Nos regards
Quand Jules Maigret fait sa toilette, c’est le lecteur qui lui tend le miroir !

> 17 août 2024

Quand Jules Maigret fait sa toilette, c’est le lecteur qui lui tend le miroir !

La première enquête de Maigret nous fait découvrir un petit inspecteur tout juste embauché, du nom de Jules Maigret et non le vieux commissaire auquel nous sommes habitués.1 Ce jeune secrétaire d’un commissariat de quartier n’en est qu’à ses tout débuts dans la profession en ce mois d’avril 1913, lorsqu’un drôle de flûtiste lui débarque dans les pattes, lui signalant qu’un crime vient d’être commis dans une maison bourgeoise, celle des Gendreau-Balthazar, la famille à la tête des cafés Balthazar. Des parvenus, qui ont fait fortune dans le café, mais qui manquent totalement de classe. Toute l’histoire repose sur le mal-être de la fille de la maison, qui se rêve comtesse ; oui, mais voilà, si elle devient comtesse son frère perd toutes ses parts d’héritage. De quoi devenir sourcilleux de la gâchette !

Une enquête qui se fait au calvados, dans l’odeur du café grillé et du mimosa printanier. Une journée de froidure, une journée de pluie… Et voilà Jules qui ressort son pardessus, y sue comme un forçat dans une suave « odeur de bête mouillée », de « chien mouillé » !

Jules Maigret, l’inspecteur qui aime l’odeur du café

Il a, pour cette première enquête, 26 ans et vient tout juste de se marier. On apprend à son sujet qu’il boit du café Balthazar, comme la moitié des Parisiens de l’époque. On apprend aussi qu’il aime flâner à proximité des magasins Balthazar, eu égard à la bonne odeur de café torréfié qui flotte dans l’air à proximité.

On découvre un Maigret intime, qui prend « un tub » le matin, car il n’y a pas « encore de salle de bains dans l’appartement ».

On le suit de pièce en pièce, à la poursuite de Mme Maigret, tentant de se raser, tout en discutant de choses et d’autres, avec son agréable moitié. « Il était en train de se raser devant son miroir accroché à l’espagnolette, dans la salle à manger. C’était une manie qu’il prenait, le matin, de courir ainsi après sa femme, de faire sa toilette dans toutes les pièces, peut-être parce que c’était leur meilleur moment d’intimité. » C’est un savon à barbe qui est utilisé par Jules pour lubrifier sa peau et faciliter le passage de la lame (« sa joue savonneuse »).

On lui tend même un mouchoir lorsque Jules s’enrhume… Un « rhume de cerveau », traité avec amour par Mme Maigret, qui se dépêche de poser un « sinapisme » à son inspecteur favori. Un inspecteur qui s’enfonce douillettement dans son lit, y transpire à grosses gouttes, refusant de se laver pendant 4 jours, avant de se lever enfin et de se « laver à grande eau », avant de se raser « avec soin » ! Les moustaches de Jules n’ont pas résisté à ce petit traitement. L’absence de « fixe-moustaches » pendant 96 heures a eu raison de leur bonne mine. Pour réparer cet outrage, Jules utilise alors le fer chaud pour « redresser les pointes ».

Mme Maigret, l’épouse de l’inspecteur qui sent bon le propre

Mme Maigret est une charmante jeune femme, à l’humeur constante et à la douceur extrême. « Souriante », Mme Maigret materne son Jules comme un enfant, lui préparant, avec délicatesse, « les tisanes, les cataplasmes » et les bouillons dont il a besoin.

Cette « grosse fille fraîche » sent « bon le frais et la savonnette », tôt le matin. Ce n’est pas vraiment le genre à traîner au lit !

Justin Minard, le flûtiste qui flaire l’histoire pas nette comme un bon chien de chasse

Ce jeune flûtiste, qui œuvre à la Brasserie de Clichy, est à l’origine de tout, dans cette enquête. C’est lui qui a entendu une femme crier. C’est lui qui a entendu un coup de feu claquer. Suivant Jules Maigret comme son ombre, ce petit flûtiste va être le premier à appeler Jules « Patron » !

Richard Gendreau-Balthazar, le voyou de bonne famille qui aime les parfums rares et chers

Richard est un vrai voyou. Un voyou d’une trentaine d’années, qui aime le luxe et le pouvoir, les parfums de prix et les belles demeures. Dans son bureau, règne son parfum, un parfum de prix, un parfum inconnu du jeune inspecteur qu’est alors Maigret. « La pièce était à la fois salon et bureau, avec des murs tendus de cuir, une odeur de havane et un parfum que Maigret ne connaissait pas. »

Félicien Gendreau-Balthazar, le paternel qui sent le vieux beau à plein nez

Le père de Richard est déphasé. Il rentre tard, ne s’occupe pas du reste de la famille, concentrant son intérêt sur « ses fines moustaches aux pointes retroussées », « visiblement teintes » ! Des moustaches, qui méritent toute son attention de vieux beau et qui, dès onze heures du matin, se dressent audacieusement et ce à l’aide d’une cire cosmétique, habilement posée (« ses moustaches bien cirées »).

Georges Simenon insiste sur l’incongruité de l’emploi d’une teinture pour moustaches. Par deux fois, il nous signale ces « moustaches teintes » !

Hector Balthazar, le grand-père qui sent le parvenu à plein pif

Le grand-père de Lise et de Richard, le beau-père de Lucien, est décédé depuis 5 ans, à 88 ans. C’est à cause d’une idée farfelue de ce grand-père que le frère et la sœur vont se battre et susciter un drame dont une tierce personne paiera le prix.

Après avoir acheté le château des Anseval, Hector s’est mis en tête d’acheter leur titre par le truchement d’un mariage arrangé !

Celle qui est présentée comme étant la bonne et qui pue la sueur

Lorsque Maigret arrive chez les Gendreau-Balthazar suite au coup de feu signalé par Justin Minard, Richard lui fait visiter la maison de fond en comble, afin de lui démontrer que tout est normal dans la maison.

Vraiment normal ? Pas tant que ça, quand on sait que la fille de la maison, Lise, est présentée comme étant la bonne dénommée Germaine. Lise apparait ainsi à Jules comme une grosse fille, d’une vingtaine d’années, « à l’odeur fade », sortant tout juste du lit. Hébétée !

Et cela l’étonne Jules d’apprendre qu’une jeune bourgeoise soignée peut avoir la même odeur qu’une petite bonne mal lavée. Lise est « une grosse fille qui sentait le fade » ! « Et cela aussi le gênait, comme si les demoiselles de la grande bourgeoisie, dont le nom s’étale en lettres capitales dans les couloirs du métro, n’eussent pas pu sentir le fade, tout comme des filles de la campagne. »

Celle qui est vraiment une bonne et qui ne mange pas à sa faim

Marie est la seconde bonne de la maison. Cette toute jeune fille de 16 ans a « la taille aussi fine que Polaire »2 et une masse impressionnante de cheveux, qui compromet visiblement son équilibre.

Celle qui est aussi la bonne et qui n’a pas froid aux yeux

Germaine est celle qui manquait le soir du drame, ayant été assister sa sœur à accoucher. Un « phénomène », si l’on en croit Maigret, qui arrive à obtenir d’elle quelques confidences sur la famille.

Ramenée illico à Paris, Germaine est casée à l’hôtel le temps de l’enquête. L’interrogatoire de Jules se déroule dans sa chambre, alors que Germaine s’apprête à faire sa toilette. « Déjà elle avait versé de l’eau dans la cuvette pour se laver, et Maigret voyait le moment où elle laisserait tomber sa chemise, dont les bretelles glissaient un peu plus à chaque mouvement. » Elle dirait pas non, Germaine, si Jules se montrait audacieux. Mais Jules n’est pas de ce genre-là !

Jacques, le comte Anseval, le dévoyé au parfum de liberté

Il a 25 ans, est beau garçon. Bien que comte, il tripatouille dans toutes sortes de petites histoires louches. Il est, nous dit-on, « dans le bain jusqu’au cou. » Tout en couchant avec Lise Gendreau-Balthazar, il vit avec une prostituée au grand cœur, Lucile, une belle fille reconnaissable à la grande cicatrice qui barre son visage.

Ce n’est pas Jacques qui va se faire ficeler par un contrat de mariage. Pas vraiment son genre !

Et des destins qui se croisent

Jules Maigret aime les gens. Il aime se frotter à ses semblables. Croiser des petites bonnes, « pas encore lavées », qui vont chercher le lait, ou des concierges qui ouvrent leurs volets, la tête encore toute farcie de « papillotes » !

Jules Maigret est capable de se fondre dans n’importe quel milieu. Il est capable « de vivre la vie de tous les hommes, de se mettre dans la peau de tous les hommes. »

Et une montée en grade à la PJ

Quai des Orfèvres, Maigret découvre les différents services de la PJ allant de l’anthropométrie (c’est là que l’on rédige les fiches de chaque suspect, mesurant, notant chaque tatouage ou « signes distinctifs »), au bureau des inspecteurs. C’est là désormais que Jules va passer sa vie !

Le fin mot de l’histoire

C’est le grand-père qui a engendré la catastrophe depuis sa tombe. Dans son testament, il a, en effet, stipulé que, si Lise épousait un Anseval, elle hériterait de toutes les actions du café Balthazar. Du coup, forcément, Lise était comme enragée, harcelant Jacques pour qu’il l’épouse, alors même que son frère Richard ne décolérait pas de la situation. Une bataille à trois et un coup de feu qui claque dans la nuit ! Merci Pépé !

C’est Dédé, l’ami de Jacques, qui met Jules au parfum, dans un petit restaurant pas piqué des hannetons. Dédé tient à faire savoir la vérité à Jules, car Louis, le valet de chambre, a endossé le crime de sa maîtresse. Et ça… Dédé a du mal à l’encaisser !

Une confession hygiénique !

Raconter cette histoire à Maigret revêt pour Dédé un caractère hygiénique. « Un moyen, aussi, en montrant la saleté de certaines gens, de se trouver en somme assez propre. »

La première enquête de Maigret, en bref

Dès le premier volume, Jules est là qui, bien que svelte encore, prend de l’épaisseur au fur et à mesure de l’enquête, y voyant de plus en plus clair dans le cœur des hommes, alors que son cerveau s’embue de plus en plus suite à l’absorption de force calvados. Voilà, on a déjà notre Maigret en puissance, avec toute son humanité, sa capacité à se glisser dans la peau des uns et des autres, depuis le bourgeois, jusqu’au proxénète. Un Maigret presque aussi à l’aise dans la chambre de Germaine que dans son propre appartement. Un tantinet grognon, quand un rhume pointe le bout de son nez. Franchement très grognon, quand il croit que l’on va lui sucrer sa réussite.

L’odeur des Maigret est bien là. Une odeur de bistrot, de sueur, de parfum pour hommes, de savon plein de fraicheur ! Et c’est parti pour 75 romans et 28 nouvelles…3

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Simenon G., La première enquête de Maigret, Presses de la cité, Paris, 1948, 188 pages

2 « A bas le corset, vive la crème amincissante ! » | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

3 https://fr.wikipedia.org/wiki/Commissaire_Maigret

 

 

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