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Quand Louise et Amélie se retrouvent au pied de la Dame de Fer pour un thé gourmand !

> 31 octobre 2021

Quand Louise et Amélie se retrouvent au pied de la Dame de Fer pour un thé gourmand !

Au sujet de la Dame de fer, on connait la charmante Louise de Vilmorin et sa poésie savonnière, d’une extrême légèreté.1,2 Quelques verres de champagne dans une soirée mondaine et voilà Louise qui part en bulles et rêve de transformer la monstrueuse construction que viennent admirer des dizaines de milliers de touristes par jour. Cette tour aurait, soi-disant, un petit air d’inachevé. Il manque une pendule « muette », accrochée à chacune de ses faces. Ces pendules libéreraient « d’énormes bulles de savon dont le nombre correspondrait aux heures, aux quarts et à la demie. » A midi ou à minuit, on pourrait donc contempler « quarante huit bulles multicolores » s’élevant gracieusement vers le ciel. T’es pas un peu folle, lui répond la maléfique Amélie Nothomb,3 qui préfère encore imaginer le monument par terre, quelques petits champignons hallucinogènes, plus tard, plutôt que de s’enfoncer dans la fontaine de guimauve qui vient de lui être soufflée...

Dans ce Voyage d’hiver, il fait froid, très froid... chez une romancière « neuneu », en attente du paiement de ses droits d’auteur ; son assistante de vie a tapé dans l’œil du conseiller EDF, chargé de coacher sa clientèle en matière d’économie d’énergie. Ce type, qui croit en ses capacités intellectuelles, n’a pourtant pas une personnalité charismatique... Condamné à l’ombre... difficile pour un gars qui travaille consciencieusement dans une compagnie d’éclairage.

Un conseiller EDF qui ne se lave même pas les mains en sortant des toilettes

Zoïle (c’est le prénom pas banal de notre conseiller EDF) a tenté, à l’âge de 15 ans, de traduire L’Iliade et L’Odyssée, en 9 jours, tout d’une traite, avec seulement quelques pauses - pipi parfois. Même pas l’idée de se savonner les mains en revenant à sa table de travail. Consternant !

Des anciennes camarades d’école d’une extrême médiocrité

Laura, une ancienne camarade de classe, est la médiocrité même. Sa jalousie tenace à l’égard de Violette, la plus belle fille de sa promotion, a trouvé sa récompense dans une décrépitude accélérée de cette dernière. « Elle me répondit en jubilant qu’elle avait pris trente kilos et plus de rides que la fée Carabosse. » Laura n’a pas embelli, mais Violette s’est décatie... la différence désormais entre les deux « copines » peut être comptée pour quantité négligeable.

Une romancière neuneu qui ne veut pas se laver

Lorsque Zoïle débarque chez la romancière à succès Aliénor Malèze, il ne peut qu’admirer « le ravissant visage » de celle qui est adulée des foules. Oui, sauf que celle qu’il prend pour Aliénor n’est autre qu’Astrolabe, sa secrétaire-assistante de vie-confidente... Aliénor est atteinte de la « maladie de Pneux », une pathologie qui atteint le cerveau et provoque, au fil des ans, un ramollissement de la chambre à air neuronale. Excusez les termes techniques... il s’ensuit une incapacité à communiquer, une gloutonnerie sans limite (et des macarons Ladurée de toutes les couleurs, s’il vous plait !), une aversion pour les cosmétiques, une complaisance coupable vis-à-vis de la saleté et des odeurs corporelles. Astrolabe a donc pour mission d’aider la romancière handicapée, dans la vie de tous les jours, à se laver, à conserver un minimum d’estime pour elle-même et pour les autres (snif, snif). Impossible pour Astrolabe de quitter sa meilleure amie. Impossible donc d’envisager une vie commune avec Zoïle. « Abandonner l’écrivain reviendrait à la tuer ». Une vie à trois ne paraissant guère envisageable... à un Zoïle pas très enthousiaste à l’idée de récurer une pneumatique, c’est-à-dire une personne atteinte de la maladie de Pneux ! « Astrolabe, trop fatiguée pour laver son amie et me priant de la remplacer, la folle nue dans la baignoire avec des canards en plastique - non ma grandeur d’âme n’irait pas jusque-là. »

Aliénor et la saleté, un jeu réjouissant : « Elle perçoit la saleté comme un phénomène amusant, elle ne voit pas pourquoi elle se laverait ». En échange, Aliénor, pleine de gentillesse, offre, à sa dame de compagnie, des bouquets de fleurs, cueillis dans certaines zones bien précises de son hémisphère droit, celui qui vibre au seul nom de poésie. « Je me blottis dans tes mots » !

Une romancière neuneu, comparable à un baobab

Comment qualifier Aliénor ? A quoi la comparer ? A un arbre africain inutile, mais pourtant sacré : un baobab. Pas un arbre dont on tire des arcs, des brindilles permettant de constituer des brosses à dents tout ce qu’il y a de plus éco-responsables, des poudres dont on se sert pour se laver les cheveux... Non rien de tout cela.

Un tatouage hallucinant

La consommation de champignons hallucinogènes transforme Astrolabe en tatoueuse professionnelle. Zoïle a « des mots écrits partout » sur sa peau. Des « caractères chinois », très esthétiques, mais totalement incompréhensibles.

Le voyage d’hiver, en bref

Peut-on avoir le cœur chaud lorsque l’on vit dans un appartement glacial ? Peut-on être un écrivain modeste quand on vit dans le quartier Montorgueil ? Peut-on s’abstenir d’utiliser des cosmétiques quand on passe toute sa journée devant une page blanche, propre comme un sou neuf ? Jusqu’où peut-on aller par amour, sans amour ? Amélie Nothomb, une fois de plus, nous bombarde de questions... normal, son arme préférée, c’est l’écriture !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette invitation au voyage... presque de saison !

Bibliographie

1 de Vilmorin L., Le violon, Gallimard, 1960, 153 pages

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/et-si-on-placait-des-pendules-a-bulles-sur-la-tour-eiffel-1306/

3 Nothomb A., Le voyage d’hiver, Albin Michel, 2019, 116 pages

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