Nos regards
Quand l’abbé de Choisy nous parle de colifichets...

> 12 août 2018

Quand l’abbé de Choisy nous parle de colifichets... Avant d’être l’abbé de Choisy, le jeune Charles-Timoléon a été un enfant que sa mère se plaisait à déguiser en fille (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/quand-l-abbe-de-choisy-nous-parle-de-la-cour-de-louis-xiv-719/). « [...] dès l’âge de 5 ou 6 ans », on lui frottait le visage, « tous les jours avec une certaine eau qui fait mourir le poil dans la racine, pourvu qu’on s’y prenne de bonne heure », afin qu’il n’ait pas de barbe à l’âge adulte (Mémoires de l’abbé de Choisy habillé en femme, Mercure de France, 2005). Compagnon de jeu de Monsieur frère du roi, il partage ses goûts vestimentaires et sa passion pour les mouches, ces petits emplâtres ou ces petits morceaux de tissus que l’on dispose sur le visage ou le décolleté (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/des-mouches-des-fards-du-parfum-voila-la-lecon-de-la-pompadour-en-matiere-cosmetique-398/).

A 22 ans, le jeune homme part courir l’aventure à Bordeaux avec une troupe de comédiens... il reprend goût aux vêtements féminins.

Sous les pseudonymes de Mme de Sancy ou de la comtesse des Barres, il nous fait découvrir les excentricités d’une femme du XVIIe siècle. C’est Mme de La Fayette qui serait responsable de cette grande débauche de colifichets féminins. Le voyant un jour affublé de boucles d’oreilles et de mouches, elle lui aurait-dit, « en bonne amie », « que ce n’était point la mode pour les hommes » et qu’il ferait mieux de s’habiller en femme. Que n’avait-elle dit ?

Pourquoi se travestir ainsi ? Tout simplement, pour se faire aimer. L’abbé a constaté que les femmes ont à leur disposition tout un arsenal cosmétique qui leur permet de transcender leur beauté et de déclencher l’admiration. L’abbé est avide de compliments. Il aime à entendre murmurer lors d’un bal : « Voilà une belle personne. »

C’est dans le faubourg Saint-Marceau que naît une certaine Mme de Sancy. Retrouvant les habitudes de son enfance, l’abbé se fait « repercer les oreilles » et se choisit une garde-robe féminine. « Corsets brodés », robe de chambre en satin avec ceinture et « gros nœud de rubans à l’arrière pour marquer la taille », « bonnet avec une fontange », remplacent les vêtements plus sobres que l’on a l’habitude de lui voir porter. L’abbé est un homme prudent qui va, touche après touche, modifier son travestissement. Afin de tester les réactions de son entourage, il commence par des atours discrets. « Une petite perruque peu poudrée, des boucles d’oreilles fort simples, deux grandes mouches de velours aux tempes »... cela suffira pour une première fois. Le succès est immédiat. Le curé de Saint-Médard, ses voisines, Mme d’Usson et Mme de Menieres..., tout le monde approuve le nouveau mode de vie de François-Timoléon. Enhardi par ces encouragements, l’abbé choisit une perruque plus excentrique (« Ma perruque devint plus longue et plus poudrée »), des boucles d’oreilles plus imposantes et des mouches plus nombreuses (« Je mis trois ou quatre petites mouches autour de la bouche ou sur le front. »). De mois en mois, Mme de Sancy devient de plus en plus féminine, de plus en plus sensible aux colifichets. Elle dégage rapidement ses épaules (« qui s’étaient conservées assez blanche par le grand soin que j’en avais eu toute ma vie ; je me lavais tous les soirs le col et le haut de la gorge avec de l’eau de veau et de la pommade de pieds de mouton, ce qui faisait que la peau était douce et blanche. ») Des mouches, des mouches, toujours plus de mouches... Il y en a bientôt 12 ou 15 sur le visage de l’abbé déguisé en femme (« 3 à 4 grandes mouches, et plus d’une grande douzaine de petites. ») L’abbé n’en fait pas secret : « J’ai toujours fort aimé les mouches, et je trouve qu’il n’y a rien qui sied si bien. » L’abbé se fait aider par des voisines, pour sa mise en beauté. « Chacune demandait comme une grande faveur l’intendance des mouches ; elles n’étaient jamais placées à leur gré [...] ».

Du point de vue de son teint, celui-ci est n’est pas très lumineux : « [...] mes cheveux noirs faisaient paraître mon teint passable, quoique je ne l’eusse pas fort blanc. » Pour se protéger des rayons du soleil, il utilise pourtant « un grand masque », « de peur de hâle » (sic).

L’abbé fait l’admiration de Monsieur frère du roi qui partage ses goûts pour les vêtements féminins, mais ne peut se déguiser du fait de sa position à la cour. C’est en cachette, que Philippe d’Orléans se pare comme une femme. « [...] il mettait tous les soirs des cornettes, des pendants d’oreilles et des mouches et se contemplait dans les miroirs. »

Après le travestissement, le jeu... L’abbé achève ses mémoires par une plainte : « Heureux si j’avais toujours fait la belle, quand même j’eusse été laide ! Le ridicule est préférable à la pauvreté. »

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