> 23 novembre 2024
Des vacances payées par l’état… que rêver de mieux pour San Antonio et sa mère.1 Dans cet opus, Félicie accompagne son grand garçon, afin de lui offrir une couverture de première qualité. Et voilà nos deux espions rendus au pays du soleil. Un soleil « à faire bronzer un cachet d’aspirine » ! Une petite virée en Italie, afin de faire exploser une cargaison d’armes - pour ce faire le boss confie à San Antonio un stylo détonant ! - le temps de retrouver une petite fille kidnappée (celle du chef de l’association AA) et voilà notre commissaire qui se retrouve prêt à passer de vraies vacances avec Félicie… ou l’une de ses conquêtes du moment !
Le chef de San Antonio est connu du lecteur pour son crâne, aussi lisse qu’une boule de billard. A ce sujet, Frédéric Dard ne rate pas une occasion de le comparer à un « suppositoire prêt à prendre ses fonctions ». Contrairement à ce que l’on pourrait croire, San Antonio a beaucoup de respect pour « l’homme à la casquette en peau de fesse » !
Un avion qui se prend pour un bateau et atterrit sur l’écluse de Limetz. Résultat : tous les passagers trépassés. L’un deux, en particulier, Ali Kazar, intéresse la police, car sa montre renferme un message codé : AA1 K2 28-7-56. Décrypté aisément, le message laisse supposer qu’une bande de terroristes va se réunir à l’hôtel K2 (Kapaduo) à Cervia, sur la côte Adriatique, afin de réaliser une livraison d’armes, à destination de « rebelles d’Afrique du Nord ».
Il s’agit donc pour San Antonio et Félicie de jouer les vacanciers et de dépister les fameux terroristes dans le lot de pensionnaires, qui crèchent dans cet hôtel, en plein mois de juillet.
Qui est ce terroriste ? Un petit vieux, un jeune amoureux, un père de famille ? Mystère !!!
San Antonio est accueilli à l’hôtel par « une grande fille pâle et blonde sans le moindre brin de fard ». Une fille jolie, mais à l’air « malsain ». Malsain, car, contrairement, à tous les autres salariés de l’hôtel ou pensionnaires, « elle n’est pas bronzée ». Cette Allemande « a même la peau extrêmement blanche », ce qui fait se poser des questions à San Antonio. Comment peut-on rester aussi pâle lorsque l’on travaille l’été dans une station balnéaire réputée pour la qualité de son ensoleillement ?
Cette absence de bronzage ne cache-t-elle pas l’appartenance à un groupe qui fonctionne en souterrain ?
A peine arrivés, Félicie et son fils font « un brin de toilette », avant de descendre à la plage. Une plage privée, s’il vous plait ! Un peu de cosmétique sur les cheveux (« Je calamistre ma chevelure ») et San Antonio est à nouveau le plus séduisant des hommes.
Plus tard, ce sera une « bonne douche » ! Et même deux (du moins deux sont signalées dans cet opus).
Sur la plage de l’hôtel, rien de bien original, des transatlantiques, des parasols, des cabines, des « flacons d’ambre solaire » ! Des jeunes gens arborant une « petite médaille pieuse sur leur peau bronzée ».
Hommes et femmes sont étalés sur le sable chaud (celui qui « sert à parfumer les légionnaires »), « presque nus » ! Un étalage de jambes variqueuses, de bedaines, de poitrines flageolantes qui gêne un San Antonio, pourtant assez peu délicat, en ce qui concerne l’anatomie humaine. Tous ces gens, en train de se « faire cuire le lard au soleil », ces « gigots en maillots », indisposent notre bon commissaire, qui ne sait plus où porter les yeux. Trop, c’est trop !
San Antonio n’est pas du genre à apprécier les vacances trop calmes. Très rapidement, le rythme « Sieste, bain de soleil, trempette » lui met les nerfs en pelote, au point de lui filer de « l’eczéma au cervelet à force de se le gratter pour savoir ce qu’on va faire. » L’ennui est, d’après Frédéric Dard, le fléau du plagiste…
Pas question que San Antonio s’ennuie dans ce petit hôtel où se terre un affreux mafieux à la tête d’une coupable organisation.
Pour justifier le choix de cette station peu fréquentée des Français, San Antonio y va de son petit couplet. Les touristes français, à l’étranger, il les fuit… « Chez nous, on se lave les pieds deux fois par an, mais en hôtel on casse la cabane si le robinet d’eau chaude de la douche est bloqué ! »
Alors, forcément, après ce couplet, la petite Allemande renchérit : « C’est vrai, les Français sont sales » !
Et cela ne plait pas du tout à San Antonio, qui veut bien critiquer ses concitoyens, mais ne tolère guère que quelqu’un d’autre le fasse à sa place. Et de répondre : « Si on ne se fait pas de shampooing, on a du moins quelque chose dans le crâne… » Sous-entendu pas comme certaine…
Celle-ci - Mme Dickson - est une rousse canon, « à la peau bronzée », accompagnée de sa petite nièce. Tout en enquêtant, San Antonio « lui distribue une œillade veloutée et un sourire révisé par Colgate ».
Rapidement, cette gentille petite Mme Dickson va se retrouver veuve, car M. Dickson, qui fait partie de la bande de malfaiteurs recherchée par San Antonio, n’a pas été très tendre avec le commissaire. En récompense, une balle se coince dans son jambon ! « Dickson me paraît aussi mort que l’article de fond du Figaro. »
A noter que ce M. Dickson est en réalité Paul Sion, l’ennemi public N°1 de l’Après-guerre en France. Après avoir fait des hold-up, Paul s’est recyclé dans le trafic d’armes pour l’organisation AA1 !
Après avoir travaillé avec le chef de la bande AA1, Paul a décidé de devenir le N°1 (et non plus le N°2) et, pour ce faire, il a kidnappé la fille de son chef… Celle qu’il présente comme sa nièce est en fait la fille de Bucher… un ancien G.I. ayant renié ses valeurs. Clair comme de l’eau de roche, tout cela !
Ces retraités ont l’air bien inoffensifs. Pourtant, lorsque San Antonio visite leur chambre, il est bien étonné de trouver, dans leur salle de bain, « un flacon de teinture blanche ». « ça retient mon attention parce que la teinture en question est blanche… Vous mordez ? Blanche… Les deux petits vieux au lieu de se grimer en jeunots, accentuent leur âge par cet artifice. Voilà qui est troublant, n’est-ce pas ? »
Pas si troublant que cela, après une observation minutieuse du couple. Madame a les cheveux gris. Monsieur les cheveux blancs. En détaillant le visage de Monsieur, San Antonio « pige le pourquoi de la teinture… Il a les cheveux réellement blancs, mais son bouc doit pousser gris et c’est par coquetterie en somme qu’il se le teint en blanc… Je comprends la chose en voyant que sur ses joues, la barbe pousse plutôt foncée…. »
Quel observateur ce commissaire qui s’y connait en cosmétiques et en coquetterie masculine !
« comme dit mon ami Cérébos » ! Frédéric Dard raffole des jeux de mots, mettant en avant un certain de nombre de marques iconiques de l’époque. Un bel exemple ici !
Pour se défendre, San Antonio n’hésite pas à envoyer un « flacon d’eau de Cologne » sur la tronche de ses ennemis.
... ou du moins qui fait référence, une fois de plus, à la célèbre Jouvence de l’abbé Soury. « Vous verriez alors le gars San-A., vous seriez obligées de vous entifler dare-dare une cuillérée de souris de l’abbé Jouvence, mesdames » (sic)
Et une fois de plus, traité de « ramassis de cavillons ramollis de partout, principalement de la matière grise »… Une « bande de constipés de la feuille » qui peine, selon Frédéric Dard, à comprendre toute la subtilité d’une intrigue cuisinée aux petits oignons. Une « bande de chétifs de la coiffe », qui n’y comprend goutte et qui a besoin de revenir souvent en arrière pour arriver à y comprendre quelque chose à ces histoires savamment emmêlées.
Evidemment, San Antonio réussit à faire exploser la cargaison d’armes, comme le lui avait demandé son chef, le boss, l’homme au crâne chauve. Il réussit à récupérer la petite fille kidnappée et à la rendre à son truand de père.
Dans cet opus, Frédéric Dard nous montre, une fois de plus, l’importance des cosmétiques dans la vie du commissaire. Une jeune fille, qui ne met pas de fond de teint, un vieux couple qui utilise une teinture capillaire, un flacon d’eau de Cologne, qui traine sur la table de chevet d’un malfrat… tout est sujet à réflexion pour l’as des as. Rien n'échappe à cet as du contre-espionnage !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Dard F., Les anges se font plumer in San Antonio – Tome 3, Collections Bouquins Robert Laffont, 2010, 1288 pages
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