> 28 septembre 2024
Alors, forcément, lorsque Jules Maigret est envoyé en Hollande pour aider un compatriote français accusé de meurtre, il est obligé de se fier à son flair à 200 %, puisqu’il ne parle pas un traitre mot de néerlandais.1 A Delfzijl, un coureur de jupon, Conrad Popinga, a été tué, juste à la fin d’une conférence du Pr Duclos, un professeur en criminologie, adepte du « professeur viennois Grosz ». Une conférence sur le crime parfait, qui s’achève par un crime imparfait. La belle-sœur de Conrad, jalouse de celui-ci, a tiré sur l’amour qui se refusait à elle… Une passion domestique qui vire au drame !
Ce roman sent la maison bien tenue, le savon, le propre, « une odeur complexe de bière, de genièvre et d’encaustique » !
Les maisons ressemblent à celles d’un jeu de construction. « C’est la propreté organisée » !
Avec, tout de même, parfois, « une bouffée du parfum un peu rance de la petite ville », avec ses réunions de dames patronnesses et ses papotages stériles.
Le principal indice se trouve dans la salle de bain, dans une baignoire, qui n’a pas l’air de servir souvent, pour la toilette. « Sachez d’abord que la baignoire de la salle de bain est recouverte d’un couvercle en bois qui la transforme en table à repasser… » Par deux fois, Simenon insiste sur cette curieuse baignoire-table à repasser ! (« Le couvercle de bois se trouvait sur la baignoire, transformée ainsi en table à repasser. »)
Dans cette baignoire, est retrouvée une vieille casquette de marin usagé ! La casquette d’un homme surnommé « le Baes », soit « le patron », une fois traduit en français ! De son vrai nom Oosting !
On trouve également un mégot.
Bref, l’assassin (à savoir Any) a semé toutes sortes d’indices sur son chemin, comme un vrai petit Poucet !
La prise de contact de Jules Maigret avec Beetje Liewens se fait dans une étable, auprès d’une vache. Jules est bien obligé d’aider la jeune fille à faire vêler la vache ! Après l’opération, il ne lui reste plus qu’à se nettoyer énergiquement les mains. « […] il était penché avec Beetje sous un robinet de cuivre rouge et se savonnait les mains jusqu’aux coudes. »
Hans Gross (le nom est orthographié Grosz dans le roman) pense, nous indique Simenon, que tous les détails comptent sur une scène de crime et que ce sont eux qui sont le plus importants. « Suivre jusqu’au bout le raisonnement qui découle des indices matériels », sans « se laisser détourner de la vérité par des considérations psychologiques » … voilà qui ne va guère avec la méthode développée par Maigret basée sur l’étude des caractères.
La femme de Conrad est une femme sans charme, au visage couperosé. Pas vraiment fan de cosmétiques !
Epouse de la victime et sœur d’une meutrière, Liesbeth n’est guère vernie !
Beetje est la jeune maitresse de Conrad. Une jeune fille de 18 ans, au visage « rose » et aux yeux « d’un bleu de faïence ». « Des cheveux roux ».
Une jeune fermière, qui porte des bottes luisantes « comme du vernis » et qui possède des « mains grassouillettes et roses », aux « ongles soignés ».
Une jeune fermière, qui choque ses voisins par une attitude provocante. Beetje se baigne ainsi, tous les jours, aux yeux de tous, dans un « maillot moulant », de couleur rouge et non dans un « costume de bain à jupe » qui serait beaucoup plus pudique.
La belle-sœur de Conrad est une jeune fille de 25 ans laide et mal fagotée. Elle était, nous dit-on, « vêtue avec une austérité qui frisait le manque de goût » !
Une jeune fille qui a étudié et qui est désormais avocate. Une jeune fille qui utilise peu de cosmétiques. « Un peu de poudre » à la rigueur !
Non, « Vous n’avez pas mis de poudre », dit Maigret à Any, en l’accusant du meurtre de son beau-frère. Le soir du drame, Any ne s’est ni poudrée, ni recoiffée dans sa chambre, elle a visé Conrad et l’a tué !
Cet inspecteur a compris que le meurtrier de Conrad est un proche de celui-ci. Aussi invente-t-il une histoire de marin étranger, afin de mettre Maigret sur une fausse piste. Pour boucler l’enquête, Pijpekamp est prêt à tout, y compris à corrompre Maigret par un bon repas et une petite enveloppe glissée sous la table.
Pour convaincre Maigret que le criminel est un étranger de passage, Pijpekamp a mis le paquet. « Il était rasé de près. Il devait sortir des mains du coiffeur, car il répandait encore une odeur de lotion à la violette. » il est tout beau cet inspecteur habillé... comme pour se rendre à une soirée !
C’est très bien tout cela, mais… Maigret ne mange pas de ce pain-là.
Dans ce roman, on sent que Maigret est irrité. Il est coupé des protagonistes par la barrière de la langue. Mais pourtant, il comprend tout, devine tout. Et lorsque l’inspecteur Pijpekamp tente de le soudoyer, dans une douce odeur de violette, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Maigret explose. Ce n’est pas son genre d’abandonner une enquête après un bon repas, bien arrosé, et une enveloppe bien garnie. Non, mais…
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Simenon G., Un crime en Hollande, Fayard, 1971, 185 pages