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Pour parler du savon… Francis Ponge à la rescousse…

> 18 mai 2019

Pour parler du savon… Francis Ponge à la rescousse…

Pour le chimiste, le savon est un sel d’acide gras obtenu par action d’une base telle que la soude ou la potasse sur un corps gras.

Pour le cosmétologue, c’est aussi cela, bien sûr. Mais c’est également, comme pour l’usager, un produit cosmétique, généralement bon marché, accessible à tout un chacun, pour son hygiène personnelle et quotidienne. Il partage avec le dermatologue la connaissance des effets indésirables qu’il faut attendre de son usage, à savoir augmentation du pH cutané et effet détergent, le tout étant regroupé sous le vocable d’« effet savon ».

Le produit est d’importance pour qu’un poète du XXe siècle, Francis Ponge, lui consacre un opuscule entier,1 ouvrage qui ne sera publié qu’après 25 années (entre 1942 et 1967) de « cogitations » de l’auteur !

Tout commence donc en avril 1942, à Roanne où Ponge est replié (comprenez réfugié), victime comme la très grande majorité des Français de multiples restrictions et, en particulier, d’un manque de savon.

 

Si je m’en frotte les mains, le savon écume, jubile…

Plus il les rend complaisantes, souples,

Liantes, ductiles, plus il bave, plus

sa rage devient volumineuse et nacrée…

Pierre magique !

Plus il forme avec l’air et l’eau

des grappes explosives de raisins

parfumés…

L’eau, l’air et le savon

se chevauchent, jouent

à saute-mouton, forment des

combinaisons moins chimiques

physiques, gymnastiques, acrobatiques…

Rhétoriques ?

 

Par son éducation (il est issu d’une famille bourgeoise et protestante) et sa formation (brillant élève, c’est un khâgneux de 1916 à 1918 !), Ponge désire que son œuvre puisse remplacer «1o le dictionnaire encyclopédique, 2o le dictionnaire étymologique, 3o le dictionnaire analogique (il n’existe pas), 4o le dictionnaire des rimes (des rimes intérieures aussi bien), 5o le dictionnaire des synonymes, etc. ». Il envisage même la forme qu’un dictionnaire pourrait prendre, avec son organisation typographique particulière, celle des Bibles protestantes « divisées en deux colonnes, ou plutôt en trois ; deux colonnes de texte, à droite et à gauche de chaque page, et, au centre de chaque page, des notes de références ».2

Pour Ponge, le savon, cette « sorte de pierre » qui ne se laisse pas saisir facilement est une « pierre » bien spéciale. Il n’existe nulle « pierre aussi glissante ».

Le savon, c’est la mousse ! Cette mousse formée de « tant de grappes de pléthoriques bulles ».

On est face à un texte où coexistent des assertions scientifiques puisque ce sont des lois de la physique et de la chimie qui président à la formation de la mousse, en présence d’eau, de gaz (l’air) et de savon et d’autres qui le sont beaucoup moins puisque l’on peut constater à l’usage que loin de rendre les mains « complaisantes, souples, », le savon a un effet desséchant !

Ponge doit bien en convenir : le savon n’est pas naturel… n’en déplaisent aux amateurs de Bio ! C’est « une sorte de pierre, […] : sensible, susceptible, compliquée.»

Bibliographie

1 Ponge F. Le savon, L’Imaginaire Gallimard, 2015, 128 pages

2 Pringent C. La "besogne" des mots chez Francis Ponge. Littérature, 1978, 29, 90-97.

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