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Quand Zola se mêle de tambouille cosmétique !

> 06 juin 2021

Quand Zola se mêle de tambouille cosmétique !

Quelle tambouille chez Zola !1 Dans l’immeuble où emménage le jeune Octave Mouret la morale n’est que de façade. Le propriétaire de l’immeuble, M. Vabre, une « longue face rasée de diplomate », a toute confiance en M. Gourd, un concierge qui traîne sans cesse dans les escaliers, afin de vérifier les bonnes mœurs de ses locataires. Accueilli par M. Achille Campardon, un architecte diocésain de 42 ans, au look un tantinet artiste, du fait de ses « cheveux en coup de vent », Octave, qui est bien décidé à faire fonctionner l’ascenseur social, tente de roucouler auprès des bonnes dames de la maison, toutes plus fraîches les unes que les autres, mais aucune ne semble disposée à sauter le pas. Tant pis pour elles, Octave ira voir ailleurs ; son rêve de « dames qui le prendraient par la main et qui l’aideraient dans ses affaires » va finir par se réaliser... c’est certain. Il suffit juste d’un peu de patience. « Sa campagne de Paris », voilà ce que le bon petit soldat Octave Mouret est prêt à raconter à l’oreille complaisante d’un écrivain qui cherche à gratter ce qui se cache derrière les apparences honnêtes des ménages d’un immeuble de bonne renommée. Sans se couvrir de gloire (il ne faut peut-être pas trop pousser le bouchon) le petit soldat a percé les lignes ; le mariage est là, à portée d’annulaire, avec, en dote, une jolie boutique de mode qui fonctionne à plein régime. Avant de lancer des dragées au mariage d’Octave et de la belle Mme Hédouin, arrêtons-nous un instant à chaque étage de la grande maison, afin d’y surprendre les secrets cosmétiques des unes et des autres.

Octave Mouret, la zizanie, c’est sa faute à lui

Le fauteur de troubles c’est lui, c’est lui... Le jeune Octave, un « grand, brun, beau garçon » de 22 ans. Venu embaucher au « Bonheur des dames », chez Mme Hédouin, il est, effectivement, prêt à faire le bonheur des dames de son immeuble et à profiter de leurs prévôtés pour réussir dans la vie.

Marie Pichon, la première à craquer

Marie Pichon, une femme du peuple qui vit tout en haut de l’immeuble, est la première à craquer aux avances d’Octave. Il en résultera deux naissances ! « Sa peau d’une finesse et d’une transparence de chlorose », permet à Octave d’attendre plaisamment des jours meilleurs.

Valérie Vabre, la première à résister

Valérie Vabre est une femme fragile. Son point faible : une santé vacillante, des vapeurs incessantes... traitées par le Dr Juillerat, d’une manière approximative. Pourquoi pas des « compresses d’eau chaude, appliquées autour du cou » ?

Rose Campardon, un loukoum qui passe sa vie allongée

La jeune fille maigre et chétive d’antan est désormais une belle trentenaire aux formes épanouies et à la bonne « odeur fraîche de fruit d’automne ». Sa peau d’une « délicatesse et d’une blancheur de lait », ses « cheveux d’or » l’occupent à 100 %. « Tous les jours, pendant des heures, c’était ainsi des soins de toilette excessifs, une continue préoccupation à s’étudier les grains de la peau, à se parer, pour s’allonger ensuite sur une chaise longue, dans un luxe et une beauté d’idole sans sexe. » Sa « seule distraction » consiste à brasser ses produits de beauté et à s’occuper de sa peau. La moindre rougeur, le moindre bouton est considéré comme un ennemi à abattre au plus vite. Bientôt aidée par sa cousine Gasparine (la maîtresse de son mari Achille venue s’installer avec le couple pour plus de commodités), Rose devient de plus en plus appétissante dans ses déshabillés luxueux ; une vraie petite pâtisserie. Il ne lui faut pas moins d’une heure dans son cabinet de toilette avant d’aller se coucher (seule !). « Elle procéda à un débarbouillage complet, se trempa de parfums, puis se coiffa, s’examina les yeux, la bouche, les oreilles, et se fit même un signe sous le menton. » Gasparine l’aide en tout... lui passant « les cuvettes, épongeant derrière elle l’eau répandue, la frottant avec un linge » et la bordant dans son lit, avant de se glisser elle-même aux côtés d’Achille. Le « corps douillet, délicat et soigné », Rose est prête à faire de jolis rêves, à l’aise, dans son vaste lit. « Quand elle se sentait jolie, elle dormait mieux, disait-elle. » Si Rose ne veut pas de son mari, si elle le laisse volontiers à Gasparine, ce n’est pas pour fauter avec Octave. Qu’on se le dise !

Mme Hédouin, une veuve industrieuse et pas joyeuse du tout

Grande et belle, des « yeux couleur vieil or », le « visage régulier », les cheveux coiffés en deux « bandeaux unis », parfaitement lisses, Mme Hédouin ressemble à une Madone inaccessible. Seul le travail compte pour cette femme « superbe, à la santé vaillante, à la beauté calme », qui semble résister à tous les assauts possibles et imaginables. Les petits cheveux qui frisent sur sa nuque affolent Octave, qui admire les « blancheurs neigeuses de sa gorge, décolletée très bas », les mains derrière le dos ! Patience Octave ! Un jour, la belle veuve viendra toquer à ta porte, te proposant une association 100 % gagnant.

Clotilde Duveyrier, une pianiste déplorable, à la froide beauté

Clotilde Duveyrier, la femme d’Alphonse, est « grande et belle, avec de magnifiques cheveux roux », « d’or fauve » et des yeux gris ; son visage « d’une pâleur et d’un froid de neige », d’une « pureté de marbre » calme les plus téméraires. « La gorge et la taille sanglées dans un corset cuirassé de baleines » sont garants de son intégrité. Pianiste médiocre, Clotilde irrite les oreilles de ses convives, lors de soirées mémorables. Dans le petit appartement surchauffé, les invités sont serrés les uns contre les autres, produisant des odeurs mêlées (« Il faisait chaud, les éventails soufflaient, de leur haleine régulière, les pénétrantes odeurs des corsages et des épaules nues »). L’odeur musquée qui s’échappe des toilettes grise les têtes, le temps d’un instant. A noter que Clotilde ne fait pas le poids fasse à Clarisse, la maîtresse d’Alphonse, son mari, une femme aux « bandeaux luisants de pommade », qui rend les hommes fous. Le pauvre Duveyrier, laissé pour compte par Clarisse, en arrivera même à tenter de se suicider dans les lieux d’aisance (quelle indignité !).

Les Josserand, la vulgarité à l’état pur

M. et Mme Josserand ont 2 filles à marier ; habillée l’une en rose, l’autre en bleu, ces demoiselles sont trimballées de soirée en soirée, à la recherche d’un époux argenté. La future belle-mère, à elle seule, est capable d’en faire fuir plus d’un, tant sa vulgarité est patente. « Enorme, décolletée très bas, avec des épaules encore belles », Mme Josserand se recouvre de poudre de riz, à chaque sortie dans le monde. La cadette a 21 ans et se nomme Berthe. « Le teint clair, les cheveux châtains, dorés de reflets blonds », elle est « charmante ». Son visage éclatant de « blancheur » est lumineux. Ayant un profond « dédain du linge qu’on ne voyait pas », Berthe ne se soucie guère de ses jupons qui sont d’une « propreté douteuse ». Une fois mariée à Auguste Vabre, le fils du propriétaire, Berthe ne met plus de frein à son caractère dépensier, ce qui horrifie son époux économe. Il lui faut de belles robes et des postiches à profusion : « 95 francs de cheveux », s’il vous plaît ; « S’il est permis, pour des cheveux ! Comme si vous n’en aviez plus sur la tête ! ».

L’aînée, âgée de 23 ans, se prénomme Hortense ; « le teint jaune », le nez peu avantageux, tout laisse présager des soucis en matière de placement matrimonial. Fiancée à Verdier, un homme qui vit maritalement avec une femme depuis 15 ans, et qui la mène en bateau, Hortense attend son heure (qui ne viendra vraisemblablement jamais au rythme où vont les choses).

Adèle, la bonne des Josserand... des oreilles d’un sale !

A peine propre elle-même, mais à cheval sur la notion de propreté pour les autres, Mme Josserand est la terreur des bonnes. Elle renvoie ainsi Adèle à sa toilette, lorsque celle-ci est jugée trop sommaire. « C’était Adèle qui remontait se laver les oreilles, Mme Josserand lui ayant défendu furieusement de toucher à la viande, tant qu’elle ne les aurait pas nettoyées au savon. » S’ensuivent « 10 grandes minutes » de décrassage intensif !

L’oncle Bachelard, un noceur de première

Narcisse Bachelard, le frère de Mme Josserand, est un noceur fini, qui traîne derrière lui « une odeur de débauche canaille », composée de manière hétéroclite d’un « fumet d’absinthe, de tabac et de musc ». Invité régulièrement à dîner chez les Josserand, il dégoûterait les moins sensibles tant il se comporte comme un cochon. Il n’y a rien à faire, impossible de lui faire doter l’une ou l’autre de ses nièces.

et une mystérieuse inconnue qui sent la verveine

Et puis, il y a une mystérieuse inconnue « voilée », qui se glisse dans l’immeuble et ne laisse derrière elle qu’un « parfum évaporé de verveine ». Emile Zola reviendra 3 fois sur ce sillage, « évaporé de verveine », sans jamais lever le voile qui recouvre les traits de la belle visiteuse.

Pot-Bouille, en bref

Avec Pot-bouille, Emile Zola vidange les toilettes de l’immeuble Vabre. Penché sur « la table de toilette où un petit paquet de cheveux de femme » nage « sur l’eau savonneuse », il scrute le fond des cuvettes où ces dames réalisent leurs ablutions quotidiennes. Les bourgeoises de la maison passent leur matinée à « tremper dans des cuvettes ». « Leur peau les occupe trop, pour qu’elles songent » à embêter le petit personnel qui se la coule douce en attendant. Après Marie Pichon et Berthe Vabre (quelle comédie cette fuite à moitié nue dans les escaliers de l’immeuble lorsque Auguste découvre sa femme dans les bras du jeune homme) viendront les jours paisibles ; un mariage avec la respectable Mme Hédouin vient mettre fin aux tourments du jeune Octave. Un chemin des dames qui ne fait pas dans la dentelle !

Un roman qui se termine par un dialogue entre bonnes à tout faire : « Mon Dieu ! mademoiselle, celle-ci ou celle-là (on parle ici des maisons bourgeoises), toutes les baraques se ressemblent. Au jour d’aujourd’hui, qui a fait l’une à fait l’autre. C’est cochon et compagnie. » Au jour d’aujourd’hui, ben voyons donc...

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Zola E., Pot-Bouille, Le livre de Poche, Classiques, Paris, 2020, 510 pages

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