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Quand Maupassant nous présente le pharmacien des odeurs !

> 03 août 2024

Quand Maupassant nous présente le pharmacien des odeurs !

Dans cet opus intitulé Mont-Oriol,1 Maupassant nous encourage à prendre les Bains du Mont-Oriol ! Il nous y traîne de force, nous démontrant, qu’il est possible de trouver, dans ce genre de station, santé et fortune, mais aussi… désespoir et ruine du corps. Christiane, venue combattre sa stérilité, voit son vœu exaucé. Paul, son amant, lui permet d’être mère… mais, dégoûté par la femme enceinte qui se confie à lui, il rompt les liens qui l’attachait à sa maitresse.

Dans ce roman, l’on entend les patients qui subissent un lavage d’estomac gargouiller de douleur ; on écoute les musiques de la fanfare qui donne des concerts dans le parc. On se glisse près des vieilles douairières pour entendre les derniers potins et l’on apprend de William Andermatt comment devenir riche. Quoi rêver de mieux ?

La station d’Enval, qu’est-ce ?

La source d’Enval est exploitée depuis quelques années par le Dr Bonnefille, qui reçoit, dans cette région d’Auvergne, des malades de toutes sortes, auxquels il prescrit « douches et bains » ! La source Bonnefille est, nous dit-on, « bicarbonatée, sodique, mixte, acidulée, lithinée, ferrugineuse, etc. » Bref, une panacée qui traite toutes sortes d’affections.

Le Dr Bonnefille est aidé dans sa tâche par les Dr Honorat et Latonne. Des tensions existent, toutefois, entre ces hommes. Latonne aime ainsi pointer du doigt la saleté de son confrère, indiquant que la chevelure de ce dernier est « poivre et sale » !

Bientôt, la source d’Enval va être détrônée par les sources trouvées (les sources Christiane, Louise et Charlotte) sur les terres du père Oriol.

Mme Christiane Andermatt, une jeune blonde qui hume la vanille

Cette jeune femme blonde, « petite et pâle », aux yeux bleus, qui vient aux eaux pour combler un désir d’enfant insatisfait est la femme du Juif Andermatt, un « faiseur d’affaires ». Cette fille du marquis de Ravenel est âgée de 21 ans.

Elle va rapidement tomber sous le charme de Paul Brétigny, un ami de son frère Gontran, qui va lui enseigner « à sentir l’air ». Le jeune homme va, en effet, lui expliquer l’alchimie des odeurs et l’aider à retrouver une odeur de vanille dans le sillage d’une charrette de foin. Une véritable passion va alors naître entre Liane (c’est ainsi que Paul a rebaptisé Christiane) et Paul.

Mme Christiane Andermatt, une jeune mère qui délire au sujet des parfums

Abandonnée par Paul, enfiévrée par un accouchement douloureux, Christiane revivra, en délirant, son initiation à l’art de la parfumerie. « Quoi de plus doux ?... Cela grise comme le vin… Le vin grise la pensée, mais le parfum grise le rêve… Avec le parfum, on goûte l’essence même, l’essence pure des choses et du monde… On goûte les fleurs… les arbres… l’herbe des champs… ». Un délire odorant, qui mène Christiane aux portes de la mort. Heureusement, son heure n’est pas venue. Elle va renaître à la vie et s’occuper, avec bonheur, de sa fille Arlette.

William Andermatt, un jeune entrepreneur parfumé à la verveine

Cet homme besogneux est « rose » et « chauve » ; il ressemble à une dragée. « Il y a des jours où j’ai envie de le coller sur une boîte de dragées. » (dixit sa femme Christiane).

Une fois cette constatation faite, on se rend rapidement compte de l’intelligence de cet homme qui a, tout de suite, compris qu’il y avait de l’argent à se faire dans cette ville d’eau encore endormie.

William est un pragmatique, qui se parfume violemment ; au sortir de son cabinet de toilette, il dégage « une forte odeur de verveine » !

Un pragmatique, bien décidé à faire fortune, en exploitant une source avec des vertus thérapeutiques et en faisant la « réclame ». Pour cela, William est prêt à soudoyer des femmes du monde, pour leur faire dire que cette source a guéri leurs rhumatismes, leur herpès, leurs maux d’estomac ou leurs troubles circulatoires. Il est également prêt à corrompre le corps médical, en lui permettant l’achat de charmants chalets dans la petite station, à des conditions exceptionnelles.

M. de Ravenel, un père hypochondriaque qui sue la peur de la maladie

Le père de Christiane est un hypochondriaque, persuadé du grand pouvoir des eaux thermales. Cet homme a une confiance illimitée dans la médecine. Il refuse de boire de l’eau et de se baigner, sans une prescription précise, tant il a peur de « se baigner 5 minutes de trop, de boire un verre de moins qu’il n’aurait fallu. »

Paul Brétigny, un amant qui fait corps avec son parfum subtil

Il est jugé fort laid par Christiane, lors de leur première rencontre. Une tête de maille (« sa tête avait quelque chose de brutal ») et un corps d’hercule épouvantent la frêle jeune femme, qui remarque, toutefois, qu’un parfum subtil et étrange se dégage de ses vêtements.

« Mais de sa jaquette, de son linge, de sa peau peut-être s’exhalait un parfum très subtil, très fin, que la jeune femme ne connaissait pas ; et elle se demanda : Qu’est-ce donc que cette odeur-là ? ».

On apprendra bientôt que ce parfum unique lui a été offert par sa dernière maîtresse, une actrice qui l’a depuis laissé tomber. Un parfum qui vient de « Russie » et « qui sent très bon » ! Un parfum qui concourt à donner à Paul un « charme puissant » !

Cette petite brute est un passionné qui s’est déjà battu en duel à 7 reprises !

Une brute, aux sens aiguisés, qui se parfume avec soin et détecte dans l’air de la station « une odeur délicieuse », incomparable, très « fine » ! Ce « nez » a cherché pendant 4 jours l’origine de cette fragrance que seuls peuvent découvrir « les plus raffinés des sensuels » et il a fini par en trouver l’origine. Le parfum, qui embaume l’air, est celui de la « vigne en fleurs ». Intarissable sur le sujet, Paul discourt sans fin sur ce parfum « délicat » et « troublant », qui se mêle parfois à la « senteur puissante des châtaigniers ». Il arrive même à séduire Christiane, en évoquant l’odeur de vanille qui naît de la rencontre entre le foin des charrettes, le crottin de cheval et la « poussière fine », portée par le vent. La senteur vanillée qui en résulte émoustille les sens de celui qui se présente comme le pharmacien des odeurs (« Permettez, en ce moment j’analyse comme un pharmacien »).

Cette petite brute lâchera bien vite Christiane, lorsque celle-ci lui aura fait part de sa grossesse. Il se tournera alors vers Charlotte Oriol, puis vers sa sœur Louise, afin de faire un beau mariage.

Le père Oriol, un vieux paysan qui sent l’odeur de l’argent

Un riche paysan, qui détient les plus belles terres du pays et deux filles âgées de 18 et 19 ans. Deux sœurs, presque jumelles, aux cheveux bruns et au teint frais, l’ainée Louise, la cadette Charlotte. Le vieil homme fera fortune grâce à Andermatt.

Le père Clovis, un vieil estropié qui flaire l’odeur de l’argent

Ce mendiant, qui joue les estropiés depuis des années, va être utilisé par Andermatt, afin de prouver que la source qui vient d’être découverte sur le terrain du père Oriol est une source d’une efficacité de premier ordre. Moyennant argent sonnant et trébuchant, le vieil homme se laisse baigner complaisamment (il reste chaque matin 1 heure dans un trou creusé à son effet), jusqu’à parfaite guérison. Des rechutes lui permettront régulièrement d’arrondir son pécule !

Le Dr Mazelli, un jeune médecin italien qui sent la liqueur à plein nez

Ce bel italien va conquérir les cœurs, dès ses premiers pas dans la station. Arrivé dans les bagages d’une duchesse espagnole, il donne rapidement toutes sortes de conseils hygiéno-diététiques aux dames de la contrée. C’est ainsi qu’il explique aux femmes de chambre quelle « hygiène » pratiquer « aux cheveux de leur maîtresse », afin de leur donner du « brillant » et de « l’abondance ». Sa thérapie repose sur la consommation de liqueurs (le curaçào, en particulier, mais également « l’anisette fine » ou le « bitter excellent »), conjuguée à la réalisation de massages. Ce médecin, qui considère les médicaments comme des produits dangereux, attend que « la chimie organique et la chimie biologique » soient « le point de départ d’une médecine nouvelle », pour valider l’emploi des principes actifs qui seront ainsi mis en avant. En attendant, c’est avec ses « mains fines et blanches » que le docteur fait des miracles.

Et une vision idyllique des stations thermales

Les salles de bain à destination des patients constituent un havre de paix pour Christiane, qui aime à prendre les bains chauds qui lui sont prescrits. La jeune femme est ravie de la « douceur » de ce « bain transparent ». « Les petites bulles de gaz » qui se promènent le long de son corps constituent une « sorte de cuirasse » de « perles menues », qui raffermissent « sa chair blanche » et apaisent toutes ses tensions. Après 20 ou 30 minutes de bain (selon l’avancée du traitement), Christiane s’extrait, à regret, de cette bulle de bien-être ; elle enfile alors un peignoir « chaud », avant de se rhabiller.

Et une critique des médicaments de l’époque

Guy de Maupassant passe ici sa rage sur le sulfate de quinine, qui rend « sourd », sur le bromure de potassium, qui corrompt l’haleine, sur l’iodure de potassium, qui rend « imbécile », sur le salicylate de soude, qui conduit à une « mort foudroyante », sur le « chloral qui rend fou », « la belladone qui attaque les yeux » et sur tout plein d’autres principes actifs d’origine végétale ou minérale, qui « font périr par le médicament ceux que la maladie épargne. »

Et une critique des médecins de l’époque

Qui baragouinent encore en latin, comme au temps de Molière.

Et une critique des pratiques irraisonnées

Le lavage d’estomac, pratiqué par le Dr Bonnefille, avec la « sonde Baraduc », est comparé à un acte de torture par un Maupassant, très sévère vis-à-vis du corps médical de son temps.

Cette sonde sert également au Dr Latonne, qui réalise ce type de lavage dans son « institut médical de gymnastique automotrice ». Le lavage qui se fait à l’eau de la source est un véritable supplice ! Par ailleurs, les appareils automatisés qui permettent aux patients de faire de l’exercice sans effort ruinent la santé des salariés du lieu, qui doivent actionner ces engins au prix de suées formidables.

Et un peignoir pour radiographier une patiente

Lors de sa première auscultation par le Dr Latonne, Mme Andermatt se voit intimer l’ordre de se mettre nue, sous son peignoir. Sur celui-ci, le médecin « moderne » trace le contour des organes de la jeune femme. Désormais, il ne reste plus qu’à étudier la façon dont ils vont reprendre leur place d’origine, au fur et à mesure de la cure. On n’entendra plus jamais parler de ce peignoir-diagnostic dans la suite du roman.

Mont-Oriol, en bref

Il est cruel ce roman, qui montre un homme, incapable d’assumer ses responsabilités, une fois une grossesse déclarée. Il est cruel ce roman, qui montre les dessous d’une ville d’eau, avec tous les tripatouillages nécessaires, pour faire, d’une simple bourgade d’Auvergne, un grand centre médical de renommée nationale. Il en faut de l’argent pour corrompre tous les acteurs nécessaires !

Coté médical, c’est donc plutôt gratiné… Côté cosmétique, on est également servi avec des odeurs de parfums qui nous sautent au nez, à chaque page. L’un se bassine à la verveine, pendant que l’autre nous bassine avec sa théorie des fragrances mêlées. Le pharmacien des odeurs fait jaillir de la vanille, en mélangeant, dans de bonnes proportions, du foin et du crottin. Un peu plus et on se retrouvait avec une recette-maison à la Salvador Dali !2

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Maupassant G., Mont-Oriol, Folio classique, Gallimard, 2021, 378 pages

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/le-diy-cosmetique-de-salvador-dali-a-eviter-2385/

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