> 23 septembre 2021
Lorsqu’en 1954 William Golding imagine de faire atterrir de force (et avec grand fracas) un avion ne transportant que des enfants, sur une île inhospitalière,1 il ne se doute certainement pas de la lecture qui sera faite de son ouvrage presque 70 ans plus tard. Voilà donc toute une équipe de gosses, âgés de 6 à 12 ans, qui se retrouvent totalement isolés sur une île déserte. Rapidement, des personnalités se font jour. Il y a Ralph, un garçon blond, taillé en athlète, plein de ressources et capable de diriger une équipe de main de maître ; il y a Jack Merridew, un drôle de chef de chœur, bien décidé à faire chanter ses camarades sur un tempo glaçant ; il y a Porcinet, un jeune asthmatique, très enrobé, aux cheveux rares (ses cheveux se refuseront à pousser durant toute cette aventure) et aux lunettes munis de verres en « cul de bouteille » ! Très peu esthétiques, certes… mais bien pratiques pour faire du feu. Faire du feu... c’est l’obsession de Ralph, qui comprend très vite que pour sortir de cette île il va falloir se signaler à l’aide d’un ruban de fumée susceptible de tracer les lettres SOS dans le ciel invariablement bleu. Il y a également Simon, au « teint naturellement bronzé » ! Tous ces enfants, dont on ne connaitra pas le nombre exact, vont devoir faire preuve d’inventivité pour survivre en milieu hostile.
Une conque pour se servir de porte-voix
C’est en soufflant dans un coquillage, une conque, que Ralph assoit son pouvoir. En organisant des meetings (« Les meetings... On en raffole. Tous les jours. Deux fois par jour. Et on parle. »), il souhaite organiser la vie sur l’île et répartir les tâches. Pendant que certains iront aux provisions, d’autres se chargeront d’alimenter un feu qui devra brûler jour et nuit. Parfait !
Pas de crème solaire pour se protéger
Sur l’île déserte, pas de crème solaire mais, pourtant, des bains de soleil prolongés, qui laissent la peau cuisante. Les « visages marbrés de soleil » sont tournés vers Ralph, le chef incontesté... Incontesté… enfin, pas pour très longtemps. L’emploi du temps établi par ce chef auto-proclamé n’est guère réjouissant. Jack va rapidement mettre son grain de sable (on est sur une île ne l’oublions pas !) dans une machine qui crachote tout de même un peu. Ce garçon, aux cheveux blond-roux, verra son capillaire prendre une « teinte plus claire », au fil des expositions UV. « De nombreuses taches de rousseur couvraient son dos nu où la peau pelait sous les coups de soleil. » Ce garçon, qui n’est pas douillet, va entrer en rébellion avec le porteur de conque... Jack est pour le retour à la vie sauvage. Désormais, son bonheur va consister à traquer les cochons sauvages et à les égorger de manière cruelle. Au fil du temps, les épidermes finiront tout de même par bronzer, tant bien que mal.
Pas de savon... mais des bulles de savon !
Cette île est pleine de mystère, de mirages... On croit voir sortir de l’eau des terres... qui n’ont rien de réel. Des mirages, en réalité. Des mirages qui s’évanouissent « comme une bulle de savon ».
Pas de savon... et une saleté repoussante !
« [...] ils étaient bronzés et d’une saleté repoussante. » Cet état de saleté pèse sur le moral de Ralph. « Accablé par la température, exceptionnelle même pour leur île, Ralph fit des rêves de propreté. Il aurait voulu posséder des ciseaux pour se couper les cheveux - il les rejeta en arrière - couper en brosse cette masse crasseuse. Il aurait voulu prendre un bain et se vautrer dans la mousse de savon. Il passa sa langue sur ses dents et décida qu’un bon dentifrice ne serait pas du luxe. »
Teint naturel ou peinture de guerre ?
Entre Ralph, le garçon nature, et Jack, le guerrier aux peintures corporelles agressives, un gouffre. Avec de l’argile blanche, de la terre rouge et du charbon de bois, Ralph se concocte un masque belliqueux. « Jack essaya un nouveau maquillage. Il peignit en blanc une joue et le tour de l’œil, puis il enduisit de rouge l’autre côté de son visage et barra le tout d’un trait de charbon de l’oreille droite à la mâchoire gauche. ». « Affranchis par l’anonymat du masque de peinture, rien n’empêchait les garçons de devenir des sauvages. » Et des sauvages, croyez-nous, Jack et sa bande ne vont pas tarder à le devenir totalement.
Les pro et les anti-cosmétiques, les pro et les anti-maquillage
Chez William Golding, le monde est binaire. Il y a ceux qui rêvent de bains moussants, de dentifrices, de produits d’hygiène. Il y a ceux qui rêvent de peintures de guerre, de maquillage à faire peur. Il y a ceux qui bronzent et ceux qui brûlent. Il y a ceux qui ont les moyens de faire du feu et ceux qui ne l’ont pas. Il y a ceux qui mettent tout en œuvre pour s’en sortir et ceux qui se voient bien finir leur vie à l’état sauvage. Il y a les doux et les moins doux voire pas doux du tout. On peut adapter le contenu de ce livre à la vie sociale, à la vie de travail, au domaine cosmétique...
Sa Majesté des Mouches, point final
Allez, on ne résiste pas à vendre la mèche... Ralph et ses camarades ne vieilliront pas sur cette île. Un officier finira par les découvrir et rêvera de plonger toute la marmaille dans un bain salvateur. « Le gosse avait besoin d’un bain, d’une coupe de cheveux, d’un mouchoir et de beaucoup de pommade sur tout le corps. » Pas si facile que cela d’avoir les responsabilités d’un adulte lorsque l’on n’a que 12 ans !
1 Golding W., Sa Majesté des Mouches, Folio, Gallimard, 245 pages
Retour aux regards