> 09 novembre 2024
Cette fois, San Antonio est chargé d'infiltrer le milieu parisien. Pour se faire, il se dit Clermontois.1 Il se prétend désormais s’appeler Bernard Tonacci. Et il va intégrer une bande de malfaiteurs chargés de kidnapper un brillant scientifique (cela fait déjà trois scientifiques spécialisés dans le nucléaire qui passent à l’Est !). Dans une planque au Havre, San Antonio tue le temps comme il peut, attendant, patiemment, l’heure de placer la bande sous les verrous. Il prend des bains froids (il n’y a pas d’eau chaude dans le ballon !), se morfond, se fait piéger, manque d’y passer… mais arrive tout de même à délivrer Hans Muller, le savant enlevé et à séduire une jolie rousse. Tout cela en quelques jours seulement !
L’occasion pour le lecteur de faire connaissance avec toute une galerie de personnages pas piqués des vers et qui, bien souvent, n’oublient pas de vider leurs verres et même de se resservir !
Fifi est une tenancière de bar, pas très sexy. Une grande femme, en armoire à glace, « avec des épaules de lutteur forain », pourvue de « barbe » et « moustache » ! Tout commence par une bagarre généralisée dans son troquet !
Paul est un gars du milieu, qui trempe toujours dans des affaires assez louches. Du point de vue physique, Paul est affligé d’un « eczéma facial », qui laisse Frédéric Dard perplexe (« ça doit venir de son eczéma qui le rend sombre »). Cet eczéma, qui « tient lieu de barbouze » à Paul, renforce le caractère peu engageant du personnage, qui est comparé, dans ce roman, à un « lavement d’occasion » ou à un « cataplasme de farine de moutarde moisi ».
Cet eczéma, qualifié de « virulent », fait souffrir Paul, qui se gratte en permanence et sème à tout vent une « pluie de croûtes grises » ! Des croûtes, qui se déposent, comme par hasard, « sur le marc du café » !
De quoi dégoûter un peu San Antonio, qui croit que l’eczéma est une pathologie contagieuse et renâcle à boire au goulot après Paulot : « Enfin, si j’ai une éruption d’eczéma, je saurai d’où ça vient. »
De quoi dégoûter franchement San Antonio, qui est persuadé que cet eczéma est à mettre sur le compte d’un problème d’hygiène et qui se verrait bien passer un drôle de gant de toilette sur le visage de celui qui est devenu son inséparable. « On a envie de lui passer la bouille au chalumeau, histoire de le mettre propre une bonne fois. »
La copine de Paul porte un nom imagé. Il s’agit d’une vieille ivrognesse, qui n’a pas besoin « de mettre des bigoudis pour friser la soixantaine » ! Une addict à la bouteille !
Celle-là est une indic qui « est au parfum » et qui ne risque pas de trahir le commissaire. Une alliée précieuse !
Un borgne de la bande à Paulot, qui oublie de se raser plus souvent qu’à son tour.
Un Italien, un Napolitain, séduisant, « petit, mince, sournois », aux « longs cils langoureux » et à la « chevelure calamistrée, style Vitabrille » !
La nièce de Paul, Sofia Mongin, est une superbe rousse, barmaid de jour dans une boîte de nuit, qui ouvre le jour et la nuit. Une bombe, qui séduit immédiatement San Antonio.
Une fille bien élevée, qui prend soin de ses dents (ses « ratiches », ses « chailles ») et ne veut pas sortir sans se les avoir lavés, ce qui énerve beaucoup son Tonton, beaucoup moins exigent qu’elle en matière d’hygiène bucco-dentaire.
« Se laver les dents ! Elle a la folie des grandeurs, ma parole. Sa pauvre mère se lavait même pas le dargeot et elle vient crâner. »
Après avoir enterré un comparse, San Antonio et ses acolytes filent « se laver les paluchettes à la cuisine » ! Gestes barrière obligent !
Dans ce roman, San Antonio est envoyé par le boss dans un repère de gars du milieu ; il doit prendre contact avec un certain Paul-le-Pourri, afin de dénouer les fils d’une affaire complexe d’espionnage. Et rien de mieux qu’une bonne bagarre pour nouer des relations intimes. « Vite, faut que je le mette dans le bain. » En traitant le visage de Paul de « machin d’un singe »… San Antonio met toutes les chances de son côté pour déclencher un bain de sang ! Et ça fonctionne à 100 % !
Pour San Antonio prendre une « douche », c’est le « fin des fins » ! Ceci ne manque pas d’étonner ses camarades, peu habitués à se laver. Dans la salle de bain, il se met à « loilpé » et fait « pleuvoir » l’eau sur sa « géographie », jusqu’à ce qu’il entende Paulot parler de lui en le qualifiant de « poulet ». Zut, sa couverture a glissé. Maintenant, San Antonio est tout nu, au propre comme au figuré ! S’ensuit une bagarre avec une arme trouvée dans le « porte-savon »… Un savon « Cadum, le truc qui entretient la beauté » et peut se muer en un projectile de haute précision.
« Je lève le bras et balance le savon de toutes mes forces - qui sont grandes. Un bruit mou, un cri de douleur, une détonation qui se répercute dans le local. La balle frappe la faïence au-dessus de » la tête du commissaire. San Antonio est passé à côté de la balle, contrairement au savon qui est arrivé, pile poil, en plein dans le pif de Paul ! « Il a biché le petit Cadum en plein nez et le raisin se remet à pisser. »
Au petit déjeuner, San Antonio ne se refuse rien. C’est café noir et croissant ! Croissant trempé dans le café. « Je gamberge à la situation tout en donnant un bain de pieds à mon croissant. »
Pour se faire beau pour Sofia, San Antonio sort le grand jeu… « Je me frotte le menton. J’ai besoin d’un coup de rasoir car l’énervement et la fatigue me font pousser la barbe à tout-va. »
De fil en aiguille c’est tous les habitués du bar qui se jettent dans la bagarre. Nouilles-aux-Œufs-Frais casse même un goulot de bouteille, afin de s’adonner à la pratique de la chirurgie esthétique, sur le frais minois du commissaire. De quoi organiser un chouette « concours de M. Bébé Cadum », après cette séance de réjuvénation !
Après le grabuge… il est temps pour Paul et San Antonio de lier connaissance au poste de police et de se faire la malle ensemble !
Il possède un « grain de beauté derrière l’oreille droite ».
Cette fois-ci encore on se fait traiter de belles manières, pour cause de cervelet un peu lent. Un petit électrochoc qui permet aux neurones de se reconnecter et au lecteur de se raccrocher à une intrigue pas forcément facile à comprendre. « […] vous avez des gueules à prendre de l’aspirine toutes les fois qu’on vous demande combien font deux et deux. »
On sait que Frédéric Dard n’a pas sa langue dans sa poche et, qu’en matière de jeux de mots, il dégaine plus vite que son personnage San Antonio… c’est dire ! Toutefois, toutes ces blagues ne sont pas de la même qualité… car il l’avoue lui-même « on ne peut pas distiller du génie à longueur de journée. »
Derrière Paul, se cache un chef chic, aux « cheveux gris » et « aux lunettes ovales » ! Un as de l’espionnage, qui capture des scientifiques et les expédie à l’Est. Une fois, deux fois… A la troisième, il tombe sur un os… ou plutôt un tas d’os, enrobé de bons muscles… San Antonio. Avec un bon flingue et un bon savon Cadum, le commissaire a tout ce qu’il lui faut pour stopper les agissements des méchants et gagner le concours des Commissaires cadomisés heureux !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Dard F., Messieurs les hommes in San Antonio tome 2, Bouquins, Robert Laffont, 2022, 1258 pages