> 12 septembre 2021
Adrien Goetz nous offre l’histoire délectable d’Adolphe Pâques, le coiffeur de l’Enchanteur !1 Avouez qu’avec un tel nom, on pressent le candidat idéal pour un roman. En réalité, il s’agit d’un personnage qui a bel et bien existé… une personne de chair et d’os à qui François-René de Chateaubriand avait confié son précieux capillaire… et cela donne un régal littéraire !
« Pendant les huit ans où j’ai été « Adolphe Pâques, le coiffeur de Chateaubriand », je n’ai pas jeté un seul de ses cheveux. » Méticuleux, l’artisan… méticuleux, certes doublé d’idolâtre ! Il confie encore « Coiffer François-René, vicomte de Chateaubriand […] n’était pas facile. Il avait de moins en moins de cheveux et il fallait toujours qu’il semble décoiffé. » Client difficile, exigeant donc comme en voit certainement bon nombre de ses confrères ! « Donner l’air ébouriffé à un grand homme qui a l’habitude de rabattre sa dernière mèche sur le dessus du crâne, c’est un exploit. » Pas très modeste, le Pâques… Il se prend vraiment pour un figaro de compétition ! Coiffeur d’exception pour client d’exception, pour client exceptionnel ! Chateaubriand « voulait toujours ressembler à son portrait par Girodet, le visage bruni par le soleil d’Orient ».
Au moment où Pâques rencontre Chateaubriand, « Il se faisait pommader et friser. Il torturait sa dernière mèche. » Toujours aussi peu modeste, Adolphe s’attribue le fait de l’avoir « ramené à la nature. » « Monsieur, passeriez-vous vos fers à friser ? » Et de continuer : « J’avais compris tout de suite ce qui n’allait pas. […] Cela lança, même, un temps, une vraie mode chez les semi-chauves, qui voulurent tous se coiffer « à la sans façon », comme l’auteur d’Atala. » Pâques ne se prendrait-il pas un peu pour une sorte de Léonard Autier, passé à la postérité avec son simple prénom. « J’opérais sur lui une révolution capillaire – elle compta dans ce siècle de révolutions. » La comparaison s’arrête donc là… ce cher homme n’aurait jamais prononcé ce mot de révolution, dans le respectueux souvenir de sa royale cliente !
Il se prend pour un véritable artiste, un inventeur, un être d’exception quoi, le Pâques ! « Ce fut ma révolte, sans pastiche ni postiche. Une invention dans l’art du cheveu, qui vaut bien une nouvelle forme en poésie ou en musique. Les caricaturistes se moquèrent de Chateaubriand. Ils scalpèrent l’aïeul académicien. C’était gagné. Face à Victor Hugo, qui perçait les nuées, la tête de M. de Chateaubriand redevenait célèbre. Le premier croquis fait de lui avec des houppes énormes, qui s’écartaient comme les vagues de la mer Rouge pour laisser passer Moïse, fit un tabac. »
L’alopécie est une conséquence inéluctable, invariablement liée au vieillissement et « Coiffer l’auteur d’Atala devenait, de mois en mois, plus ardu. »
« Après l’opération de coiffure, M. de Chateaubriand prenait un bain parfumé ». Quelle transformation… plus du tout le même homme… plus rien à voir avec « un petit homme à la peau sèche, à la barbe dure et aux quelques cheveux blanchis et plats » qui des instants plus tôt, arrivait « en robe de chambre ». « Après moins d’une heure », l’habile coiffeur laissait son client avec un « teint frais, coiffé à la diable, les mèches souples et brillantes ».
Dès ses premiers pas dans la profession, Adolphe a bâti sa réputation sur sa « rigueur extrême ». « Quand Céleste de Chateaubriand vit que je ne laissais pas un seul cheveu sur ses tapis, elle dut me recommander avec flamme à son mari. Elle n’aimait rien tant que la perfection de leur intérieur. » Pour aboutir à ce résultat si parfait, deux accessoires indispensables : une « brosse » et une « balayette en argent », s’il vous plait !
C’est à Mme de Chateaubriand que l’on doit cette formule définitive ! D’après elle, là où Adolphe passe, « pas un cheveu ne dépasse. »
« Quand j’allais fixer les papillotes de Mme Récamier, la plus belle femme du monde, qui vieillissait aveugle […], je m’arrêtais souvent […] pour scruter le portrait de Girodet, accroché chez elle à la place d’honneur. » témoigne Pâques.
Quand Adolphe rencontra Zélie, celle qui allait devenir sa femme, elle lui apparut « parfaite, une blonde, à la peau de pêche ».
« En 1830, Victor Hugo, qui ne s’était pas encore laissé pousser la barbe, avait pris la tête d’un bataillon de chevelus. Ce fut la bataille d’Hernani, au cours de laquelle on cria « Au cimetière les genoux ! » pour se moquer des chauves défenseurs de l’alexandrin et du classicisme. Attraper une « tête de genou » quand on a été « le grand sachem du romantisme », « ainsi que me le dit un jour M. Théophile Gautier, prince de l’hirsutisme, cela n’était pas possible. »
Pour « Rossini, le « toupet » était essentiel. Il fallait qu’il tienne bon quand il dirigeait son orchestre, dans ses fulgurantes accélérations. » « La garniture de crâne risquait de bouger, pire, de glisser. » Pour éviter pareille mésaventure au maestro, Léopold, le confrère sur lequel tout reposait, « le remplumait ». « Quand il parlait du toupet qu’il fallait pour résister à un crescendo rossinien, on aurait pu le prendre pour un M. Fétis en personne ou quelque autre de nos meilleurs critiques de musique. » Ce Léopold eut l’outrecuidance de demander, à Pâques, l’aumône de « quelques mèches de M. de Chateaubriand pour garnir la houppe de Rossini. Non mais, quel toupet !
Dans ce roman ébouriffant d’érudition et de drôlerie, on croise aussi Mlle Sophie de Kerdal, une mulâtresse qui n’aurait pas été pour déplaire à Baudelaire et un étonnant flacon qui ne contient pourtant « ni de l’huile de Macassar, ni de la double pâte des Sultanes »…
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, qui ne pouvait qu'illustrer, avec bonheur, une oeuvre dans laquelle le cheveu est le véritable héros !
1 Goetz A., Le coiffeur de Chateaubriand, Le Livre de Poche, Saint-Amand-Montrond, 2020, 123 pages
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