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Quand le roll on s’appelait flacon à bille

> 08 avril 2017

Quand le roll on s’appelait flacon à bille En 1967, dans leur album « The Who sell out », les chanteurs du groupe de rock britannique vantent les mérites d’un « déodorant » très présent alors sur le marché. Il s’agit du produit Odo-Ro-No, au nom judicieusement choisi. La chanson raconte l’histoire d’une déception amoureuse due à un excès de transpiration. La fin est cruelle : « Son déodorant l’avait lâchée, elle aurait dû utiliser Odo-Ro-No ». Cette chanson est parfaitement dans la veine de toutes les publicités qui faisaient vendre Odo-Ro-No.

La société Odo-Ro-No est créée en 1919. Marque et produit partagent le même patronyme. Odo-Ro-No se présente initialement sous la forme d’une lotion désodorisante, anti-perspirante. Les publicités qui ne sont pas sans rappeler celle du bain de bouche Listerine (voir Regard « Si Listerine m’était contée ») démontrent l’efficacité du cosmétique. La marque encourage les femmes (ce sont elles qui sont ciblées dans les premières publicités) à réaliser le « armhole odor test ». En quoi cela consiste-t-il ? Le soir, après une journée de travail ou d’activité intense, il conviendra de placer son nez sur son chemisier, précisément au niveau des aisselles. Si cela sent, cela signifie qu’une solution cosmétique s’impose. « Les femmes de goût bloquent leur transpiration et gardent la peau sèche ». De cette façon, elles évitent les odeurs corporelles. En résumé, une jeune fille à marier devra combattre l’halitose avec Listerine et lutter contre les odeurs de sueur avec Odo-Ro-No, produit dont le nom est, quand même, diablement bien choisi.

Le produit en question se présente sous forme d’une solution dont notre grand ami (et maître !) René Cerbelaud ne manque pas de nous dévoiler la formule. Nulle surprise lorsque l’on apprend que la solution renferme du chlorure d’aluminium (15 grammes), un soluté au centième d’acide chlorhydrique pur (5 grammes) et de l’eau distillée (80 grammes). Cette formule n’est pas unique en son genre. On peut retrouver la même composition avec la formule Nonspi, par exemple. Le chlorure d’aluminium est un actif dont le mécanisme d’action est basé sur un effet irritant. Après application sur la peau, il se produit, alors, une réaction inflammatoire qui se traduit par une rougeur mais également par une multiplication des kératinocytes (cellules majoritaires au niveau de l’épiderme). L’épaississement de la couche cornée entraîne la formation d’un bouchon au niveau des orifices pilo-sébacés (lieu d’évacuation de la sueur apocrine, une sueur de composition lipidique qui acquiert une odeur désagréable au fil du temps du fait de la décomposition des lipides constitutifs en acides gras volatils malodorants). On parle de la théorie du bouchon. René Cerbelaud ajoute que « trois applications par semaine suffisent. Si les deux ou trois premières applications provoquent des démangeaisons ou de l’érythème, éviter de se gratter et recouvrir avec un peu de cold cream frais sans odeur [...] ». Du fait du caractère irritant de la formule, il conviendra de « ne pas passer de désodorisant le jour où on se sera rasé ou épilé les aisselles. » Ces conseils d’utilisation sont bien évidemment intemporels.

Côté conditionnement, le flacon à bille est apprécié, car il permet une application aisée d’un produit aussi fluide que l’eau. Odo-Ro-No a l’idée judicieuse de proposer « deux vitesses » d’écoulement. En cas d’urgence, il est prudent d’actionner la vis dans le sens « Plus de lotion ».

Presque un siècle plus tard, c’est le terme anglais « roll on » qui est le plus souvent employé pour désigner ce flacon à bille.

On notera au passage que le chlorure d’aluminium (nullement interdit par la règlementation cosmétique) est tombé en désuétude et que l’industrie cosmétique n’y a plus recours, du fait de son caractère irritant marqué. Le chlorhydrate d’aluminium est, en revanche, l’ingrédient omniprésent dans les anti-transpirants actuels (qui sont souvent désignés, d’ailleurs, sous le nom impropre de déodorants). On sourira, en pensant à la gamme Etiaxil qui a inventé le terme détranspirant pour désigner les produits de la gamme renfermant du chlorure d’aluminium (eh oui, ce sont les derniers à avoir recours à cet actif très puissant) (http://www.etiaxil.fr/traitements-locaux).


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