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Pour Ulysse, tout baigne dans l’huile...

> 07 janvier 2021

Pour Ulysse, tout baigne dans l’huile...

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage ! Il est heureux cet Ulysse qui, malgré quelques avanies, arrive à bon port après avoir guerroyé pour les yeux de la belle Hélène.1 Retenu prisonnier par la nymphe Calypso, Ulysse dépérit à tel point que le grand Zeus le prend en pitié et lui retient un billet de retour sur une drôle de galère. Pour revenir au pays, à Ithaque, pour dormir à nouveau auprès de la chère Pénélope, il lui faudra affronter mille dangers et supporter mille bains parfumés. Un supplice cosmétique qui semble ne pas trouver de fin !

Calypso, la nymphe au doux parfum

La « nymphe aux cheveux bouclés » réside dans une île parfumée au cèdre et au thuya. Les arbres poussent en abondance ; ils permettront de fabriquer un navire très convenable. Avant de quitter Calypso, Ulysse est « baigné et couvert de vêtements parfumés ».

Nausicaa, la princesse à la fiole d’or

Lorsque Nausicaa, « aux bras blancs », part laver son linge sale, elle emporte avec elle une « fiole d’or », qui contient une « huile liquide », « luisante », destinée à parfumer son bain. La vierge parfumée ne manquera pas de séduire Ulysse et de le retarder dans sa lente progression vers le domicile conjugal. Un Ulysse, dans le plus simple appareil, un Ulysse couvert d’écumes, naufragé ! Face à un tel dénuement, la belle Nausicaa ne résiste pas ; elle envoie ses servantes porter vêtements et fiole d’huile parfumée à celui d’où émane une curieuse odeur de poisson pourri. La perfide Athéna, qui préside à la toilette et qui aimerait bien qu’Ulysse séduise, la nymphe, se fait coiffeuse, l’espace d’un instant. Déroulant les belles boucles d’Ulysse, elle réalise un Régé color instantané ; les cheveux prennent subitement l’aspect de « fleurs de jacinthe » !

Circé, la magicienne au tempérament de cochon

Ulysse a échappé au châtiment de Circé. Grâce à Hermès et à son philtre magique, Ulysse sort indemne de sa rencontre avec la fille d’Hippotas. Avant de s’endormir aux côtés de Circé, Ulysse est baigné dans une eau à température idéale. Les servantes ont fait chauffer l’eau pour l’occasion ; elles s’affairent autour du voyageur, lui lavent « la tête et les épaules », le parfument avec une huile « fine » et le revêtent d’habits somptueux. Ulysse a obtenu la grâce de ses compagnons de route. Transformés en cochon, ils vont reprendre leur forme humaine, grâce à un dépilatoire magique, qui fait tomber les « soies » (« Elles les frotta d’une autre drogue, et les soies qui recouvraient leur corps tombèrent sur-le-champ »). Puis, elle les embaume à leur tour en les baignant dans une huile parfumée. Vin en abondance, viande savoureuse, cosmétiques à volonté... difficile de résister à Circé, même si son tempérament est parfois un peu... celui d’un cochon !

Les ténébreuses Sirènes, à la voix enchanteresse

Pour résister au chant des Sirènes, Ulysse devra se faire attacher au mât de son navire. Les rameurs seront munis, quant à eux, de bouchons d’oreille, confectionnés en cire d’abeille. « Bouche les oreilles de tes compagnons avec de la cire molle afin qu’aucun d’eux n’entende. » Ulysse découpe donc « un grand morceau de cire » ; de ses « fortes mains », il le pétrit, puis le fit ramollir, « sous les feux du Soleil ».

Athéna, la déesse qui se joue des apparences

A Ithaque, les prétendants de Pénélope la pressent de choisir l’un d’entre eux comme époux. Ils font bonne chair et bombance, aux frais d’un Ulysse, parti bien trop longtemps. La perfide Athéna va constituer, pour l’occasion, une aide précieuse pour un Ulysse, avide de vengeance. D’un coup de baguette magique, Athéna transforme le bel Ulysse, en un mendiant fort repoussant. Chute de cheveux, flétrissement de la peau... A volonté, Athéna restitue à Ulysse son aspect naturel. Injection de collagène dans les joues (« ses joues se regonflèrent »), teinture brune pour la barbe ! Selon le cas, Ulysse est beau comme un dieu ou misérable, comme le dernier des humains.

La nourrice et son bain de pied révélateur

A Ithaque, dans la demeure de Pénélope, Ulysse, déguisé en mendiant, reçoit les honneurs dus à tout voyageur : un bain de pied. La nourrice Euryclée est chargée de baigner l’homme qui a souffert. La vieille nourrice fait bien les choses ; elle mélange eau froide et eau chaude, dans un « chaudron étincelant » ; elle reconnait, bien sûr, la cicatrice faite à son enfant. L’émotion lui fait renverser l’eau du bain. Elle s’affaire et continue à laver les pieds de son maître avec une nouvelle eau. Puis, c’est le parfumage !

et du suif pour graisser l’arc d’Ulysse

Quel prétendant sera assez fort pour décocher une flèche à partir de l’arc d’Ulysse ? Bon prince, celui-ci fait mander un « bon bloc de suif », non pas pour se mettre à fabriquer un savon-maison, mais bien plutôt pour faciliter la tâche des archers. Peine perdue ; l’arc d’Ulysse résiste à tout autre que lui !

et puis une terrible vengeance

Un massacre... voilà ce qui se passe dans la demeure d’Ulysse, au retour du maître. Les prétendants, qui le comptaient pour mort, sont tous passés par le fil de l’épée.

et un nouveau bain parfumé

C’est « l’intendante Eurynomé » qui se charge de laver Ulysse et de le parfumer ; Athéna, une fois de plus, se charge de sa coiffure. Elle déroule la chevelure bouclée de l’homme sur qui elle a déversé la beauté en abondance et transforme celle-ci en un champ de jacinthe. Propre et parfumé, Ulysse n’a plus qu’à filer le parfait amour avec la spécialiste du tissage-maison.

L’Odyssée, en bref

L’Odyssée est une formidable « réclame », en faveur de la propreté. Des bains en abondance, pour éliminer l’écume de mer ou la poussière du chemin ; des bains de pieds, pour soulager le voyageur ; des shampooings, pour démêler les cheveux et remettre les idées en place ; des onctions d’huile, pour ramollir la peau ou rendre l’eau du bain moins dure, plus émolliente ; des parfums, pour mettre un point final à une toilette minutieuse. Les protagonistes de L’Odyssée semblent passer leur temps dans leur salle de bains. Ils n’ont pas peur des cosmétiques, ceux-là au moins... des cosmétiques-plaisir qui font oublier le passé, des cosmétiques-plaisir qui agrémentent le présent, des cosmétiques-éternels amis des dieux, déesses, nymphes et magiciennes pour magnifier passé, présent et avenir.

Bibliographie

1 Homère, L’Odyssée - Classiques abrégés - L’école des loisirs, 1988, 165 pages

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