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Scarlett O’Hara, ses secrets cosmétiques ou un parfum de scandale

> 16 juin 2020

Scarlett O’Hara, ses secrets cosmétiques ou un parfum de scandale

Rhett et Scarlett sont deux « égoïstes canailles », des « fripouilles » faites pour s’entendre...1 La guerre entre Sudistes et Nordistes va être l’occasion pour Scarlett de dévoiler un tempérament de battante. Chaque matin, désormais, Scarlett se débarbouille et se coiffe « sans se regarder dans le miroir » ; elle a trop de tâches à effectuer pour prendre soin d’elle. Elle n’en reste pas moins séduisante et beaucoup plus jolie que la femme de son ancien régisseur, au « visage de lapin barbouillé de poudre blanche ». « S’habiller toute seule n’est pas une mince affaire », mais on y arrive quand même avec un peu d’entraînement. Les temps changent, les jeunes propriétaires terriens se reconvertissent dans le commerce et vendent des lotions capillaires préparées par leur mère ou bien des petits pâtés. Scarlett jure « Cornebleu » « turlututu » ; elle est amoureuse d’Ashley, un garçon insipide qui vit la tête dans les étoiles. Elle ne l’épousera pourtant jamais. Trois maris, trois enfants, une fausse couche... La vie de Scarlett est mouvementée.

Elle est charmante. Elle le sait et va en jouer. Margaret Mitchell nous livre dix ans de sa vie (1861 - 1871) et nous confie quelques secrets cosmétiques pour garder les joues roses (prévoir un pot de « rouge »), pour avoir bonne haleine (un gargarisme d’eau de Cologne est envisageable), pour lisser des cheveux rebelles (tout simplement de la gelée de coings)...

Des sachets odorants d’Ellen O’Hara au parfum de Rhett Butler, en passant par la teinture de Belle Watling, un petit tour dans l’album photo de Melle O’Hara s’impose.

Scarlett, une rose avec beaucoup d’épines

En début de roman, on découvre une jeune fille de 16 ans, aux yeux verts, au « menton pointu », aux « mâchoires fortes » et aux épais sourcils noirs. Son parfum est subtil. Sa peau est d’un « blanc de magnolia ». Elle l’entretient avec soin comme toutes les femmes du Sud ; capelines, voiles et mitaines permettent alors de préserver le capital soleil des femmes de la bonne société de Géorgie. Sa « taille est la plus fine de la région »… 43 centimètres de tour de taille, s’il vous plaît. Un corset serré à l’extrême (« Elle s’empêcha de respirer et se cramponna à l’une des colonnes du lit ») permet d’atteindre cet exploit. Sa sœur Suellen, ne lui arrive pas à la cheville ; dès que l’on passe sous la barre des 50 centimètres, elle s’évanouit. Impossible, toutefois, de courir ou de manger à sa faim dans ces conditions. Après avoir eu 3 enfants, Scarlett restera la championne de la taille mince avec 51 cm une fois corsetée. Cette fois, c’en sera trop... Plus question d’avoir des enfants qui gâtent la taille !

A la différence des autres jeunes filles, Scarlett ne s’embarrasse pas de flacon de sels. Elle n’en porte jamais sur elle. Elle porte aux pieds, en revanche, le même type de mules que ses sœurs et amies, des chaussures si délicates que la marche leur est interdite.

Coquette à l’extrême, une fossette au coin de la joue, Scarlett est toujours entourée d’une cour de jeunes garçons, plus sensibles les uns que les autres à ses battements de cils, qui rivalisent avec « les ailes de papillons ». Un vernis superficiel pourrait la faire qualifier de « douce, charmante et frivole ». Scarlett n’est pourtant pas tout à fait cela. Elle est surtout orgueilleuse et têtue. Pas vraiment un « bas bleu ».

A peine veuve de son premier mari, Charles, Scarlett s’empresse de tester de nouvelles coiffures... telle celle intitulée « les chats, les rats et les souris ». « Les cheveux étaient séparés en deux et disposés de chaque côté de la tête en trois rouleaux de taille décroissante ». Le rouleau le plus près de la raie est le plus gros. C’est le chat. Vient ensuite, le rat, puis la souris. Elle se « pince les joues pour leur redonner de la couleur, et se mord les lèvres pour les rendre plus rouges ».

Lorsqu’il s’agit de fuir Atlanta avec sa belle-sœur Mélanie et son bébé, Scarlett laisse de côté brosses, parfum et crèmes de beauté. Le voyage en plein soleil est un vrai drame pour son teint. « Avant la fin de la journée j’aurai tellement de taches de rousseur que je ressemblerai à un œuf de pintade. » Jamais auparavant, Scarlett ne s’est exposée au soleil sans chapeau, ni voile, les mains protégées à l’aide de gants ! Des coups de soleil, sur tout le visage, c’est ainsi que Scarlett revient à Mama, sa vieille nourrice, qui ne peut que se lamenter en découvrant le triste spectacle.

A Tara, les mains de Scarlett vont devoir travailler pour arriver à faire vivre les siens. Désormais, le père de famille, Gérald, n’a plus toutes ses facultés... Les mains douces et blanches de Scarlett vont devenir « calleuses et couvertes d’ampoules », car il faut assurer les travaux domestiques et la cueillette du coton. A Tara, comme à Atlanta, les soldats confédérés trouvent un refuge chez les O’Hara. Mama leur prépare une « amère tisane de racines de mûrier », pour traiter leur dysenterie et chasse les poux et la vermine avec obstination. Avant de pouvoir pénétrer dans la maison, les soldats doivent se dépouiller de leur uniforme derrière un épais buisson. Une couverture permet de cacher leur nudité, pendant que leur uniforme est mis à bouillir dans une grande lessiveuse. Une bassine d’eau et « un bon morceau de savon à la potasse pour frotter » est alloué à chaque nouvel arrivant.

Les temps sont durs pour Scarlett qui s’adonne aux alcools forts. Quelques grains de café à mâcher ou un gargarisme d’eau de Cologne et rien n’y paraît plus, dit-on. Le subterfuge ne trompe pourtant pas l’odorat de Rhett : « ça ne trompe personne, mon petit ».

Ellen Robillard, épouse O’Hara, un doux parfum de citronnelle

La mère de Scarlett, Ellen, est une femme accomplie, qui assiste son époux d’une main ferme dans la bonne tenue de la plantation. En l’absence de médecin, c’est elle qui soigne les membres de la famille et les esclaves de la plantation de coton. Elle se déplace dans un doux parfum de citronnelle. Elle a cousu des sachets parfumés dans ses jupons et « le parfum monte des plis de sa robe ». Margaret Mitchell nous le répète 4 fois au cours du roman. Ce détail est donc important. Son teint est « blanc laiteux » et sa chevelure « luxuriante ». Son mariage avec Gérald est un mariage de raison. Ellen mourra au début de la guerre de la fièvre typhoïde. Ses deux filles Suellen et Carreen, atteintes pourtant du même mal, lui survivront.

Gérald O’Hara, un parfum tonique d’alcool et de menthe

Gérald est un petit Irlandais aux yeux bleus et aux cheveux blancs. Son haleine est un savant mélange d’alcool et de menthe. On apprend au fil du roman que ce parfum est dû à la consommation d’un julep renfermant du whisky, de la menthe et du sucre.

Mélanie Hamilton, un discret parfum de fidélité

Mélanie ou Melly est une petite jeune fille effacée, grosse « comme une rampe d’escalier ». On lui donnerait à peine 12 ans. Promise à son cousin Ashley, Mélanie sera une épouse modèle. Après un accouchement long et difficile survenu durant la prise d’Atlanta (Scarlett s’y montre tout particulièrement dévouée), le nourrisson prénommé Beauregard (ou Beau) ayant reçu son « premier bain des mains de Prissy », la fuite vers Tara se fait dans des conditions épouvantables. Une vieille carne fournie par Rhett permet de conduire les femmes à bon port. Les langes de Beau serviront en leur temps à cacher l’argent de la famille. Mélanie sera toujours pour Scarlett une alliée fidèle. Semblant ignorer l’amour de Scarlett pour Ashley, Mélanie se range systématiquement aux côtés d’une belle-sœur qui ne lui ressemble guère.

Charles Hamilton, une fugace présence

Le frère de Mélanie est un garçon doux, aux cheveux noirs et bouclés, au teint blanc et yeux de chien. Epousé sur un coup de tête en réaction à l’annonce des fiançailles de Mélanie et d’Ashley, Scarlett est rapidement veuve (en 2 mois !) et maman d’un petit garçon prénommé Wade Hampton Hamilton. Un bébé qui languit et est traité à l’aide de préparations à base « de soufre, de plantes et mélasse. » Les pleurs du bébé sont calmés avec une sucette en sucre. Efficace mais pas très sain ! « Un voile de crêpe noir » qui lui descend au genou recouvre temporairement les beaux yeux de Scarlett.

Ashley, un parfum de lâcheté

Ce jeune homme est blond et auréolé d’une « couronne d’argent étincelant ». Ses yeux gris sont des yeux de rêveur, de poète. Ashley n’a pas les pieds sur terre. Parti pour la guerre, il revient avec une « longue moustache blonde dont les pointes retombent », au cours d’une permission de 4 jours. Son visage bronzé a été tailladé par un barbier maladroit qui n’a réussi à lui raser sa longue barbe qu’au prix d’entailles peu esthétiques. Ashley est un faible qui va passer sa vie avec une femme excellente à ses côtés en pensant à une autre...

Frank Kennedy, le parfum de l’argent

Frank Kennedy est l’un des propriétaires les plus riches de la région. Frêle, nerveux, une barbiche « blond-roux au menton » et des « allures de vieille fille affairée », Frank n’a rien pour attirer l’attention de Scarlett. C’est le fiancé de Suellen... Malgré ses « dents gâtées » et son haleine fétide, Frank fera un excellent mari se dit Scarlett qui compte bien sauver Tara. Afin de séduire le vieux célibataire, Scarlett déploie tous ses charmes et se fait aider en cela par Mama. « Tu me laveras la tête et tu me feras une friction d’eau de Cologne. Tu m’achèteras aussi de la gelée de coings pour faire tenir les cheveux bien à plat. » Il faudra également un « pot de rouge » pour redonner aux joues de la jeune femme leur feu d’antan. Mama ne sait pas ce qu’est le « rouge »... « Eh bien, c’est de la peinture, puisque tu es si curieuse. De la peinture qu’on se met sur le visage. » Mama est scandalisée ; cela fera nécessairement « mauvaise femme » ! Mais, non, affirme Scarlett, qui lui rappelle que la grand-mère Robillard n’hésitait pas à se farder et à se décolleter outrageusement. Effectivement, Frank tombe dans le panneau ; Scarlett possède des « joues plus roses et plus attirantes » que les autres femmes qu’il connaît. Le doux parfum d’eau de Cologne qui émane de son mouchoir (« Elle était fière de son parfum car personne d’autre n’en usait [...] ») tourne la tête du fiancé volage qui succombe à celle qui a « la couleur et le parfum d’une rose ». Et hop, en 15 jours, l’affaire est dans le sac. Scarlett épouse Frank ; Frank paye les impôts exorbitants qui taxent la belle propriété de Tara. Ce second époux qui est à la tête d’un petit commerce fructueux va permettre à Scarlett de s’initier aux affaires ; une mauvaise grippe qui le cloue au lit constitue pour la jeune femme une excellente occasion de découvrir le monde du travail et d’y prendre un réel plaisir. Second époux, second enfant... une petite fille prénommée Elle Lorena. Second époux, second veuvage. Frank meurt d’une balle en pleine tête - il faisait partie du Ku Klux Klan.

 

Rhett Butler, un parfum masculin chaud d'écurie

Trente-cinq ans au début du récit, « grand, bâti en force », des épaules trop musclés pour un homme du monde, « une poitrine bronzée recouverte de poils noirs et épais », des dents blanches, une « moustache noire coupée court », « un teint hâlé de pirate », voilà le portrait rapidement brossé du capitaine forceur de blocus, qui traîne derrière lui le « parfum capiteux des choses défendues » ; plus prosaïquement, un parfum résultant d’un mélange d’odeurs de « cognac, tabac et chevaux ; odeurs réconfortantes car elles faisaient songer à Gérald ». Rhett est l’amant de Belle, une femme de mauvaise vie qui teint ses cheveux en un roux flamboyant. Cette prostituée tient une maison de tolérance à Atlanta ; elle y héberge une douzaine de pensionnaires, « fort jolies bien que trop fardées ».

Alors que Scarlett n’est qu’une toute jeune veuve, il lui offre une capeline verte « made in Paris » (elle vient de la rue de la Paix) qui vaut pas moins de 2000 dollars. Le cadeau est tel qu’il ne convient pas d’être accepté par une honnête femme. Les cadeaux autorisés sont les bonbons, les fleurs, « un petit flacon d’eau de Floride »... mais certainement pas un chapeau aussi onéreux.

Rhett va passer par la case prison. Cet homme élégant qui se baigne tous les jours va réclamer en cette occasion une baignoire pour satisfaire ses instincts de propreté. Il n’obtiendra qu’une auge située dans la cour. Il n’y fera pas ses ablutions. « Il aimait encore mieux sa crasse de Sudiste que la crasse des Yankees [...] ».

Après Charles Hamilton, Frank Kennedy, c’est au tour de Rhett d’épouser Scarlett. C’est à son tour de lui brosser longuement les cheveux, « jusqu’à ce qu’on les entendit crépiter ». Troisième époux, troisième enfant, une petite fille prénommée Bonnie. Rhett se mue en un vrai papa poule et ce aussi bien pour sa fille que pour ses beaux-enfants. Souhaitant se racheter une conduite auprès des bonnes dames de la haute société, il prend par exemple conseil auprès de Mme Merriwether. Comment faire pour éviter que Bonnie ne suce son pouce ? Rhett a essayé de « lui mettre du savon sous l’ongle », sans succès. Normal, affirme la bonne dame. Le savon « ne vaut rien ». C’est de la quinine qui doit être utilisée pour venir à bout de cette vilaine manie.

Tante Pittypat, un parfum désuet

La tante Pittypat vit à Atlanta dans une sorte de bonbonnière. Ses pieds sont extraordinairement petits ; les évanouissements constituent son lot quotidien. Scarlett qui vient se changer les idées auprès d’elle après la mort de son premier époux est saisie par l’atmosphère qui règne dans la maison. « Pour Scarlett, cette maison avait grand besoin d’être imprégnée des odeurs masculines, du cognac, du tabac et de l’huile de Macassar ». Tout y est trop lisse, trop doux ! Tout le monde cherche pourtant à la distraire. La guerre entre Nordistes et Sudistes en la bombardant infirmière va venir contrebalancer l’ambiance ultra-féminine dans laquelle elle baigne. « Les hommes sales, mal rasés, couverts de vermines, qui sentaient terriblement fort » doivent être pris en charge et soignés. L’odeur de gangrène qui règne à l’hôpital s’accroche à la peau et aux cheveux des infirmières qui œuvrent aux côtés des médecins. Il y a pénurie de quinine, de calomel, d’opium, de chloroforme et d’iode.

Entre odeur d’eau de Cologne et odeurs de cognac et de tabac, l’aventure de Rhett et de Scarlett est une histoire éminemment olfactive. Pas une petite vie de couple pépère qui sent le renfermé ! Une vie agitée, avec des cris, des chutes dans les escaliers, des trahisons... un parfum de scandale qui suit Scarlett depuis plus de 80 ans.

Bibliographie

1 Mitchell M. Autant en emporte le vent traduit de l’anglais par Pierre-François Caillé, Gallimard, 1938, 735 pages

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