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Quand la reine Pomaré se dirige vers le fond du jardin...

> 13 avril 2019

Quand la reine Pomaré se dirige vers le fond du jardin...

Julien Viaud nous emmène, aujourd’hui, en voyage sur les traces de Harry Grant,1 un officier de marine, amoureux des îles lointaines. Rebaptisé « Loti » par la princesse Ariité et « Mata reva » (Oeil mystérieux) par Rarahu, le jeune officier tombe sous le charme d’une île qui conserve encore toute sa beauté originelle. Durant ce voyage littéraire, l’on peut faire la connaissance de la vieille reine Pomaré IV et des jeunes filles qui composent sa cour. On y apprend les coutumes tahitiennes et les pratiques esthétiques en vigueur sur « l’île délicieuse ». « Une suave odeur d’herbe » est perceptible en certains endroits de l’île. Partout ailleurs, l’air est sursaturé « d’exhalaisons tropicales », dues au « parfum des oranges surchauffées dans les branches par le soleil du midi ». Parfois, « une goyave trop mûre » manque de vous assommer. « Un parfum de framboise » vous avertit du danger ! Julien Viaud nous emmène au contact du peuple tahitien et s’empresse de photographier une société qui se meurt.

Une jeune fiancée de 15 ans parée de la « grâce polynésienne »

Rarahu possède des cils, « si longs, si noirs qu’on les eût pris pour des plumes peintes. » Ce bel oiseau des îles a des « dents très blanches » qui ont gardé leur aspect enfantin. « Ses cheveux, parfumés au sandal (sic), étaient longs, un peu rudes [...] ». Rarahu n’hésitera pas à couper ses beaux cheveux au ras de sa tête lors du décès de la petite princesse Pomaré V. « Autour de ses chevilles, de légers tatouages bleus, simulant des bracelets ; sur la lèvre inférieure, trois petites raies bleues transversales, imperceptibles, comme les femmes des Marquises ; et sur le front, un tatouage plus pâle, dessinant un diadème. » Afin de se protéger du soleil et d’éviter d’avoir une peau trop cuivrée, Rarahu peut utiliser de larges « couronnes de feuillages ». Elle aime également à arborer des couronnes de « gardénia blanc, à l’odeur ambrée » ou bien un chapeau à fond plat en paille tressée (« couronne de péia ») sur lequel sont fixées les « reva reva », de « grosses touffes de rubans transparents et impalpables, d’une nuance d’or vert », prélevées au cœur même des cocotiers. Pour les grandes occasions, Rarahu plante, derrière son oreille, une fleur de tiaré, « sorte de dahlia vert ». Ce tiaré peut être factice ; il est constitué alors d’une tige de jonc sur lequel est savamment fixée une « plante parasite très odorante qui pousse sur les branches de certains arbres ». Comme les autres jeunes filles de sa connaissance, Rarahu se laisse parfois séduire par un vieux chinois, Tseen-Lee, qui marchande un baiser contre un accessoire de beauté, « petites boîtes de poudres blanches ou roses, - petits instruments compliqués pour la toilette, petites spatules d’argent pour racler la langue [...] ».

Un vieil homme à barbe d’or

Le père adoptif de Rarahu possède une « barbe blanche », ce qui est rare. Ce qui est rare est cher, dit-on, car convoité. Cette barbe est donc coupée deux fois par an afin de confectionner des coiffures et des parures d’oreilles pour certains personnages de marque des îles Marquises.

Une vieille reine du nom de Pomaré IV parée de la majesté des îles

Pomaré est « vêtue d’un long fourreau de soie rose » quand elle reçoit des invités de marque. Cette « vieille créature au teint cuivré, à la tête impérieuse et dure » est lourde d’une « massive laideur ». Elle a, toutefois, gardé au fond de ses rides le petit quelque chose qui faisait sa renommée auprès des explorateurs de tous horizons. Si vous la voyez s’éloigner vers le fond du jardin et pénétrer dans « un réduit mystérieux dissimulé sous les bananiers », surtout ne lui emboîtez pas le pas. Elle est alors accompagnée de trois suivantes, chacune ayant une fonction bien précise. La première aide sa maîtresse à s’accroupir. La deuxième tient le rouleau de papier toilette qui prend la forme de « feuilles de bourao, choisies soigneusement parmi les plus fraîches et les plus tendres. » La troisième « porte une fiole d’huile de cocotier parfumée au sandal (monoï),2 dont elle est chargée d’oindre les parties que le frottement des feuilles de bourao aurait pu momentanément irriter ou endolorir. »

Un vieux chef anthropophage, Hoatoaru

Il se fait critique gastronomique : « La chair des hommes blancs a goût de banane mûre. »

Des hommes tatoués d’une manière unilatérale

Aux îles Marquises, les hommes sont tatoués, du haut en bas, mais sur une « seule moitié du corps, droite ou gauche ».

Julien Viaud nous emmène bien loin de sa Charente natale lorsqu’il nous fait découvrir l’île de sa charmante fiancée-enfant. Lorsqu’il nous parle de ses cheveux parfumés au « sandal » il fait « l’erreur phonétique » fréquemment relevée par certains auteurs. Le santal - car c’est bien de cela dont il s’agit - est issu du bois de Santalum album.3 Grâce à ses descriptions enchanteresses, le Loti de la princesse Ariité nous fait presque oublier l’attitude plus que légère d’un marin qui n’hésite pas à séduire une enfant, puis à l’abandonner lorsque l’heure du départ a sonné…

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, qui nous donne à voir le mariage de Loti... comme si nous y étions !

Bibliographie

1 Loti P., Le mariage de Loti, Calmann-Lévy, Paris, 191 pages

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/sephora-l-enseigne-et-la-marque-qui-sont-allees-chercher-leur-nom-dans-la-bible-230/

3 Piesse S., Histoire des parfums, Patis, Baillière et fils, 1890, 371 pages

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