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Sous le soleil exactement… naissance des produits de protection solaire (PPS)

> 06 mai 2017

Sous le soleil exactement… naissance des produits de protection solaire (PPS) Nous avions laissé hier Anna Karina reprendre son refrain entêtant, « Sous le soleil exactement »… Nous l’avons toujours en tête aujourd’hui !

Allongé sur la plage, le soleil au zénith, voilà les conditions idéales pour développer un coup de soleil (même lorsque les nuages semblent cacher le soleil), des coups de soleil à répétition qui généreront, plus tard, un cancer cutané photo-induit.

A l’heure actuelle l’équation « Exposition solaire = Protection solaire cosmétique + vêtements + lunettes + chapeau » est bien connue d’une fraction importante de la population (des récalcitrants ou personnes souffrant d’addictologie solaire continuent, toutefois, à considérer le soleil comme un ami sûr, mais leur nombre va en se réduisant !). Avant d’en arriver là, il a fallu passer par différentes étapes.

Il est bon de rappeler que les produits de protection solaire (PPS), contrairement à la grande majorité des autres cosmétiques (produits d’hygiène, produits de maquillage, produits anti-âge, produits destinés à l’épilation ou à la dépilation…) sont des produits d’apparition récente sur le marché.
Leur utilisation sur le mode « réflexe » a été longue à obtenir !

Apparus dans les années 1930, alors que l’on vient tout juste de découvrir les joies du bronzage et par là-même, pour certains, les coups de soleil qui y sont associés, les premiers PPS vise un « bronzage réussi ». On nous parle « d’éviter les coups de soleil » et de « brunir régulièrement ».

Il faut dire que jusque-là le soleil a été présenté plutôt comme un ami (voir le Regard « Sous le soleil exactement…l’héliothérapie »). Un ami que l’on a quand même fui pendant des siècles ! Les vêtements et ombrelles ont constitué pendant fort longtemps les moyens de protection privilégiés.
« Beaucoup de jeunes femmes, soucieuses de la fraîcheur de leur teint, se désolent, en été, de le voir brunir par le hâle que produit surtout le séjour à la mer. Comme précautions à prendre nous conseillons d’éviter de sortir sans voilette. On pourra s’envelopper dans ces gazes légères qui, après avoir fait le tour de la tête, peuvent encore être ramenées sur le cou, en forme de cravate pour le protéger. » (Villiers C, de la Beauté chez la femme, Albin Michel, 1910, 160p).

Les préparations permettant de traiter les taches pigmentaires abondent dans les formulaires cosmétiques et montrent que les premières préparations anti-solaires étaient, en réalité, très peu efficaces. L’onguent contre les éphélides (les éphélides sont les taches de rousseur qui apparaissent d’autant plus que l’on s’expose au soleil) à base de beurre de cacao, d’huile de ricin, d’oxyde de zinc, d’oxyde mercurique et d’essence de roses ne semble pas être le produit le mieux adapté. Sa formule avoisine celles de produits destinés à lutter contre « les taches pigmentaires », comme ce lait virginal renfermant du chlorhydrate d’ammoniaque, de l’acide chlorhydrique et de la glycérine (Lusi, La femme moderne, 1905, 310 p). Des formules-maison très simples à réaliser en battant tout simplement un blanc d’œuf en neige est la solution anti-taches préconisée par Colette Villiers (Villiers C, de la Beauté chez la femme, Albin Michel, 1910, 160p).

En 1912, le baume sport de Clarks (pour l’automobile, les voyages et les sports) s’adresse spécifiquement « aux femmes qui font du sport automobile ou dont l’épiderme est très sensible à l’action du grand air, du soleil et de la poussière. On ignore la composition de ce produit multifonctions. Il semble s’agir d’une crème barrière qui protège du vent, des UV, de l’effet « corrosif et mordant de la brise de mer »… Bref, une véritable panacée !

En 1935, la marque Tho-Radia, marque de cosmétiques radioactifs (s’il vous plaît !) prodigue ses conseils dans un dictionnaire de soins de beauté. Son auteur, René Jacquet, y chante, bien sûr, les louanges de la marque tout au long des 158 pages que compte ce dictionnaire de format pratique ; il peut, en effet, se glisser dans la poche. Le terme « brunissage » ou « bronzage » est présenté comme « une mode amenée par la pratique de l’héliothérapie préventive. Elle consiste à s’exposer le corps au soleil pour se hâler. La peau acquiert de la sorte une teinte brune, bronzée ou dorée. Cette pigmentation est produite par les rayons ultra-violets. Pour avoir une valeur thérapeutique, le bain de soleil doit être direct, sans vêtements ni vitre interposée ; et total, c’est-à-dire atteindre le corps entier. » L’héliothérapie doit se faire de manière contrôlée. « Ne pas s’endormir pendant la séance de peur de la prolonger outre mesure et d’attraper des coups de soleil. » Afin d’éviter de développer des coups de soleil, il est possible d’utiliser une « huile à brunir » ou mieux, sans doute, la poudre Tho-Radia (la même que celle que l’on utilise de « façon ordinaire » mais dont on aura soin de doubler la dose d’emploi). Nous avons été étonnées de trouver mention de cette notion de dose d’application qui est capitale et dont on reconnaît aujourd’hui l’importance fondamentale. « Les sels de titane qui entrent dans la composition de la poudre Tho-Radia s’opposent à l’intrusion des radiations nuisibles. » Si par malchance, on développe, tout de même, un coup de soleil, Tho-Radia offre, dans ce cas-là aussi, une solution. « Les rougeurs, cuissons et desquamations, sont rapidement guéries par des applications copieuses de crème Tho-Radia. »

En 1947, dans un fascicule intitulé « Hygiène des plages et de la montagne », René-Maurice Gattefossé s’intéresse aux vacances et aux changements de vie associés. On peut y lire que « L’estivant ne réalise presque jamais ce que peut avoir d’anormal, pour un citadin, le mode d’existence des plages à la mode ». Les huiles solaires seront « réchauffantes », c’est-à-dire composées de différentes huiles essentielles (romarin, lavande, verveine, thym…), de manière à « activer la circulation périphérique ». On se garderait bien actuellement d’incorporer de telles huiles essentielles dans des produits photo-protecteurs ! On peut avoir recours également à différents actifs (dérivés de l’acétophénone, de l’acide benzoïque, de l’acide salicylique, de l’acide anthranilique…) ajoutés à l’excipient de base choisi. Dioxyde de titane et oxyde de zinc sont également les ingrédients que l’on retrouve dans les formes pâteuses.

Les années 1970 voient l’aboutissement d’un certain nombre de recherches visant à la mise au point de méthodes de détermination de l’efficacité des PPS. En effet, contre toute attente, jusque-là, les PPS n’affichaient pas d’indice de protection solaire.

Yves Rocher, quant à lui, s’inscrit dans une beauté naturelle. Dans un ouvrage « Restez vraie » (1977), il évoque les soins à apporter à sa peau en été. Il propose une nouvelle définition de l’amitié. Le soleil est un ami, mais un ami dont on devra se méfier, quand même ! « Il vous rend heureuse, belle, détendue ; il peut être bénéfique pour votre corps et pour votre santé, mais seulement si vous en usez raisonnablement, si vous savez doser ses effets en contrôlant, soigneusement, par exemple, la durée d’exposition. » Précisément pour s’en prémunir, il faudra s’enduire d’un « produit solaire très filtrant, capable d’arrêter les rayons ultra-violets B qui provoquent les coups de soleil, et de laisser passer les ultraviolets A, bronzants. La plupart des produits solaires portent, aujourd’hui, un indice de protection suivi d’un chiffre (sic). Cet indice, 5 par exemple, signifie que le temps de protection naturelle est multiplié par 5. C’est un indice de protection élevé, conseillé en particulier aux peaux sensibles. » En lisant ces lignes, on se rend compte à quel point les choses ont changé. On sait, parfaitement, à l’heure actuelle, l’implication des UVA dans le développement des cancers cutanés. Les méchants UVB et les gentils UVA ont fait place aux méchants UV (tout court !).

En 20 ans, la recherche concernant la mise au point de nouveaux actifs a été hyperactive. Des filtres UVB, des filtres UVA et des filtres à spectre large (couvrant les domaines UVA et UVB) ont ainsi été mis au point. Leur association dans des excipients adaptés (les huiles d’antan ont été remplacées par des émulsions plus protectrices) a permis d’atteindre de hauts indices. Et même, on peut dire que les indices s’envolent littéralement. Le SPF (Sun Protection Factor), indicateur qui traduit l’efficacité du produit dans le domaine UVB est très élevé. L’indice de protection UVA, quant à lui, plafonne car le nombre de filtres UVA à disposition est limité.

Après avoir suivi une courbe ascendante, un coup de frein est mis concernant les indices affichés. Ce sont des dermatologues français qui tirent la sonnette d’alarme et va s’ensuivre une nouvelle réglementation concernant l’étiquetage des produits de protection solaire et finalement leur composition. On s’est, en effet, rendu compte qu’il est aberrant de mettre sur le marché des produits qui « surprotègent » dans le domaine UVB.

La Recommandation de la Commission du 22 septembre 2006 relative aux produits de protection solaire et aux allégations des fabricants quant à leur efficacité met un point final à l’escalade en matière de SPF. Un ratio d’un tiers entre SPF et Facteur de protection UVA (idéalement on devrait chercher à atteindre un ratio de 1) permet de réaliser des PPS acceptables, au regard des filtres à disposition actuellement.

Des années 1930 aux années 2000, la formulation des PPS a évolué de manière considérable aboutissant, de nos jours, à la mise sur le marché de PPS sûrs et efficaces (en général). Un certain nombre de prochains Regards détailleront les compositions de ces produits cosmétiques pas comme les autres.



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