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Qui était Percival Spencer Umfreville Pickering (1858 – 1920) ?

> 05 décembre 2020

Qui était Percival Spencer Umfreville Pickering (1858 – 1920) ?

C’est par la chronique nécrologique parue en 1921, que l’on en sait un peu plus sur le chimiste Spencer Umfreville Pickering qui s’est éteint dans la nuit du 5 décembre 1920, après une longue maladie. Fils de Percival A. Pickering et de Anne Maria Stanhope, fille de John Spencer Stanhope et petite-fille du célèbre Coke de Norfolk, comte de Leicester, il s’inscrivait donc dans une illustre lignée.1

Son parcours scolaire est très classique, avec des études à Eton ; puis il poursuit au Balliol College. Rapidement, il est identifié comme un étudiant très indépendant et l’un de ses premiers articles publiés est polémique puisqu’en opposition avec ce qui lui est enseigné.1

Du fait de la position sociale de sa famille, la question d’un métier ne se posait pas vraiment pour lui ; cela lui a permis de suivre ses penchants naturels et de poursuivre des études scientifiques, sans aucune considération financière. Cela lui permit aussi d’installer son propre laboratoire dans sa maison londonienne, située à Bryanstone Square. C’est là qu’il a pu effectuer ses expériences sur les propriétés physiques des solutions aqueuses acides. Ses observations, publiées dans le Thorpe’s Dictionary of Chemistry, à la rubrique « Solutions », l’ont conduit à contester les théories d’Arrhenius.1 On a le droit de ne pas être d’accord avec ses conclusions !

Bien qu’il désire rester un chercheur totalement indépendant, il accepte quand même un poste au Bedfod College, poste qu’il occupera de 1881 à 1887.1

Lors d’un grave accident de laboratoire, Pickering perd un œil et se retrouve en état de choc avec un certain nombre de pathologies qui vont en découler. Ses médecins lui conseillant de prendre du repos, il se fixe à Harpenden, une petite ville qui comptait parmi ses habitants des membres de la Royal Agricultural Society of England, les chimistes J. B. Lawes, J. H. Gilbert et R. Warrington,1  connus pour leurs travaux en agronomie et particulièrement sur le blé,2,3, ainsi que R. Lyddeker.1

En 1890, Pickering est lui-même élu dans cette vénérable institution. C’est à cette époque qu’il débute une série d’expériences sur les arbres fruitiers qui devaient compléter les travaux de ses collègues sur les cultures céréalières, menées dans le cadre du centre de recherche agronomique de Rothamsted, situé à Harpenden.1,4 Grâce à un ami de longue date, le duc de Bedford, il commence ses travaux de recherche en 1894.1 Une nouvelle fois, les résultats obtenus vont aller à l’encontre des méthodes utilisées en pratique horticole !1 Pickering affirme, par exemple, que l’utilisation d’engrais est sans effet sur la production des fruits. Par ailleurs, il propose une nouvelle manière de planter les arbres et étudie les effets des fongicides et des insecticides. Mais son travail le plus important reste sans doute ses observations sur les effets d’un végétal sur un autre, ici de la zone gazonnée environnante sur les pommiers.1 Il suggérait qu’il était important de considérer l’environnement d’une culture afin de prévenir les effets toxiques possibles d'une plante sur une autre.1

A côté du Pickering scientifique, auteur d’une quarantaine d’articles, il y a aussi un Pickering amateur d’art, qui meublait son intérieur en esthète et appréciait particulièrement l’école pré-raphaélique dont faisait partie sa sœur Evelyn, qui devait épouser le céramiste William De Morgan.1,5

Lecteur, tu dois bien te demander pourquoi nous consacrons aujourd’hui un Regard à un chimiste qui s’est intéressé aux pommiers ? La réponse est toute simple, c’est que Percival Pickering s’est aussi intéressé aux émulsions… et même à des émulsions très particulières,6 puisque formulées SANS tensioactif (eh oui !), auxquelles on a donné son nom et connues de nos jours sous le vocable d’émulsions de Pickering. A l’origine, l’émulsion est stabilisée par des particules métalliques, en lieu et place des tensioactifs habituels.6

Pourtant, on ne peut pas réellement dire que ce soit Pickering qui ait inventé les émulsions sans tensioactif, puisque Walter Ramesden, un spécialiste de la chimie de surface,7 avait publié le même genre de résultat 3 ans avant lui.8

Ces émulsions étaient tombées dans l’oubli et telle la Belle au Bois dormant, elles vont attirer l’attention de multiples chercheurs du monde entier. Des particules stabilisantes de nature très diverses sont désormais proposées. On peut évoquer ainsi des oxydes métalliques, de l’argile, du graphène, des nanotubes de carbone, du noir de carbone, des nanocristaux de cellulose, des polymères, de la lignine ou encore de la chitine et du chitosan, sachant que la silice reste sans doute le matériau de choix.9

Reste un problème énorme à maîtriser : celui de la stabilité de ce type de dispersions… On est (très très) loin d’une industrialisation possible…

… et puis c’est dit… désormais, on appellera ces émulsions, les émulsions de Ramsden ! Rendons à César…

et puis encore un mot, le dernier : et si tout ceci n'était qu'une vaste farce d'un monsieur à l'humour so bristish... Avec comme mot-clé « Pickering », c’est près de 60 000 résultats sur le moteur de recherche Sciencedirect… et aucune application concrète…

Bibliographie

1 Russell E.J. Obituary Notice Percival Spencer Umfreville Pickering. Biochem J. 1921; 15(1): 1–3.

2 Lawes JB, Gilbert JH. Report on the growth of wheat made at Rodmersham Kent. Journal of the Royal Agricultural Society of England, 1862

3 Lawes JB, Gilbert JH, Warington R. 1883. XVI The nitrogen as nitric acid, in the soils and subsoils of some of the fields at Rothamsted. Journal of the Royal Agricultural Society of England. 1883, 19 : 331-367.

4 https://www.rothamsted.ac.uk/

5 Stirling AMD. William De Morgan and His Wife. 2013, HardPress Publishing, 482 pages

6 Pickering SU. Emulsions. J. Chem. Soc. 1907, 91 : 2001-2021.

7 Peters RA. Obituary Notice: Walter Ramsden, 1868-1947. Biochem J. 1948; 42(3):321-322.

8 Ramsden W. Separation of solids in the surface-layers of solutions and ‘suspensions’ (observations on surface-membranes, bubbles, emulsions, and mechanical coagulation).—Preliminary account. Proc Roy Soc London, 1904, 72 : 156-164.

9 Wang Z, Wang Y. Tuning Amphiphilicity of Particles for Controllable Pickering Emulsion. Materials (Basel). 2016;9(11):903

 

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