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Robinson ou la vie au soleil d’un phototype I

> 24 juin 2021

Robinson ou la vie au soleil d’un phototype I

Nous sommes le 29 septembre 1759, non loin de l’archipel Juan Fernandez, au large des côtes chiliennes et la « galiote hollandaise », La Virginie, va faire naufrage.1 Parmi les passagers, un certain Robinson qui, va se retrouver, après le désastre, « couché, la figure dans le sable » d’une plage inconnue. « Comme le soleil commençait à brûler, se fit une sorte de bonnet en roulant de grandes feuilles qui croissaient au bord du rivage. » Prudent, le Robinson… Il faut dire qu’il vient d’York, en Angleterre et qu’il est de phototype I,2 comme nous le verrons plus tard ! Il va rapidement constater qu’il est désormais tout seul… sur une île déserte !

Un contact fort inquiétant avec les autochtones

C’est à la suite d’une sorte de cérémonie punitive tout à fait terrifiante qu’il devait gagner un compagnon d’infortune. Une première fois, il vit arriver « Trois longues pirogues à flotteurs et balanciers » qui vont être « tirées sur le sable sec ». Dans les occupants de ces pirogues, « Robinson reconnut […] des Araucans du type costinos, redoutables Indiens de la côte du Chili. » Araucan est, en fait, un mot construit, au XVIe siècle, à partir d’un nom de lieu indigène, par le poète espagnol, Alonso de Ercilla y Zuniga. Depuis lors, il est utilisé pour désigner un ensemble de populations qui vivaient au Chili.3 « Petits, trapus, ils étaient vêtus d’un grossier tablier de cuir. Leur visage large aux yeux extraordinairement écartés était rendu plus bizarre encore par l’habitude qu’ils avaient de s’épiler complètement les sourcils. Ils avaient tous une chevelure noire, très longue, qu’ils secouaient fièrement à toute occasion. » Ils prirent place et la macabre cérémonie commença. « Une vieille femme, maigre et échevelée, allait et venait en chancelant au milieu du cercle formé par les hommes. Elle s’approchait du feu, y jetait une poignée de poudre, et respirait avidement la lourde fumée blanche qui s’élevait aussitôt. » Manifestement en transe, elle finit par choisir « sa victime. Son long bras maigre se tendit vers l’un des hommes […]. L’Indien désigné par la sorcière se jeta à plat ventre sur le sol, secoué de grands frissons de terreur. » Et on comprend aisément sa frayeur, à lui qui connaissait le sort qui lui était réservé… une exécution sommaire, à la machette ! Robinson, « plein de peur, de dégoût et de tristesse », chercha alors l’oubli en retournant vaquer à ses occupations (constructions diverses et écriture d’une charte pour son île).

Quand le reflet du miroir pèse sur la vie de Robinson

« Robinson n’avait jamais été coquet et il n’aimait pas particulièrement se regarder dans les glaces. Pourtant cela ne lui était pas arrivé depuis si longtemps qu’il fut tout surpris un jour en sortant un miroir d’un des coffres de La Virginie de revoir son propre visage. En somme il n’avait pas tellement changé, si ce n’est peut-être que sa barbe avait allongé et que de nombreuses rides nouvelles sillonnaient son visage. »

Et Vendredi débarqua à son tour dans l’île

La seconde fois que les Araucans débarquèrent dans l’île que Robinson avait baptisée Speranza, ils étaient venus dans « trois pirogues à balanciers » et à nouveau, une malheureuse victime fut exterminé à la machette. Cette fois la sorcière ne comptait pas s’arrêter en si bon chemin et une nouvelle mise à mort se profilait. L’issue fut toutefois plus heureuse et la future victime réussie à s’échapper et à trouver refuge auprès de Robinson. Cet Indien fut prénommé du nom du jour de son arrivée dans l’île, soit Vendredi ! Et Vendredi devint une sorte de valet de Robinson, utile à toutes sortes de tâches. L’une d’elle, peut-être plus étonnante que les autres, consistant à protéger Robinson des rayons du soleil à l’aide d’une « ombrelle en peau de chèvre », lorsque celui-ci, chaque dimanche inspectait ses domaines !

Quand Vendredi se déguise avec les moyens du bord

Un jour, Vendredi « avait dissimulé sa tête sous un casque de feuilles et de fleurs. Sur tout son corps, il avait dessiné avec du jus de genipapo – une plante qui donne une teinture verte quand on casse une de ses tiges – des rameux et des feuilles qui montaient en s’enroulant le long de ses cuisses et de son torse. » Des pigments bleus de type iridoïdes ont effectivement été identifiés dans les fruits du genipap, Genipa americana L.4 Après avoir exécuté « une danse triomphale autour de Robinson », l’Indien alla « se laver dans les vagues ».

Où Vendredi crée une catastrophe, par négligence

Tout à fait involontairement, Vendredi met le feu aux poudres… au sens propre, réduisant en cendres (toujours au sens propre !) le laborieux travail de Robinson ! Il fallut quand même se réjouir de pouvoir constater que les dégâts étaient exclusivement matériels ! Robinson « n’avait pas de blessure, mais il était barbouillé de suie et sa belle barbe rousse était à moitié brûlée. »

Où une transformation radicale s’opère chez Robinson

A la suite de l’explosion, Robinson amorça une radicale transformation physique. « Avant il portait des cheveux très courts, presque ras, et au contraire une grande barbe qui lui donnait un air de grand-père. Il coupa sa barbe […] et il laissa pousser ses cheveux qui formaient des boucles dorées sur toute sa tête. »

« Son corps aussi s’était transformé. Il avait toujours craint les coups de soleil, d’autant plus qu’il était roux. Quand il devait rester au soleil, il se couvrait des pieds à la tête, mettait un chapeau et n’oubliait jamais de surcroît sa grande ombrelle en peau de chèvre. Aussi il avait une peau blanche et fragile comme celle d’une poule plumée. »

« Encouragé par Vendredi, il commença à s’exposer nu au soleil. D’abord il avait été tout recroquevillé, laid et honteux. Puis il s’était épanoui. Sa peau avait durci et avait une teinte cuivrée. »

Ce changement de comportement s’accompagna également de modifications du régime alimentaire (Robinson oublia la cuisine familiale d’York pour passer aux « recettes […] des tribus araucaniennes »).

Où Vendredi se déguise encore

« Un après-midi », Vendredi « portait un chapeau de paille, ce qui ne l’empêchait pas de s’abriter sous une ombrelle de palmes. Mais surtout, il s’était fait une fausse barbe en se collant des touffes de coton sur les joues »… il s’est ainsi déguisé en Robinson !

Où Robinson se déguisa à son tour

Puisque Vendredi imitait Robinson… pourquoi Robinson ne se grimerait-il pas en Vendredi ? « En réalité, il n’avait plus sa barbe carrée et ses cheveux rasés d’avant l’explosion, et il ressemblait tellement à Vendredi qu’il n’avait pas grand-chose à faire pour jouer son rôle. Il se contenta de se frotter la figure et le corps avec du jus de noix pour se brunir ».

Et Dimanche vint remplacer Vendredi

Le samedi 22 décembre 1787, « la goélette le Whitebird », « se dirigeait droit vers la côte marécageuse de l’île ». On apprendra que le capitaine, « William Hunter, de Blackpool » a une « barbe noire » et que les hommes d’équipage « paraissaient laids, grossiers, brutaux et cruels »… pas très engageant tout ça… Enfin, l’occasion est trop belle de regagner la civilisation (et une autre ne se représentera peut-être pas de si tôt !)… cela fait quand même déjà 28 ans que La Virginie a sombré… Et puis, à bord, il y a quand même cette « petite forme humaine attachée demi-nue au pied du mât de misaine. C’était un enfant qui pouvait avoir une douzaine d’années. Il était maigre comme un oiseau déplumé et tout son dos était strié de marques sanglantes. » Vraiment tout pour inspirer une sincère pitié ! « On ne voyait pas son visage, mais ses cheveux formaient une masse rouge qui retombait sur ses épaules minces et parsemées de taches de rousseur. » Tiens, un autre phototype I ! Au cours du déjeuner pris avec le capitaine, Robinson va pouvoir faire davantage connaissance avec ce jeune Européen ! « C’est le mousse Jean qui servait à table ». « Robinson chercha son regard sous la masse de ses cheveux fauves », mais l’enfant était si concentré sur sa tâche « qu’il paraissait ne pas le voir. » Paraissait, seulement… En effet, quand Jean eut compris que Robinson ne quitterait jamais son île, il se débrouilla pour y demeurer lui aussi, pour prendre la place de Vendredi, qui lui fit le choix du retour à la civilisation. Mais quelle civilisation ? Il est plus que probable que l’Indien aura vite déchanté, réduit en esclavage en moins de temps qu’il ne faut pour le dire ! Jean aura la meilleure place, lui qui a constaté que Robinson l’a « regardé avec bonté ». Désormais, Jean Neljapaev (jeudi en estonien !)5 s’appellera Dimanche et coulera des jours heureux, auprès de Robinson, sur une île déserte, à un peu plus de 600 kilomètres des côtes chiliennes.

Vendredi ou la vie sauvage, en bref

Il est question de solitude, de temps qui passe… de sens à donner à sa vie… de soleil et de phototype I… De quoi faire réfléchir les pré-ados et inciter leurs parents à lire, du même auteur, Vendredi ou les Limbes du Pacifique.6

Bibliographie

1 Tournier M. Vendredi ou la vie sauvage, Folio Junior, 2020, 191 pages

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/qu-est-ce-que-le-phototype-685/

3 https://www.universalis.fr/encyclopedie/araucans/

4 Neri-Numa IA, Pessôa MG, Arruda HS, Pereira GA, Paulino BN, Angolini CFF, Ruiz ALTG, Pastore GM. Genipap (Genipa americana L.) fruit extract as a source of antioxidant and antiproliferative iridoids. Food Res Int. 2020 Aug;134:109252.

5 https://fr.wiktionary.org/wiki/neljap%C3%A4ev

6 Tournier M. Vendredi ou les limbes du Pacifique, Folio, Gallimard, 1972, 288 pages

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