> 27 mars 2017
Listerine est le fruit d’une rencontre. D’un côté, un éminent professeur qui a passé sa vie à traquer les micro-organismes et à chercher le moyen de les vaincre le plus efficacement possible, de l’autre des professionnels de santé doublés d’hommes d’affaires qui voient dans ces travaux un potentiel à exploiter.
Listerine doit, bien évidemment, beaucoup à Joseph Lister et, en tout premier lieu, son nom. On ne peut pas affirmer avec certitude que c’est le décès de son professeur, John Phillips Potter, au printemps 1847, qui est à l’origine de la vocation du jeune médecin. Ce jeune professeur, brillant, apprécié de ses étudiants et promis à un bel avenir, succombe, au bout de trois semaine, à une septicémie après s’être contaminé lors d’une dissection, sans que l’on n’ait rien pu faire pour lui, (Ruth Richardson, Joseph Lister's domestic science, The Lancet, 382, 9898, 2013, Pages e8-e9). Ceci n’est pas chose rare, à l’époque, les précautions prises par le corps médical en matière d’auto-protection étant quasiment nulles. Le Lancet commenta la disparition du jeune professeur et réalisa, à cette occasion, de façon plus générale, un hommage marqué à l’ensemble « des victimes de la dissection » qui « devraient occuper une place de choix parmi les martyrs de la science et du savoir ». Lister fut, sans nul doute, présent à son enterrement, au Kensal Green Cemetery, mêlé à la foule des étudiants et des enseignants. On peut supposer qu’il ressentit un sentiment de colère face à tant de gâchis et que c’est à cette minute qu’il décida de mettre fin à ce type de situations tragiques.
En 1865, Joseph Lister pratique la première opération en conditions aseptiques. La méthode consiste à vaporiser dans l’air et sur les instruments chirurgicaux un antiseptique, le phénol. Joseph Lister, tout comme le viennois Semmelweiss, insiste, tout particulièrement, sur la nécessité de se laver les mains, avant et après tout acte chirurgical. Joseph Lister place sa confiance dans le phénol et juge que des solutions à 5% sont efficaces. Considéré comme l’un des pères de l’antisepsie, Joseph Lister est mis à l’honneur. En 1897, Lister accède à la pairie comme en témoigne un court entrefilet du Lancet (The Lancet, 149, 3829, 16 January 1897, Page 194). Hommage lui sera rendu par la suite en donnant son nom à une famille de bactéries, dont le représentant le plus connu est Listeria monocytogenes.
Si la première publication de Joseph Lister sur l’antisepsie des plaies date de 1867, il faut attendre une vingtaine d’années plus tard pour que son nom soit connu et reconnu. Le médecin Joseph Lawrence et le pharmacien Jordan W. Lambert, tous deux originaires de St Louis (Missouri), sont séduits par les travaux de l’éminent professeur. Ils sentent, confusément, qu’il y a quelque chose à exploiter. Comment ? En commercialisant, par exemple, un antiseptique nommé Listerine en l’honneur de… Nous sommes en 1879. Le produit a du succès et est mis à profit dans des situations très diverses : nettoyage des sols, traitement de la gonorrhée, désinfection des coupures, plaies… la Listerine est mise à toutes les sauces... Sa popularité grandit. En 1895, le produit étend son champ d’action. Il est proposé aux dentistes pour prévenir/traiter les problèmes bucco-dentaires. Il faut dire qu’un dentiste a milité en sa faveur. Le Dr Miller, auteur d’un ouvrage sur les micro-organismes de la cavité buccale paru en 1890, vante les mérites de la solution Listerine. Ce mélange d’huiles essentielles comportant entre autres du thymol, de l’eucalyptol, du menthol et du salicylate de méthyle est jugé efficace comme antiseptique buccal (Daniel H. Fine, Listerine: past, present and future – A test of thyme, Journal of Dentistry, Volume 38, Supplement 1, June 2010, Pages S2-S5).
Sa popularité grandit encore et, en 1914, on considère que c’est la solution dentaire la plus vendue aux Etats-Unis. Dans les années 1920, la Lambert Pharmaceutical Company est confiante en l’avenir. Cette société a trouvé « un remède, reste à savoir quelle maladie est visée ? » Il manque une allégation forte qui captera l’attention du public. C’est lors d’un séminaire d’entreprise que la réponse va être trouvée. Alors qu’un chimiste présente les propriétés de la Listerine, à la manière d’un catalogue et sans montrer une motivation hors norme, Gordon Seagrove trouve subitement l’inspiration. « HALITOSE ». Qu’est-ce que l’halitose ? C’est tout simplement la toute nouvelle indication de ce produit multi-usages. Améliorer la qualité de l’haleine et éliminer les odeurs désagréables ; l’idée est toute bête. Les dentifrices, élixirs et autres formes bucco-dentaires présentes sur le marché font déjà très bien l’affaire, mais sans obligatoirement forcer le trait, sans mentionner explicitement cette action. Avant la Listerine, on connaissait l’halitose en pratique, mais pas en théorie. Le terme « halitose » était totalement inconnu du grand public. A la manière d’un talisman, la Listerine sort doucement du domaine médical pour promettre monts et merveilles. Les publicités se font l’écho d’histoires vécues. Ce sont majoritairement des femmes qui sont mises en scène. Une mauvaise haleine a des conséquences multiples, tant au niveau personnel qu’au niveau professionnel (Larry Dossey, Listerine’s Long Shadow: Disease Mongering and the Selling of Sickness , EXPLORE: The Journal of Science and Healing, Volume 2, Issue 5, September 2006, Pages 379-385). Une publicité appelle la consommatrice par ces mots : “Souvent demoiselle d’honneur, jamais mariée” La cause : halitose. La solution : Listerine. En France, la Listerine conserve plusieurs casquettes pendant un certain temps. Dans les années 1950, par exemple, cohabitent deux types de publicité. L’une d’elles préconise l’utilisation de l’effet antiseptique de la Listerine dès les premiers signes de « refroidissement ». L’autre quantifie l’efficacité de la Listerine : celle-ci agit en 4 fois moins de temps qu’une pâte dentifrice. On lui reconnaît également des propriétés antipelliculaires.
Par la suite, le message publicitaire se clarifie. La Listerine est clairement présentée comme un bain de bouche qui provoque « une explosion de propreté dans toute votre bouche ».
En ce qui concerne l’efficacité de cette solution anti-plaque, une étude réalisée en 2011 sur une population d’enfants a montré une similarité entre la Listerine et une solution renfermant 0,2% de chlorhexidine (cet antiseptique est celui qui est retrouvé dans le bain de bouche Eludril, par exemple) (Pooja Agarwal, L. Nagesh, Comparative evaluation of efficacy of 0.2% Chlorhexidine, Listerine and Tulsi extract mouth rinses on salivary Streptococcus mutans count of high school children—RCT, Contemporary Clinical Trials, 32, 6, 2011, Pages 802-808). On notera qu’aucune précision n’est donnée concernant la Listerine. Or cette spécialité n’est plus unique. Elle se décline désormais en de nombreuses versions : Listerine anti-caries, Listerine protection dents et gencives, Listerine total care Zéro, Listerine fraicheur intense, Listerine professionnel traitement sensibilité, Listerine total care, Listerine total care protection émail, Listerine original, Listerine zéro, Listerine soin blancheur. La tête tourne littéralement à la lecture de ces 10 noms !!!
Si la Listerine est efficace du point de vue de ses propriétés antimicrobiennes, il ne faut pas oublier que la solution renferme 22% d’alcool (Yong Chen, Ricky W.K. Wong, C. Jayampath Seneviratne, Urban Hägg, Colman McGrath, Lakshman P. Samaranayake, Comparison of the antimicrobial activity of Listerine and Corsodyl on orthodontic brackets in vitro, American Journal of Orthodontics and Dentofacial Orthopedics, 140, 4, 2011, Pages 537-542) ce qui peut engendrer des picotements et des problèmes de tolérance et contre-indique son emploi en cas de sevrage alcoolique et dans toutes les situations où l'alcool est contre-indiqué. On notera que la Listerine zéro a été formulée pour résoudre ce problème ; elle ne contient pas d’alcool.
La solution Listerine total care et ses 6 actions « Réduit la plaque dentaire, maintient les gencives saines, renforce l'émail des dents, prévient la formation du tartre pour aider à garder les dents naturellement blanches, élimine jusqu'à 99.9% des bactéries de la bouche (testé in vitro), rafraîchit l'haleine jusqu'à 24 heures » sont à mettre en perspective avec une action antiseptique, puisque quasiment tout découle de cet effet. Le fluor permet, quant à lui, de renforcer l’émail.
Listerine total care : Aqua, Alcohol, Sorbitol, Aroma, Poloxamer 407, Benzoic acid, Zinc chloride, Eucalyptol, Methyl salicylate, Sodium saccharin, Thymol, Menthol, Sodium benzoate, Sodium fluoride, Sucralose, Benzyl alcohol, CI 16035, CI 42090.