Nos regards
Sous les pavés, la plage... Sous le bouchon, le fric...

> 08 mai 2017

Sous les pavés, la plage... Sous le bouchon, le fric... Calimero , le petit poussin noir né dans les années 1960 en Italie, qui porte sur sa tête le reste de sa coquille cassée (on ne peut pas dire que ça ne commence vraiment bien pour lui !) n’a vraiment pas de chance dans la vie. Tout se ligue contre lui et se termine, en général, par sa célèbre phrase « C’est vraiment trop injuste ! ». Alors que le poussin commence une carrière médiatique, la marque Orlane, quant à elle, est une marque déjà bien installée dans le paysage cosmétique. Les produits de soin sont des produits de luxe, formulés pour « une femme raffinée et exigente ». Si l’on sait qu’elle est née après la Seconde Guerre mondiale, la marque reste, par ailleurs, extrêmement discrète sur son origine (http://www.orlane.fr/maison-orlane/marque).

Avril 1967 : Nantes (« Nantes : peut-être avec Paris la seule ville de France où j’ai l’impression que peut m’arriver quelque chose qui en vaut la peine » disait André Breton) est en avance sur l’Histoire. Les étudiants, mal à l’aise dans des locaux peu adaptés à leur nombre qui va croissant, commencent à rêver à un nouveau monde et viennent soutenir les ouvriers de Saint-Nazaire. Le 6 mai 1967, un groupe d’étudiants libertaires, entourant notamment Yvon Chotard, Jean Breteau et Yves Cossic, s’empare du siège de l’Association Générale des Etudiants Nantais. Pendant une année, les périodes de calme et d’agitation alternent.

Le 8 mai, jeunes, ouvriers et agriculteurs défilent... Le 14 mai, l’usine Sud Aviation, située à Bouguenais, à une dizaine de kilomètres de Nantes, est la première usine occupée (http://www.liberation.fr/grand-angle/2008/02/15/nantes-hisse-le-drapeau-rouge_65041).

On connaît la suite...

La capitale, les grandes villes de France voient se succéder les manifestations, les grèves... Après une période de prospérité et ce que l’on appelle
« la société de consommation », une partie de la population ne se retrouve pas dans la société telle qu‘elle est alors. Les plus poètes rêvent de plage sous les pavés (la notion de protection solaire n’est pas encore un thème d’actualité), les plus terre à terre, d’augmentation de salaire. Tous se retrouvent sous le drapeau rouge afin de faire plier le gouvernement en place.

La société Orlane semble bien étrangère à toute cette agitation. Elle choisit ce moment pour le lancement, à la manière d’une double provocation, de la crème B21, en revendiquant haut et fort : ceci est la crème la plus chère du monde, « 190 francs... mais la jeunesse n’a pas de prix ». Ce prix de vente représente plus d’une semaine de travail pour un ouvrier de l’époque payé au SMIG (http://cpgestion.fr/salaires/salaires/lesevolutionsdusmic.html). Mais, l’ouvrière n’est, bien évidemment, pas la cible de ce nouveau produit anti-âge aux propriétés extraordinaires. Orlane titille également la hippie « peace and love » qui veut faire l’amour et pas la guerre. Orlane déclare officiellement la guerre aux signes du vieillissement (peau flasque, rides...) en choisisant le nom de sa crème en faisant un clin d’œil aux Américains et au prototype de l’un de leurs bombardiers, le North American XB-21, conçu dans les années 1930.

Alors Calimero et la Crème B21, quel rapport, nous direz-vous ? La chose est peu connue. Nous vous la révélons, aujourd’hui. Calimero prête sa bouche de canard au publiciste qui met au point le support marketing de la crème « révolutionnaire ». C’est dans un large sourire de palmipède que trône le précieux conditionnement doré qui ressemble plus à un écrin à bijoux qu’à un pot de crème. Ce sourire se transformera rapidement en moue (celle-ci lui est restée depuis) en constatant que son cachet ne lui permettait pas d’acheter la crème anti-âge fabuleuse qu’il rêvait d’offrir à sa maman !

La crème B21 « efface le temps ». « Elle contient une substance exclusive et brevetée désignée par les intiales G A, qui est l’association d’acide glutamique avec un autre acide aminé » (qui restera secret !). Cette crème « renouvelle les cellules de la couche basale, reconstitue les protéines, fortifie les muscles du visage, diminue rapidement les rides ».

Alors que ses concurrents ont recours à des actifs régénérants qui feront plus tard polémique (liquide amniotique, placenta, embryons de poulets, gonades d’oursins, extraits hormonaux divers et variés), Orlane joue la carte de la sobriété en utilisant des acides aminés censés reconstituer les fibres élastiques responsables de la fermeté de la peau. Reprenant le concept déjà ancien du « skin food », Orlane décide de nourrir la peau non pas de l’intérieur mais de l’extérieur.

Orlane en 2017... C’est toujours une gamme de cosmétiques de luxe. La crème B21 (180 euros) n’est plus la crème la plus chère du moment, détrônée qu’elle est par la Crème Orchidée impériale de Guerlain (380 euros), ), la Crème de la Mer (480 euros), la Crème cellulaire Platine La Prairie (950 euros)… Pour autant, le coup d’éclat réalisé en 1968 par la marque Orlane reste dans tous les esprits...

En affirmant la jeunesse n’a pas de prix, Orlane répond, implicitement, à la question « Quel prix donnez-vous à votre jeunesse ? » La jeunesse, si elle n’a pas de prix, ne se retient pas non plus et aucun produit aussi efficace soit-il n’a la faculté de nous permettre de revenir en arrière... au bon vieux temps... quand on faisait la révolution… comme en 68, quoi !

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