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Splendeurs et misères de la petite bonne d’un hôtel parisien !

> 18 avril 2021

Splendeurs et misères de la petite bonne d’un hôtel parisien !

« Atmosphère, atmosphère. Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? ». Cherchez bien, cherchez encore, cherchez toujours... vous ne trouverez pas cette célèbre réplique dans le roman L’hôtel du Nord,1 d’Eugène Dabit. Dans le film de Marcel Carné, en revanche, vous l’entendrez sortir de la jolie bouche d’Arletty.

Entre l’hôtel du Nord d’Eugène Dabit et celui de Marcel Carné... pas vraiment la même crèmerie ! Une ambiance, pourtant ; une atmosphère... similaire. Des petites gens, des vies difficiles...

Les Lecouvreur, Louise et son mari, ont mis toutes leurs économies dans un hôtel dont la propreté est plus que douteuse... Louise va y remédier, serpillère et torchon à la main. Elle sera aidée dans cette tâche par une pensionnaire, Renée, une fille de la campagne, un peu trop naïve pour l’ambiance parisienne.

Eugène Dabit se fait, dans ce roman, peintre de la vie quotidienne du début du XXe siècle ; les pensionnaires d’un petit hôtel miteux vont ainsi prendre la pose devant celui qui cherche à mettre en lumière des vies obscures. Les petites bonnes, les ouvriers, les sans emplois se pressent autour du zinc et devant son chevalet, composant une série d’instantanés plus cruels les uns que les autres.

Lecouvreur et Mimar, des toilettes sommaires

Lecouvreur est un homme qui se lève tôt et se couche tard. Tous les matins, « il apporte à la toilette du « perco » tous les soins qu’il marchande à la sienne. Et je te frotte, et je t’astique ! »

Mimar, l’un des pensionnaires de l’hôtel, a, quant à lui, deux passions : « les cartes et les femmes ». Son « teint de tomate mûre » n’a pourtant rien pour inspirer l’amour. Pas de souci, Mimar se contente de peu. « Il se rasait et changeait de linge une fois par semaine [...] ». Il n’en demande pas plus aux femmes qu’il courtise. Une odeur « douceâtre » n’est pas pour le rebuter.

Les ouvriers du quartier, une toilette sommaire également

Un petit café noir au comptoir avant d’embaucher... L’hôtel du Nord se remplit, chaque matin, d’une foule de besogneux « mal rasés, à peine lavés ». La phrase que l’on entend le plus souvent alors : « Vivement ce soir, qu’on se couche ! » Pas pour prendre un bain ou une bonne douche, mais pour se jeter sur son lit et dormir tout son soûl.

Les ouvrières du quartier, une toilette oubliée sous une épaisse couche de cosmétiques

Les ouvrières des peausseries et filatures voisines viennent également prendre leur petit-déjeuner au bistrot de l’hôtel. « Elles se regardent dans les glaces du comptoir, puis elles se maquillent avant de gagner la rue. » Louise, adepte de la propreté, les regarde avec suspicion. « Toutes des fricoteuses ! pense-t-elle. Elles feraient mieux de se laver que de se mettre de la poudre de riz. » Très parfumées, ces demoiselles laissent un sillage lourd sur leur passage. Aération obligée !

M. Adrien, un pensionnaire d'une extrême propreté

M. Adrien est un homme d’une propreté méticuleuse ; « rasé de frais, parfumé », cet employé en confiserie a fait de sa chambre une véritable « bonbonnière ». Déformation professionnelle oblige. C’est lui qui fait son ménage et astique sa chambre. Cet homme qui reçoit la visite de camarades qui restent dormir la nuit aime à se déguiser en gitane pour des bals costumés. Pour l’occasion et par souci de perfection, il « se rase les mollets et les bras », se coiffe d’une perruque brune, poudre « à blanc » son visage et dessine le contour de ses yeux « en amande ».

Renée Levesque, une vraie blonde qui met le feu à l’hôtel du Nord

Renée Levesque vit avec Pierre Trimault, un serrurier, sans foi ni loi. « Blonde et grassette », des yeux bleus pleins de naïveté (la jeune femme n’a que 22 ans), des joues remplies de « taches de rousseur », Renée apprend à se faire coquette pour plaire à Pierre, un gars facile à séduire, difficile à retenir. La jeune paysanne, qui a « honte de son teint hâlé », se maquille pour obtenir le teint de porcelaine de la Parisienne de naissance. De la poudre de riz évidemment et puis un peu de rouge à lèvres pour faire briller une bouche qui ressemble terriblement à « un beau fruit ». Pendant que Pierre est au boulot, Renée attend patiemment dans sa chambre ; elle y passe des heures à se contempler devant sa glace. « Elle inventait de nouvelles coiffures, et chaque jour se fardait un peu plus. » Plus Renée se farde, moins Pierre est aimable. Ce serrurier, qui a pénétré par effraction dans la vie de Renée, se lasse bien vite de sa conquête. Peut-être qu’avec un petit salaire, une reconquête est possible. Pas pour longtemps en tout cas. Louise qui est devenue bonne à tout faire pour retenir son amant le fait fuir en annonçant une grossesse. Une maternité qui remet pourtant Louise à flots et lui donne une raison de vivre. Toujours aussi naïve pourtant, Louise se laisse séduire par Bernard, un jeune électricien « parfumé », qui embaume l’Houbigant et lui promet des cosmétiques en échange de bons et loyaux services. « J’ai un copain qui travaille chez Houbigant, expliqua-t-il. Même, si ça vous fait plaisir ; je peux vous avoir un litre d’eau de Cologne à prix coutant. » Lorsque Pierrot décède en nourrice, Louise se laisse couler. Sa grande amie se nomme désormais Fernande. Celle-ci l’entraîne dans des lieux de plaisir mal famés. « Elle se fardait, mettait son corsage neuf et ses beaux souliers qui lui faisaient mal. » Devant Fernande, Louise est honteuse de ses « mains rouges » qui témoignent d’une vie de labeur. Petit à petit, Louise se dévergonde, découche et ne revient à l’hôtel du Nord qu’au petit matin. « Elle avait juste le temps de quitter sa robe et de passer un linge mouillé sur ses joues pour enlever le maquillage ». Et puis, un jour, Louise se laisse prendre par un pensionnaire ; c’est le doigt dans l’engrenage. Plus besoin de se maquiller, ni de se mettre en frais. Le client est là dans la chambre voisine prêt à payer un petit tribut contre service rendu. Mis au courant de l’activité de leur bonne « à tout faire » « vraiment tout faire » les Lecouvreur se fâchent et renvoient Louise.

Denise, une fausse blonde qui attise le feu à l’hôtel du Nord

Denise, une fausse blonde qui s’habille de manière voyante et poudre abondamment son visage, a « le feu au derrière ». Après Renée, Denise attise le feu qui couve entre les vieux murs de l’établissement parisien. Une pensionnaire qui met la zizanie dans un paisible établissement ne tient pas 8 jours !

Jeanne, une petite bonne qui prend le même chemin que Renée

Jeanne, fervente admiratrice de Denise, fait tout comme elle. « Elle se poudra, écrasa sur ses lèvres un bâton de rouge comme elle l’avait vu faire à Denise. » Comme Renée, Jeanne est une grande naïve qui cède au premier électricien venu. Celui-ci, un certain Couleau, n’a pas de cas de conscience et fait main basse sur les économies de la grisette. En contrepartie, Couleau lui paye, quand il en a le temps, « une garniture de peignes, un flacon d’eau de Cologne ». Jeanne, enceinte, finit par quitter l’hôtel.

et la mère Chardonnereau

Lassée des jeunes bonnes qui créent le trouble dans un hôtel souhaité paisible, Louise Lecouvreur décide de recruter une femme d’âge canonique, peu susceptible de déclencher des passions. Contrairement à Renée ou à Jeanne, la mère Chardonnereau n’est guère consciencieuse. Elle fouille dans les affaires des pensionnaires et tente, ainsi, de percer les secrets les moins avouables. Jamais rebutée, elle tripatouille « dans les tiroirs gluants » et plonge ses mains au milieu « des bâtons de rouge, des flacons, des démêlures de cheveux, de la vaseline, de l’ouate... ». Le linge sale... sa spécialité !

L’hôtel du Nord, en bref

Un hôtel orienté au nord, un hôtel lugubre qui ne voit pas souvent le soleil, un hôtel composé de multiples alvéoles dans lesquelles vivent de petites gens qui ont bien du mal à finir le mois. Un hôtel dans lequel les Lecouvreur ont placé toutes leurs économies, un hôtel qui doit leur assurer une vieillesse paisible. Et puis patatras, alors que tout semble aller pour le mieux, un ordre de démolition et des engins qui viennent mettre à bas la ruche qui a vu passer tant d’abeilles industrieuses. Une petite larme au coin de la paupière de Louise, une larme pour célébrer les destins qui se sont croisés sous ses yeux. Et puis des bonnes... qui viennent de la campagne, qui sont pleines de fraîcheur à leur arrivée à Paris et qui, au fil des rencontres, perdent leur raison d’espérer, sans jamais perdre leur naïveté. Des vies âpres, sans beaucoup d’éclat, mais avec, en revanche, un trop-plein de misère.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Dabit E., L’hôtel du Nord, Collection Folio, Denoël, 2016, 218 pages

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