> 20 juillet 2024
Jusqu’où peut mener le sentiment de jalousie ? Voilà le thème abordé par Guy de Maupassant dans la nouvelle intitulée L’inutile beauté.1 Une beauté qui doit être tordue, annihilée, afin que son détenteur (l’époux légitime) puisse dormir sur ses deux oreilles… sans crainte d’être trompé ! Le comte de Mascaret, ici mis en scène, est un jaloux pathologique, qui n’a trouvé qu’une solution : la maternité en continu, pour transformer une femme séduisante en une mère déformée, n’ayant plus aucun attrait. Un pari qui ne fonctionne pas avec la comtesse, une femme à la peau élastique, qui retrouve sa taille de jeune fille, après chaque accouchement.
Une curieuse nouvelle, qui nous montre un Maupassant, mal à l’aise avec la notion de maternité ! Une curieuse nouvelle, qui transforme le séducteur impénitent, en un salarié du planning familial ! A découvrir !
La comtesse est une femme splendide, au teint « pâle », un teint « d’ivoire doré », qui lui donne l’allure d’une « statue », aux yeux gris et aux cheveux noirs. En 11 ans de mariage, à 30 ans, elle a déjà passé plus de 5 ans en état de grossesse. Sept enfants qui l’ont tenu éloignée de la vie mondaine brillante à laquelle une belle jeune femme de la haute société a droit. Son époux l’a enfermée dans la tour d’ivoire de la maternité ; il compte bien l’y maintenir prisonnière jusqu’à la ménopause !
Le comte est un fort bel homme à « grande barbe rousse ». Très jaloux de sa femme (trop belle pour lui !), le comte n’a trouvé qu’une solution pour tenir éloignée sa femme d’amants potentiels… la maternité à répétition. Espérant que cet état permanent de grossesse viendra à bout des formes remarquables de son épouse, le comte ne laisse aucun répit à celle qui se proclame « indéformable » !
Afin de faire cesser ces grossesses importunes, la comtesse ne voit qu’une solution : le mensonge. En indiquant à son orgueilleux et jaloux époux que l’un de ses enfants n’est pas de lui, la comtesse compte bien fermer sa porte définitivement à l’ennemi de sa beauté. « Un de vos enfants n’est pas à vous, un seul. » Ce serment, réalisé dans le chœur d’une église, scelle la fin des rapports de Madame et de Monsieur !
Ce contraceptif très particulier va être utilisé durant 6 ans par la charmante comtesse, qui retrouve ainsi le goût à la vie… mondaine !
Dans cet opus, Guy de Maupassant s’indigne de la malpropreté des organes reproducteurs (des organes « malpropres et souillés ») et s’en prend au Créateur de manière violente. Que ne fait-on les enfants par le nez ou par la bouche, voire par l’oreille. Le nez « qui donne aux poumons l’air vital, donne au cerveau tous les parfums du monde : l’odeur des bois, des arbres, de la mer » semblait tout indiqué pour perpétrer la race de manière poétique et raffinée !
Durant 6 ans, la belle Gabrielle va tenir son époux éloigné de sa couche, grâce à un habile subterfuge. Au bout de ces 6 ans d’enfer conjugal, jugeant que la leçon a assez duré et que l’époux jaloux est devenu suffisamment sage, la femme du monde avoue son mensonge. Désormais, les deux époux pourront vivre en amis, bien sagement, bien raisonnablement. La belle Gabrielle est toujours aussi belle ; elle peut, désormais, mordre dans la vie à pleines dents.
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Maupassant G., L’inutile beauté, in L’inutile beauté et autres nouvelles, Folio classique, Gallimard, 2022, 216 pages