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Sous le soleil exactement... l’héliothérapie

> 05 mai 2017

Sous le soleil exactement... l’héliothérapie

Anna Karina chante « Sous le soleil exactement », dans un téléfilm aux allures de comédie musicale, diffusée par l’ORTF, en 1967. Les paroles gainsbouriennes à souhait évoquent « un point précis sous le Tropique… du Capricorne ou du Cancer », « Pas à côté, pas n’importe où… Juste en dessous… Tout au bord de la mer… »

Avant de devenir une mode, l’exposition solaire a été utilisée à des fins thérapiques. Nous nous proposons aujourd’hui de rappeler les grandes lignes de ce que l’on a baptisé « héliothérapie ».

L’un des pères de la photothérapie moderne s’appelle Niels Ryberg Finsen (1860 – 1904). Celui-ci aura recours, selon les périodes considérées, à l’héliothérapie (traitement par la lumière naturelle) ou à l’actinothérapie (traitement par la lumière artificielle).

Niels Finsen naît le 15 décembre 1860, à Torshavn, capitale des îles Féroé. En 1882, il part étudier la médecine à Copenhague. Très rapidement, il s’intéresse au comportement des organismes vivants face à la lumière et au soleil. Diplômé en 1890, il occupe durant 3 ans un poste de disséqueur à l’Université, poste qui, comme on peut s’en douter, ne le comble pas intellectuellement. Il démissionnera donc afin de pouvoir consacrer plus de temps à ses recherches scientifiques. Il lui faut toutefois continuer à gagner sa vie, ce qu’il fait en devenant répétiteur pour des étudiants en médecine. Les découvertes qu’il réalise sont à mettre en lien avec son état de santé fragile. Il souffre, depuis 1883, de ce que l’on appellera plus tard la maladie de Niemann-Pick. Cette pathologie, liée à un trouble du métabolisme lipidique, se traduit par une accumulation de lipides au niveau de différents organes tels que le foie, la rate, le cœur… Certaines manifestations cutanées à type d’excroissances graisseuses ou d’hyperpigmentations peuvent être observées. Celles qu’il identifie sur sa propre peau sont une source de motivation importante qui l’amène à étudier les effets de la lumière sur l’état de la peau. Problèmes gastriques, insuffisance cardiaque, ascites, autant de signes cliniques qui ne lui laissent pas de répits. Ses médecins admirent sa force de caractère ; il tente différents traitements, analyse ses urines… Sans effets. Partant des travaux de Downes et Bunt (1887) qui démontrent l’effet bactéricide des ultra-violets, Finsen décide de continuer sur ces traces. La météorologie au Danemark ne lui offrant pas les conditions optimales d’irradiation, Finsen met au point une source artificielle de lumière qu’il souhaite utiliser à des fins thérapeutiques. Il s’agit d’une lampe à arc carbone. En 1893, il éradique des lésions de variole grâce à une irradiation ultra-violette. Payant de sa personne, il détermine sur sa propre peau la dose d’UV susceptible d’engendrer un érythème. En 1895, il établit une collaboration avec la Copenhague Light Works. L’un des ingénieurs, Niels Mogensen, souffre d’une tuberculose cutanée sévère et douIoureuse, avec des lésions prédominant au niveau de la face. Il a tenté en vain divers traitements médicamenteux et chirurgicaux. Devant cette souffrance, Finsen n’hésite pas. Niels sera son premier patient. Au bout de 4 jours, l’amélioration de l’état de santé de Niels est spectaculaire. Finsen est conforté dans sa foi en cette nouvelle thérapie. Il attribue l’efficacité du traitement aux UVA courts. Pourtant l’histoire ne lui donnera pas raison, puisque la lampe de Finsen n’émet pas dans l’UVA court. En 1896, il crée le Medical light Institut, à Copenhague, grâce à des fonds fournis par des mécènes. Les patients affluent. Au départ, il a recours soit à des irradiations naturelles, soit à des irradiations artificielles. Rapidement, il n’utilise plus que la lampe dont il est l’inventeur. Des séances d’irradiation collectives sont organisées (c’est d’ailleurs, une photographie prise lors de l’une de ces séances qui illustre ce Regard).

Entre 1886 et 1901, le nombre de patients traités pour un lupus à l’institut est de 804. On se félicite de 83 % de guérisons, jugées spectaculaires et on déplore seulement 6 % d’échecs. Finsen ne fait pas que traiter le lupus, il redonne goût à la vie à des patients désocialisés du fait d’une pathologie affichante. En 1901, l’institut est rebaptisé institut Finsen, en son honneur. Une lampe est offerte à la princesse Alexandra du Danemark, qui va devenir reine d’Angleterre. Elle en fera don au London Hospital, qui pourra ainsi accueillir les patients en attente de traitement. En quelques années, le concept s’exporte en Europe et en Amérique. Bientôt, ce sont 40 instituts qui voient le jour à travers le monde. Le traitement du lupus est révolutionné. Toutefois, Finsen voit ses forces décliner. Il finit sa vie en fauteuil roulant, extrêmement affaibli, mais l’esprit toujours aussi alerte. Il ne se déplace plus dans les congrès et laisse ses collègues présenter ses travaux à sa place. Il ne sera pas présent lors de la cérémonie de remise de son prix Nobel de médecine, en 1903. Il décède le 24 septembre 1904, à Copenhague.

Finsen a toujours placé la lumière et le soleil au centre de sa vie ; il en avait un besoin véritablement vital, du fait d’une foi inconditionnelle en ses propriétés curatives. Adorant le soleil, il considère qu’il est capable de tout embellir : « Un rayon de soleil au cours d’une journée nuageuse et tout change. Les insectes qui somnolaient s’éveillent, les lézards et les serpents viennent se chauffer à ses rayons, les oiseaux chantent. » L’actinothérapie, mise au point grâce au développement des lampes, présente l’avantage de permettre une irradiation ciblée de la lésion à traiter, contrairement à l’héliothérapie qui, en règle générale, s’adresse à l’individu entier. Elle permet, en outre, de s’affranchir des variations climatiques.

Auguste Rollier (1874 – 1954), convaincu par les travaux de Finsen, ouvre, à Leysin, en Suisse, l’un des premiers centres d’héliothérapie, en 1903. Il décide également d’ouvrir des « écoles au soleil », à destination des enfants des milieux défavorisés, afin de prévenir le développement de la tuberculose. « Les noisetiers » à destination des garçons et « les violettes » à destination des filles ouvrent ainsi leurs portes, à Cergnat, à 1300 mètres d’altitude. Les cours sont dispensés en plein air ; exposition solaire et apprentissage scolaire se font de concert.

L’idée est reprise dans un certain nombre de pays. Héliothérapie et cure d’air pur ne sont pas toujours associées. Au mois d’août 1930, un centre de bains de soleil voit le jour à Regent’s Park, au coeur de Londres. Un médecin de l’hôpital St Pancras situé dans le voisinage, le Docteur Georges Sowden, fait le bilan de la saison d’été dans la célèbre revue The Lancet. Ce centre à destination des enfants âgés de 2 à 5 ans est ouvert de 10 h à 13 h et de 14 h à 18 h. Les enfants qui y sont acceptés ne souffrent pas de pathologies particulières. Le but de ce centre n’est aucunement thérapeutique. Il vise seulement à consolider la santé « des jeunes pensionnaires ». On tient compte de la sensibilité au soleil de chaque enfant pour le placer dans le groupe où le mode d’ensoleillement lui sera le plus profitable, en évitant au maximum tout effet néfaste. Pour pouvoir évaluer l’intérêt des bains de soleil sur la santé des enfants, une pesée de ceux-ci est effectuée à l’entrée dans le centre, puis de façon hebdomadaire. 1026 enfants seront accueillis sur les 7 semaines d’ouverture du centre. Trente-trois enfants ayant fait plus de 10 séances présentent une augmentation moyenne de poids de l’ordre de 225 g. La prise de poids la plus remarquable est observée chez deux frères assidus au centre, puisqu’ils y vinrent 29 fois. Elle est respectivement de 950 g et de 1 kg. Il serait sûrement péremptoire de mettre cette belle prise de poids exclusivement sur le compte de la simple exposition solaire. On a également pu noter, dans quelques cas, une amélioration de l’état de santé d’enfants nerveux, au sommeil difficile. En conclusion de ses travaux, le Dr Sowden juge difficile et onéreux de maintenir ce type de centre dont l’activité cesse avec les mauvais jours. Il lui semble plus profitable d’intégrer la pratique des bains de soleil à une structure de garde, type crèche ou à une structure éducative, type école.

A Chailey, en Angleterre, George Murray Levick met au point un système d’irradiation alliant lampe à vapeur de mercure et lampe de sa composition (???). Il baptise l’ensemble « bébé lampe », du fait du peu d’encombrement du dispositif. Si le soleil est toujours utilisé lorsque la météorologie est favorable, on peut pallier à son absence grâce à ces « bébés lampes » qui se placent au lit du malade. Celui-ci peut toutefois être déplacé sur une galerie où circule un bon air pur de façon à profiter du climat.

A Louxor, en Egypte, dans les années 1920, les hôtels voient se succéder curistes et touristes au fil des saisons. Certains d'entre eux mettent à disposition toits terrasses et balcons pour faire profiter leur clientèle des effets bénéfiques du soleil, du mois de décembre au mois de février. Les touristes déferlent à partir du mois de mars et prennent d’assaut les pyramides. L’Egypte est alors présentée comme le pays idéal pour l’héliothérapie. Le soleil y brille presque toute la journée. L’air est sec, tonifiant ! Certains déplorent ces cures qui peuvent s’avérer dangereuses lorsqu’elles ne sont pas encadrées par du personnel médical. D’autres parlent de « cures scientifiques » si tous les éléments sont réunis pour éviter insolation et brûlures. On suit, en particulier, le protocole mis au point par Auguste Rollier. L’exposition s’effectue progressivement, en commençant par les membres. Lorsque le corps est bien bronzé, les risques de brûlures disparaissent et on peut alors s’exposer plusieurs heures par jour. La tête et le cou devront, toutefois, être protégés.

On considère que la meilleure plage horaire pour la réalisation de ces bains de soleil est la plage 6 h – 9 h, car l’air y est encore frais. Ces expositions solaires se traduisent par un certain nombre d’effets bénéfiques, tant subjectifs (bien-être, euphorie…), qu’objectifs (amélioration de l’état de santé des personnes souffrant de polyarthrite rhumatoïde, augmentation de la résistance à la douleur…). Toutefois, le spectre de l’insolation et de la brûlure rôde toujours autour des imprudents qui choisissent mal leurs horaires ou bien sont trop gourmands en ce qui concerne la durée d’exposition. Lassitude, maux de tête, vertiges, irritabilité, insomnie guettent ces derniers.1

La photothérapie est toujours d’actualité de nos jours pour le traitement de diverses pathologies (lucite, psoriasis…). Toutefois, l’angélisme des débuts n’est plus de mise. Des protocoles très précis sont mis en place, visant à réduire le nombre de séances. En outre, une surveillance médicale attentive est réalisée, la survenue de cancers cutanés n’étant pas rare. Soleil, ami ou ennemi…

Les scientifiques du XXIe siècle tranchent fermement la question en se plaçant ostensiblement du côté « ennemi ». Les adeptes du bronzage, quant à eux, font toujours fi des mises en garde, ne gardant en tête que les effets bénéfiques liés aux expositions aux UV.

Bibliographie

1 C. Couteau & L. Coiffard, Dictionnaire égoïste des cosmétiques, Edilivre, 2016, 246 pages

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