, Cécile n’a pas renoncé à sa carrière. Elle est toujours au sommet de sa gloire, adulée par toute une foule de connaisseurs. Elle prend juste un peu moins soin de ses belles mains de pianiste. Elle « ne redoute plus de présenter au vent d’hiver deux mains délicates, ces deux mains que Cécile, autrefois, tenait à l’abri de toute offense. »

Cécile a changé, y’a pas photo. La déesse est descendue de son piédestal et vit désormais la vie de tout un chacun. Pourtant, elle voudrait se persuader que rien n’a changé. Elle voudrait en persuader aussi Laurent qui reste, vaille que vaille, son confident le plus cher. « Oh ! je suis toujours la même Cécile, la Cécile à qui maman donnait autrefois 10 sous pour aller acheter, rue de l’Ouest, un morceau de savon blanc. »

Richard Fauvet, une peau de vache

Richard Fauvet, l’ancien collègue de Laurent, est maintenant devenu plus qu’un collègue, un beau-frère ! Sûr de sa valeur, Richard réunit un petit cénacle de fidèles au parc Monceau, afin de discuter philosophie en plein air. Ces individus se nomment pompeusement le « groupe de Monceau » ou bien les « Moncéliens » ou encore les « Philosophes du Parc » ! Tout ceci a du mal à cacher le vide de la pensée du maître. Richard n’a aucune constance ; il papillonne, cumulant les formations dans les domaines de la philosophie, de la médecine, des sciences. Une thèse de doctorat de biologie à la Sorbonne lui permet d’obtenir un poste tout nouvellement créé dans un laboratoire de « psychologie expérimentale »... ceci ne manque pas de surprendre, lorsque l’on connaît son manque de tact à l’égard de son épouse. Comme quoi la psychologie est plus facile à enseigner qu’à pratiquer au quotidien.

De santé fragile, Richard est constamment oppressé, coincé entre deux crises d’asthme. Ce malade chronique ne croit guère en « la thérapeutique », « cause de presque toutes nos misères », selon ses dires.

Que penser de ce personnage au « teint mat », porteur d’une « fine moustache » et de « pattes légères, frisottantes » qui lui arrivent au milieu des joues ? Qu’il possède deux facettes. Malade et grognon à la maison, charmeur et plaisant pour ses élèves (telle la petite Simone Vèze) et ses conquêtes (on pense en particulier à sa petite belle-sœur, Suzanne).

A la maison, Richard n’est guère plus autonome qu’un poupon. Il faut tout lui mettre dans la main ! « Se baigner, se raser, se vêtir », tout est compliqué pour celui qui semble posséder deux mains gauches et qui perd ses affaires en permanence. « L’objet dont il avait besoin, savon, brosse, épingle de cravate, semblait toujours animé d’une maligne indépendance. » A la recherche constante de son rasoir ou de sa pâte dentifrice (« Qu’a-t-on pu faire de ma pâte dentifrice ? »), Richard nécessite d’être assisté par une main charitable. En l’occurrence celle de Cécile, qui retrouve les objets disparus, les cosmétiques égarés, qui prépare les « compresses chaudes », à appliquer sur les petites blessures (« Elle prépare des compresses qui lui brûlent le bout des doigts. ») et fait infuser le tilleul dans la tasse du malade despotique.

Un dandy qui se soucie de l’état de ses mains et les fait donc « assidûment soigner par la manucure ». Un dandy qui flirte outrageusement avec Suzanne, la retrouvant dans sa loge au théâtre, de manière incongrue. Suzanne, la coquette, roucoule devant Richard, le cœur d’artichaut ! Richard tripote tous les objets posés sur la coiffeuse, s’émerveille devant une patte de lapin. « Une vraie patte ? A quoi sert-elle ? A passer de la poudre sur le visage et le cou. Voilà, dit Richard, une patte de lapin qui n’est pas à plaindre. » Devant l’allusion gaillarde, Suzanne riposte d’un coup de patte de lapin bien placé. Agitée sous le nez de Richard, la patte en question laisse sur son nez une « petite touche de rose vif » assez clownesque.

Suzanne, une peau de cocotte toute imprégnée de parfum

Toujours belle, toujours coquette, Suzanne brise les cœurs avec une étonnante candeur. En tant qu’actrice, Suzanne donne la réplique à Sarah Bernhardt dans une pièce à succès. A peine, la pièce terminée, elle s’enveloppe dans ses fourrures et retourne chez les siens dans un sillage parfumé. Son parfum fétiche : « Trèfle incarnat » de L.T. Piver.

Joseph, une peau de banane sous le pied des philosophes

Joseph a, comme depuis son enfance, la passion de l’argent. Prêt à tout pour augmenter son capital, il se mouille jusqu’au cou dans ce que l’on appellera pendant longtemps l’affaire des « balles explosives ». Il faut dire que Joseph profite de la guerre dans les Balkans pour se faire marchand d’armes, pour une société étrangère. Le marché ayant capoté, Joseph ne résiste pas à l’idée d’une vengeance en concoctant, avec un journaliste véreux (Gaston Délia), une sombre histoire de « balles explosives ». Des armes interdites bien évidemment, qui réalisent des ravages dans les chairs humaines. Le philosophe Noël Chérouvier monte au créneau, condamnant cette pratique. Richard Fauvet ironise sur ce sentimentalisme excessif. Quand l’on sait que tout a été inventé par le machiavélique Joseph, on comprend que les intellectuels ont été abusés, que les pétitions qu’ils ont fait signer les ridiculisent plus qu’autre chose... Quelle mascarade !

Gaston Délia, un cuir chevelu tout brillant de brillantine

Un pion sur l’échiquier de Joseph ! « Ses cheveux, plaqués sur le crâne, exhalaient un délicat parfum de brillantine. »

M. Mairesse-Miral, une peau pas souvent nettoyée

L’homme de main de Joseph, son souffre-douleur peut-on dire, est, comme nous avons déjà pu l’évoquer, un homme à la propreté douteuse. Dévoué corps et âme à Joseph, ce monsieur discret porte sur son gilet toutes les traces d’anciens repas, de « l’œuf » par exemple ou « des traces de café ou de vin ». Joseph, peu reconnaissant vis-à-vis de ce serviteur pourtant exceptionnel, ironise à son sujet : « On dirait que vous avez un nid de puces dans la moustache. »

Noël Chérouvier, un cuir tanné par les insultes

Professeur d’histoire de la philosophie à la Sorbonne, Noël Chérouvier est un homme intègre qui prend position, sans conflit d’intérêts, ni souci particulier concernant son ego. Très critiqué (on s’en doute, tant cet homme intègre dérange les intérêts de certains !), il souffre en silence (« [...] je devrais avoir le cuir tanné » ; « Les insultes devraient glisser sur ma peau comme sur une cuirasse. »)

Cet homme « maigre », mais « robuste », possède des « cheveux gris et rares », accompagnant étonnamment des sourcils hors normes, comparables, à une « énorme et buissonneuse végétation ». « Deux flammes de poil lui sortaient des oreilles comme des moustaches ». Une barbe d’une belle longueur vient compléter ce portrait kératinique. Un parfum âcre s’échappe de son épiderme, à chaque mouvement. Il s’agit d’un « relent de tabac noir, non point léger et fugitif, mais acide, pénétrant, exhalé, semblait-il, par la substance même des tissus imprégnés jusqu’à la fibre depuis un demi-siècle. »

Ram, le patriarche, une peau qui se refuse à vieillir

Le père de la fratrie Pasquier ne change pas et ce malgré ses 67 ans bien sonnés. Au fil des ans, il semble même qu’il réussisse à rendre « sublime son personnage ». Il arbore encore de « belles moustaches félines », de « belles moustaches avantageuses », qu’il a, toutefois, tendance à faire tailler un peu plus court que de coutume (au revoir les « longues moustaches gauloises »). Cheveux frisés, des cheveux qui refusent de blanchir et qui sont aidés en cela par un « cosmétique de sa façon », appliqué avec soin matin et soir, vêtements à la mode, Ram n’a pas dit son dernier mot en matière de séduction.

Raymond, Ram pour les intimes, est nommé Grand-Ram par ses petits-enfants Jean-Pierre, Finette et Lucien (les enfants de Joseph). Sa femme Lucie, quant à elle, est rebaptisée Grand-Luce !

Son tempérament reste identique ; on se demande en permanence quelle nouvelle lubie va jaillir de son cerveau fertile. Un coup, il se passionne pour les fromages, s’ébaudissant sur le phénomène de « fermentation » (« Et tout cela rivalise de parfum, d’imprévu, de fantaisies, d’invention. Pense Laurent, les microbes ! »). Un coup pour l’écriture en rêvant de devenir un écrivain célèbre.

Dans tous les cas, Ram voit grand, dépasse le quotidien, transcende des actes aussi anodins que celui du rasage. S’adressant à Laurent, Ram nous gratifie d’un discours digne du binôme Audiard/Blondin (on pense en particulier à un certain Singe en hiver) : « Ecoute un peu, ce matin, pendant que je me rasais, je songeais à ces milliers de petits bouts de poil que j’étais en train de couper. Tu sais que le poil est d’une structure très résistante. ça ne se détruit pas vite. Alors il ne t’est jamais arrivé de les suivre, par l’esprit, tous ces petits morceaux de toi qui partent avec l’eau de la toilette, qui gagnent l’égout, qui vont à la Seine, etc., etc. ? » Et bien, notre brave Dr Pasquier (pour ceux qui auraient oublié que Ram est muni de son diplôme de médecin) ne s’arrête pas à Meudon, en se rasant le matin. Il va loin, très loin. Ses poils voguent sur les flots et l’emmènent bien souvent jusqu’à l’empire du soleil levant !

Justin Weill, une peau de roux tendre à souhait

Revenu de ses filatures du nord, Justin s’adonne à l’écriture. Vieilli un peu trop vite, il commence à perdre ses cheveux au niveau des tempes ; il s’empâte également un peu. « Un large peigne à la main, Justin Weill s’efforçait de rejeter en arrière et de lisser en la mouillant un peu sa chevelure couleur de flamme. » « Oui, je perds mes cheveux et j’engraisse ». A 32 ans, Justin continue à rêver d’un monde meilleur et heurte ses idées contre celles de son meilleur ami, Laurent. Toujours amoureux de Cécile, Justin souffre en silence.

Et une salle de spectacle qui sent la sueur

La salle du père Gagnepain est une salle dont les places vendus bon marché permettent un accès à la culture aux moins nantis. « La moite et forte odeur d’humanité » qui s’en dégage n’est pas des plus plaisantes.

Cécile parmi nous, en bref

Dans ce roman centré sur Cécile, l’on retrouve les personnages principaux et leurs caractéristiques cosmétiques. Pendant que Ram concocte une teinture-maison, qui permet à ses cheveux de résister convenablement au phénomène de vieillissement naturel, Suzanne se rend à la parfumerie la plus proche faire un stock du parfum à la mode. La belle Cécile irrite son époux par son talent indéniable ; le petit Alexandre se meurt doucement, sans que les médecins ne s’aperçoivent de rien. Joseph tripatouille ses petites affaires juteuses. Le couple Cécile-Richard se délite. Laurent, consterné, assiste à ces drames intimes et sent Cécile lui échapper ; cette dernière est touchée par la grâce, alors que son aîné résiste toujours fermement à l’appel de son Dieu !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !

Bibliographie

1 Duhamel G., Cécile parmi nous, Le clan des Pasquier 1913 - 1931 - romans, Flammarion, 2013, 923 pages

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