Nos regards
Sur les traces de l’Aigle...

> 22 juillet 2018

Sur les traces de l’Aigle... Grâce à son valet de chambre, Constant, nous avons pu suivre, pas à pas, les habitudes cosmétiques de Napoléon (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/et-si-l-on-se-glissait-dans-la-salle-de-bains-de-napoleon-682/). Nous nous proposons, aujourd’hui, de dresser quelques portraits à partir des informations utiles, fournies par celui qui a vécu une bonne dizaine d’années dans l’ombre du grand homme.

Au sujet de Napoléon, Constant nous dévoile un homme de caractère, non dénué d’humour qui se plaît à tapoter la joue de ses domestiques, lorsque son moral est au beau fixe et qui a comme tic familier, lorsqu’il travaille ou médite, de « relever fréquemment et rapidement l’épaule droite » (Suivez notre regard !). Du point de vue physique, Napoléon n’a, selon Constant, qu’un seul défaut, la maigreur. C’est le constat qu’il fait au retour d’Egypte. Ce défaut se corrigera avec le temps (il engraisse, en effet, et « était mieux sous l’empire que sous le consulat »). Son teint est pourtant « très jaune, cuivré », ses yeux sont « enfoncés », son front « très élevé et découvert ». Heureusement pour lui, ses cheveux « très fins et très doux » de couleur châtain, ses yeux d’un « beau bleu », ses dents « très blanches et très bonnes », son nez de « forme grecque » parlent en sa faveur. Côté mensurations, c’est une forte tête (on s’en doutait un peu) selon son valet de chambre ; le mètre ruban qui permet d’en mesurer la circonférence affiche la valeur de 22 pouces (soit 56 cm), ce qui traduit une tête « moyenne » (http://www.guidedestailles.com/taille-chapeau.html), proportionnée à sa taille qui est de « cinq pieds deux pouces 3 lignes » soit un peu moins de 1,70 m. Continuons notre inspection. Les pieds sont exempts de cors ou de durillons, la poitrine très peu velue, de belles mains et de beaux ongles bien entretenus.

A table, Napoléon va droit au but. Il est là pour manger, le plus vite possible... une douzaine de minutes en moyenne. On comprend que, dans ces conditions, certains convives prennent leurs précautions et déjeunent ou dînent avant de se rendre à la table impériale. Lorsqu’il mange seul, sur un « guéridon d’acajou », son repas est encore plus court. Huit minutes en cas de record ! Mieux vaut ne pas le regarder faire car, pour être si rapide, il lui faut se passer de style et se saisir de la nourriture à pleines mains. S’il mange vite, il digère mal... Il est la proie de « violents maux d’estomac » et de vomissements. A son lever, il boit une tasse de thé ou d’infusion de feuilles d’oranger. Son plat préféré est la fricassée de poulet (le fameux poulet Marengo) ; il ne boude pas, non plus, le poulet rôti ou la poitrine de mouton grillée... Une demi-tasse de café après le déjeuner et une tasse de café après le dîner. Son étourderie l’a parfois conduit à boire deux tasses de suite, ou bien à prendre son café froid ou trop sucré ou, bien encore, non sucré. Afin de remédier à cet état de fait, l’une et l’autre de ses deux épouses, Joséphine, puis Marie-Louise, furent chargées de servir le café, de le sucrer et de le goûter, avant de le présenter au maître.

Napoléon est un militaire qui aime à couper ses cheveux le plus courts possible. Lors de la constitution du camp de Boulogne, l’empereur déclare que « tout militaire doit quitter la poudre et se coiffer à la Titus. » Il y eut des murmures et des grincements de dents. Un vieux grenadier qui tenait plus que tout à ses « cadenettes et à sa queue » accepte de sacrifier ses cheveux à la condition que le général Junot lui-même lui coupe la première mèche. « Le grenadier fut appelé, et le général Junot porta sur une tresse grasse et poudrée le premier coup de ciseaux [...] ».

Au sujet de certains aides de camp appelés les « geais de l’armée » : ceux-ci sont plus préoccupés de leur toilette que de la conquête de nouveaux territoires. Anciens émigrés, ils transportent sur le champ de bataille tout leur attirail de beauté. Il en est un qui possédait « un petit nécessaire complet qui contenait [...] des flacons d’odeur, des brosses, un miroir, un gratte-langue, un peigne d’écaille, et... je ne sais même pas s’il y manquait le pot de rouge. »

Au sujet de Joséphine : Constant est visiblement sous le charme de celle qui fut sa première patronne. « Taille moyenne », « rare perfection », « souplesse », « légèreté », démarche aérienne... à lire Constant, on croirait avoir affaire à un ange. Ce chérubin a les yeux bleu foncé, à demi-fermés par de longues paupières. Pas besoin de mascara pour l’impératrice qui possède « les plus beaux cils du monde ». Des cheveux « fort beaux, longs et soyeux » châtain clair, un teint d’une extrême fraîcheur... Au saut du lit, un madras noué autour des cheveux en bonne Créole qu’elle est, on ne peut pas ne pas lui trouver un air « piquant » ! Sa voix est ravissante. Elle est élégante et simple et semble posséder toutes les qualités possibles et imaginables.

Au sujet de Marie-Louise : elle est comme toutes les Allemandes qui sont « fraiches comme des roses. » « Beaucoup de fraîcheur dans le teint », des cheveux blonds, des yeux bleus, un peu d’embonpoint... c’est tout ce que l’on saura au sujet de Marie-Louise. Encore un détail : Marie-Louise a tendance à se croire malade. Elle a des vapeurs. Le Dr Corvisart lui prescrit « des pilules à base de mie de pain et de sucre. »

Au sujet du roi de Wurtemberg : celui-ci est devenu l’allié de Napoléon qui se fait marieuse pour infiltrer les différentes cours d’Europe ; c’est Jérôme qui épousera la fille du souverain. Ce prince est réputé pour son embonpoint. Il « était si grand et si gros qu’on disait de lui que Dieu l’avait mis au monde pour prouver jusqu’à quel point la peau de l’homme peut s’étendre. »

Au sujet du prince de Saxe-Gotha : « Long et maigre ; malgré son grand âge, il était assez coquet pour faire faire à Paris par notre célèbre coiffeur Michalon, de jolies petites perruques, d’un blond d’enfant, et bouclées comme la coiffure de Cupidon [...] ».

Au sujet de Charles-Louis-Frédéric de Bade, l’héritier du trône de Bade : Stéphanie n’a que peu d’attirance pour son prétendant. « [...] la princesse trouvait sa coiffure affreuse, et que rien ne lui inspirait autant d’aversion que les coiffures à queue. Le bon prince n’eut rien de plus pressé que de faire couper ses cheveux. Quand elle le vit ainsi tondu, elle se mit à rire aux éclats et s’écria qu’il était encore plus laid à la Titus qu’autrement. »

Au sujet du cardinal Caprara : le tableau de David dont le sujet est le sacre de Napoléon n’est pas à une imprécision près. Le cardinal Caprara, bien que portant perruque, est représenté chauve. Il s’en montre désolé. Le peintre David ne consent pas à reprendre ce détail capillaire. « Jamais, lui dit-il, je n’avilirai mes pinceaux jusqu’à peindre une perruque. » Malgré les demandes réitérées, David ne cède pas, disant que son éminence « devait se croire très heureuse de ce qu’il ne lui avait ôté que cela. »

Au sujet de l’ambassadeur de Perse, Asker-Kan : celui-ci aimait offrir de « l’essence de roses aux dames », « du tabac et des parfums » aux messieurs et ne se « gênait pas pour se laver la figure, la barbe et les mains devant le monde. »

L’empereur veut tout contrôler, même les querelles domestiques ou les fredaines de l’un ou l’autre des membres de sa famille. Il ira ainsi jusqu’à se déguiser pour découvrir la belle Dunkerquoise qui fait chavirer le cœur de son frère Joseph. « Pour ne pas être reconnu, il s’habilla en bourgeois, et mit une perruque et des lunettes. »

En deux volumes et quelques milliers de pages (Mémoires intimes de Napoléon Ier par Constant son valet de chambre, Tome I, Mercure de France, 2002, 683 pages ; Tome II, 2007, 756 pages), Constant nous livre une photographie précise de la vie intime du petit caporal, devenu empereur des Français. On appréciera son style alerte et ses portraits croqués sur le vif !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour sa vision de Napoléon… et de "ses" geais...

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