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Si l’hirondelle ne fait pas le printemps, elle fait parfois le cosmétique...

> 20 mars 2018

Si l’hirondelle ne fait pas le printemps, elle fait parfois le cosmétique... Un proverbe en passant
En ce 20 mars 2018, nous fêtons le premier jour du printemps. L’expression populaire laisse sous-entendre que le printemps du calendrier ne coïncide pas toujours avec la douceur du climat. L’hirondelle, un peu fofolle, qui revient sous nos latitudes un peu trop tôt, s’en repentira, de la même manière que la célèbre Cigale qui avait chanté tout l’été, sans se soucier du lendemain. Bien fou celui qui se fie au calendrier et retire sa « petite laine » de façon prématurée.

Si une hirondelle ne fait pas le printemps… les hirondelles, en revanche, ont constitué, il y a bien longtemps, une source de matières premières pour réaliser des cosmétiques anti-âge.

Les nids d’hirondelle, des partenaires ovidiens de la beauté
Durant l’Antiquité, certains auteurs se piquent de jouer les conseillers en image. Il en est un célèbre qui se plaisait à enseigner à de « jeunes beautés », mais également à des jeunes femmes, moins bien loties par la nature. Pour mettre tout le monde à niveau, il s’adresse à « la foule de » ses « élèves » qui « se compose de belles et de laides », avec une proportion de laides plus importante que de belles (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/ovide-la-star-antique-du-relooking-355/). Nous parlons, bien sûr, du poète Ovide ! Son cosmétique-miracle est une préparation à base d’orge mondé de Lybie (deux livres), d’ers (deux livres), d’une dizaine d’œufs... le tout broyé sous la meule. On y ajoute de la corne de cerf (la sixième partie d’une livre), douze oignons de narcisse, deux onces de gomme et d’épeautre de Toscane, et neuf fois autant de miel... Pour potentialiser les effets de la préparation et arborer un teint éblouissant, on se procurera de la céruse, de l’écume de nitre rouge, de l’iris et « la matière dont l’alcyon plaintif cimente son nid » (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/conseils-cosmetiques-ovidiens-354/). Et voilà notre hirondelle qui, en quittant son nid, vient nous promettre un doux printemps et un visage aussi lisse que celui de notre vingtième printemps !

Les nids d’hirondelle, qu’est-ce que c’est ?
Point d’hirondelles à l’horizon… mais des cousines qui leur ressemblent fort. Les salanganes sont des oiseaux de la famille des Apodidées. On retrouve 4 genres et 24 espèces différentes. Leur aspect ressemble à celui de l’hirondelle (Hirundo rustica) et du martinet (Passer domesticus). Il s’agit d’oiseaux de petite taille dont le poids varie entre 6 et 40 grammes. On les rencontre principalement en Asie du sud-est, dans le Pacifique indien et au sud-est de la Chine. Les nids d’oiseau comestibles commercialisés en Asie du sud-est sont ceux d’Aerodramus fuciphagus, d’A. maximus et d’A. esculenta. Si les différentes espèces de salanganes se distinguent difficilement du point de vue de leur aspect physique, on peut compter sur leurs nids pour les reconnaître. Le nid d’Aerodramus maximus est constitué principalement de plumes (85 à 90 %), les 10 à 15 % restants sont comestibles. Les nids d’Aerodramus esculenta sont constitués également d’une très forte proportion de plumes et d’impuretés (95 à 98 %), seuls les quelques pourcentages restants sont comestibles. En raison du faible pourcentage de matières premières comestibles dans ces nids, qui sont plus douillets que bons en bouche, on ne les retiendra pas pour préparer des médicaments de médecine traditionnelle, des cosmétiques ou bien encore des recettes gastronomiques. On préférera les nids d’Aerodramus fuciphagus du fait de leur richesse en sécrétions salivaires (70 à 80 %) et en raison de la teneur relativement faible en impuretés (20 à 30 %). Ces impuretés correspondent à des plumes mais également à des… excréments ! Ces sécrétions salivaires ont pour but de former un véritable ciment qui permet de consolider le nid ; sont agglomérées ensemble des plumes, des algues, des mousses… afin de réaliser le cocon le plus douillet et le plus solide possible. Il faudra, en effet, que le nid supporte le poids des œufs et des nouveau-nés, une fois la ponte effectuée. Le nid est réalisé dans des anfractuosités ; ce sont les mâles qui se mettent à la tâche et qui ont 35 jours (chronomètre en patte) pour que tout soit prêt à l’arrivée des petits. C’est logiquement pendant la période de nidification et de reproduction que la production de ce mucus est la plus importante. Le poids des glandes salivaires augmente alors de façon considérable passant de 2,5 à 160 mg ! Les mensurations de ce nid sont de 5 à 10 cm pour la longueur, de 3,5 à 6 cm pour la largeur et une épaisseur de 0,5 à 2,5 cm. Son poids est compris entre 4 et 8 grammes. Une grande variété de couleur existe et on peut trouver sur le marché des nids de couleur blanche, orange ou rouge.

Les nids d’hirondelle, du point de vue biochimique
Si l’on excepte les plumes et autres impuretés, on obtient une matière première riche en protéines (60 %) et en sucres (30 %). Un faible pourcentage de substances lipophiles (2 %) et de minéraux (sodium, calcium, magnésium) complète cette composition (Lee Suan Chua, Siti Najihah Zukefli, A comprehensive review of edible bird nests and swiftlet farming, Journal of Integrative Medicine, 14, 6, 2016, 415-428). On y trouve également une hormone, l’EGF (Epidermal Growth Factor) qui explique que cet ingrédient est préconisé pour conserver la jeunesse de la peau (Yang M, Cheung SH, Li SC, Cheung HY, Food Chem., Establishment of a holistic and scientific protocol for the authentication and quality assurance of edible bird's nest.2014, 15, 151, 271-278).

Une matière première de luxe
Les nids d’hirondelle sont très recherchés, ce qui explique leur prix élevé… très élevé. On parle d’une fourchette comprise entre 1000 et 10 000 dollars pour un kilogramme de la précieuse matière première. La qualité influence bien évidemment le prix. Les impuretés sont éliminées, manuellement, à l’aide d’un outil adapté, type pince à épiler, par des opérateurs dûment formés. Un technicien entraîné est capable de nettoyer 10 nids en 8 heures (Goh Kam Meng, Lai Weng Kin, Ting Por Han, Daniel Koe, Wong Jee Keen Raymond, Size Characterisation of Edible Bird Nest Impurities: A Preliminary Study, Procedia Computer Science, 112, 2017, 1072-1081). Afin de faire prospérer leur petit commerce à moindre coût, certains sont tentés de réaliser des adultérations avec différentes substances (vessie de poisson, peau de porc, gommes végétales…) afin d’augmenter le poids de la préparation (Shim EK, Chandra GF, Pedireddy S, Lee SY., Characterization of swiftlet edible bird nest, a mucin glycoprotein, and its adulterants by Raman microspectroscopy., J Food Sci Technol., 2016, 53, 9, 3602-3608). Utilisé à des fins médicales, depuis la dynastie Tang (environ 900 ans après J.-C.), le nid d’hirondelle répond parfaitement à la définition de l’aliment-médicament. La soupe de nid d’hirondelle, obtenue en faisant bouillir le fameux nid dans de l’eau additionnée de sucre, est un met de luxe qui permet de rester en bonne santé et de conserver toute sa jeunesse (Lee Suan Chua, Siti Najihah Zukefli, A comprehensive review of edible bird nests and swiftlet farming, Journal of Integrative Medicine, 14, 6, 2016, 415-428).

Les nids d’hirondelle, ingrédient cosmétique, vrai ou faux ?
Sur Internet il est possible de trouver une CC crème « Bird's Nest Nutri Collagen & Whitening » qui laisse à penser que l’ingrédient actif de cette émulsion n’est pas étranger à la petite hirondelle. Celle-ci volette sur l’emballage ! Le prix du produit de maquillage (32 dollars les 40 mL) (https://www.bebeauty.com.sg/store/product_info.php?shopby=cat&catid=0&subcat=&products_id=355) laisse à penser que l’hirondelle s’est contentée de jouer les stars sur le conditionnement et que son contrat ne comprend nullement l’obligation de produire son précieux mucus à heure fixe et volume précis !

Et oui, en cosmétologie aussi, l’hirondelle peut tromper son monde !

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