> 01 mai 2022
Tout commence pour la victime du conte fantastique Le pommier par une belle matinée de printemps,1 un rasoir à la main. L’air est limpide, les oiseaux chantent. Oui, mais rapidement, on comprend que quelque chose ne tourne pas rond !
Le mari de Midge (« Il » ; on ne connaîtra ni son nom, ni son prénom), trois ans après son veuvage, respire enfin. Finis les contraintes auprès d’une femme grincheuse, impossible à vivre. Désormais, la vie va s’écouler paisiblement ! Par un beau matin de printemps, cependant, tout commence à basculer dans un monde parallèle. « Il » « était en train de se raser », « le visage barbouillé de savon, le rasoir à la main », lorsque ses yeux rencontrèrent un drôle de fantôme, sous la forme d’un vieux pommier, « décharné et d’une minceur pitoyable » ! Une sorte de Midge végétale ; un arbre à l’image de celle qui, pendant 25 ans, lui a littéralement pourri la vie. Après le « bain », les souvenirs se pressent dans sa mémoire. Tous les petits travers de Midge, remontent à la surface, bien vivants.
Pendant 25 ans, « il » a dû tricher en tout et pour tout, afin de se réserver une petite bulle de liberté. Des petits voyages à Londres, en arguant d’un rendez-vous chez le coiffeur, « pour se faire couper les cheveux » ou bien chez le dentiste...
Pendant la guerre, un baiser... offert par une jeune fille travaillant à la ferme avec lui. Des « cheveux courts, bouclés, garçonniers, et une peau très jeune ». « A peine 19 ans » et une fraîcheur qui contraste sérieusement avec tout ce que peut lui offrir Midge.
Les fleurs des pommiers du jardin dégagent un « parfum » « presque imperceptible », à la senteur « attirante, réconfortante et suave ». Des fleurs qui donnent rapidement des fruits.
Le pommier qui fait peur... celui dont les branches ressemblent aux bras de Midge a donné, ce printemps-là, des fruits pour la première fois de sa vie. Des fruits que tout le monde trouve savoureux, mais qui « lui » révulsent le cœur. Des fruits un peu bizarres, qui n’ont pas « trop bonne mine »et qui « ont un goût ignoble ». Des fruits qui collent aux dents et laissent dans la bouche « une saveur de pulpe pourrie ». « Il fut obligé d’aller dans la salle de bains et de se laver les dents. »
Le pommier est une nouvelle terrifiante de Daphné du Maurier. Lorsque le remord d’une vie gâchée prend la forme de l’arbre dont le fruit est défendu, lorsqu’il se végétalise et dégage une « odeur douceâtre » qui lève le cœur et détraque l’estomac, on n’est pas très étonné de finir la lecture de ce livre le pied coincé dans une vieille souche de pommier... pas n’importe quel pommier, le pommier à l’air famélique, celui qui croulait sous les fruits pourris à la toute fin de sa vie.
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration inquiétante à souhait !
1 du Maurier D., Le pommier in Les oiseaux, Le livre de Poche, Albin Michel, 2016, 348 pages